2009-08-12

 

Anticipation, un petit bilan organisationnel

Anticipation a-t-il rempli toutes ses promesses?

Sur le plan des chiffres, le premier congrès mondial de science-fiction à Montréal n'a pas démérité. En date de dimanche soir, Anticipation comptait 4400 inscrits et 3500 personnes sur place; sous réserve d'informations à venir, j'ai des raisons de croire que le nombre d'inscriptions sur place se situera entre 450 et 900. Compte tenu des inscriptions potentielles du lundi, ceci classerait Anticipation entre les congrès mondiaux de Winnipeg (7725/3570) et de Toronto (4986/3834), au Canada, ce qui est assez logique. En pleine récession économique, c'est une performance respectable. Surtout que le congrès de Denver en 2008 aurait eu moins de 3800 personnes sur place et celui de Yokohama en 2007 moins de 3000. Dans le diagramme ci-dessous, on voit bien que les congrès mondiaux au Canada (en rouge) attirent entre 3000 et 4000 personnes depuis 1994. C'est mieux que les congrès mondiaux en Australie qui n'ont jamais atteint la barre des 2000 personnes sur place, mais un peu inférieur à la performance des congrès mondiaux en Grande-Bretagne. En fait, c'est un résultat qui se distingue ni en bien ni en mal, et il est difficile d'en dire plus pour l'instant.Du point de vue francophone, le verdict est plus contrasté. Je dirais même qu'on peut parler d'un verre qui sera à demi plein ou à demi vide selon les points de vue. Le premier congrès mondial dans une ville francophone a-t-il été un congrès mondial francophone?

Sans doute que non, car la masse critique de bénévoles et d'organisateurs francophones qu'il aurait fallu n'existe tout simplement pas (pour l'instant). À ce que j'en sais, un congrès mondial comme Anticipation doit pouvoir compter sur un nombre total de bénévoles approchant des 600-800. Par conséquent, pour avoir une structure francophone parfaitement parallèle, il aurait fallu avoir de 300 à 400 bénévoles francophones, soit un nombre probablement plus élevé que le nombre total d'inscrits francophones!

Pour une première fois, cependant, beaucoup de choses ont été au rendez-vous : invitée d'honneur francophone; programmation en français; présence éclatante de deux grandes maisons d'édition francophones; traduction du site et des publications; bilinguisme d'une partie de la signalisation sur place; cérémonie bilingue des Prix Hugos; relation avec les médias en français et retentissement médiatique correspondant au Québec; remise sur place de tous les prix canadiens-français de science-fiction et apparentés; traduction simultanée d'une série de tables rondes; etc. Ainsi, en l'espace de trois jours, on a remis le Prix Jacques-Brossard, l'ex-Grand Prix de la Science-Fiction et du Fantastique québécois; les Prix Aurora Awards, dont trois catégories récompensent les ouvrages en français; et les Prix Boréal, tandis que certains résultats du Grand Prix de l'Imaginaire en France ont été annoncés en présence de deux gagnants.

La participation francophone a semblé basse aux visiteurs français, mais pas aux inscrits canadiens qui reconnaissaient de nombreux visages familiers dans les couloirs. Les chiffres disponibles tendent à confirmer cette impression. Fin juin, les pré-inscrits d'Anticipation incluaient 216 Québécois (dont plus d'une centaine de francophones), 37 Français, 1 Belge francophone, 4 Suisses francophones, au moins 2 francophones de l'Ontario, 2 francophones des Pays-Bas et une poignée de francophones des États-Unis (au moins 3), pour un total de plus de 150 francophones confirmés (sans compter une bonne centaine de francophiles). Des 450-900 inscriptions sur place à Anticipation, on peut raisonnablement escompter qu'une certaine part était constituée par des Québécois francophones. Il me semble donc qu'on a dû pouvoir tabler sur plus de 200 inscrits francophones, toujours sans compter les francophiles. En principe, aucun congrès québécois de SF n'a enregistré autant d'inscrits francophones.

Ceci suggère que les francophones étaient présents en nombre suffisant pour assurer un auditoire respectable aux tables rondes. Il y a rarement eu plus de trois tables rondes en français en même temps. Or, les congrès Boréal ont parfois offert autant d'événements simultanés à un nombre d'inscrits de l'ordre de la centaine sans jamais que les panélistes se retrouvent en face de salles tout à fait vides. Pourtant, on ne peut nier que, vers la fin d'Anticipation, les panels en français pâtissaient d'un manque de participation flagrant.

Que s'est-il donc passé? Où donc étaient les francophones?

Tout d'abord, ils n'étaient pas au congrès Boréal tenu samedi et dimanche. Celui-ci a attiré 63 inscrits, en incluant 8 personnes inscrites à Anticipation qui n'avaient pas besoin de s'inscrire (puisque l'inscription à Anticipation donnait droit à l'entrée gratuite à Boréal) mais qui l'avaient fait pour soutenir Boréal.

Par conséquent, 55 Boréaliens ne sont pas venus à Anticipation, mais bon nombre d'entre eux étaient des étudiants qui n'auraient pas pu se payer un congrès mondial. S'ils ont pu assister à Boréal, c'est parce que l'inscription préalable à Boréal était de 15$ et l'inscription sur place de 20$ (15$ pour les étudiants). C'est nettement moins que l'inscription sur place à Anticipation à 275$ (195$ pour la fin de semaine) ou 75/85/95$ par jour (selon la journée).

Inversement, le congrès Boréal n'aurait jamais accueilli plus de 70 personnes à la fois selon mes sources. Ainsi, il n'y aurait jamais eu plus de trente personnes à Boréal faisant des infidélités au congrès mondial.

Par rapport au total des inscrits francophones, il convient de noter que tous n'ont pas fait le voyage. Des 37 Français inscrits fin juin, 27 se sont déplacés. Quelques visiteurs européens se sont inscrits à la dernière minute, mais l'effort franco-européen aura surtout profité à la composition des tables rondes et non à celle des auditoires.

La question, c'est donc de savoir où sont passés les Canadiens francophones inscrits à Anticipation. À mon avis, plusieurs explications sont envisageables.

— De nombreux Québécois francophones venaient de la région de Montréal. Il leur était facile de venir pour quelques heures, une journée ou deux, mais pas toujours pour l'ensemble du congrès. Le travail et les obligations familiales, voire les vacances du mois d'août, les auront empêchés de rester sur place en permanence. Ergo, leur proportion des inscrits ne correspondait pas nécessairement à leurs heures de présence sur place.

— De nombreux Québécois francophones sont bilingues : ils pouvaient donc choisir d'assister aux tables rondes en anglais. Or, comme il y avait trois fois plus de tables rondes en anglais qu'en français, ils se retrouveraient plus souvent aux panels en anglais qu'à ceux en français, toutes choses étant égales par ailleurs.

— Les francophones aussi ont le culte de la vedette : en l'absence d'un Bordage, Werber, Loevenbruck, Dantec ou Houellebecq, voire Robillard ou Perro pour les Québécois, les inscrits francophones sont allés voir les Gaiman, Silverberg et autres Robert J. Sawyer qui intervenaient dans les panels en anglais.

— Un certain nombre de francophones travaillaient pour le congrès comme volontaires et bénévoles, ou participaient au programme : du coup, ils ne pouvaient pas se trouver dans l'auditoire des tables rondes.

Cela dit, l'intérêt limité pour les tables rondes en anglais sur des sujets francophones rappelle qu'il n'est pas non plus facile de piquer la curiosité des fidèles des Worldcons. Il s'agit toutefois de quelque chose que les organisateurs ne peuvent pas contrôler.

Bref, le plus grand défi demeure celui d'intéresser tant les francophones que les anglophones à la SF qui se fait en français. Anticipation aura au moins eu le mérite de signaler l'existence de ce phénomène et, tout compte fait, je maintiens qu'aucun autre congrès mondial n'aura été aussi francophone.

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Comments:
Une analyse frappée au coin du bon sens et de l'exactitude la. Pour ma part, j'ai vu plus de francophones (et de francais) que je m'y attendais. Et quand aux assistances "moyennes" des panels francophones elles étaient soit honorables dans les circonstances, étant donné l'extrème nouveauté de la chose a une Worldcon, et tous les autres facteurs exprimés ici par Jean-Louis, soit légèrement décevantes, de mon point de vue.

Je n'ai pas envie de relever les tous petites choses qui m'ont semblé un peu moins "performantes" a cette Worldcon, selon les spécialistes, mais mes tours de blogs continuent a me prouver, encore asujourd'hui, et les jours précédents, le taux extrèmement élevés de satisfaction, tant envers la ville que l'évènement, a cette Worldcon (de meme qu'au Congrès Boréal) .

Et puism un Congrès, Worldcon ou autre, est TOUT D'ABORD ce que l,on en fait soi-0meme et pour soi-0meme, en tout premier lieu, et ensuite ce que les organisateurs en ont faits, mon avis la.

En tous les cas, jamais un Congrès n'a semblé aussi bénéfique pour moi, professionnellement, que celui-ci, meme si les choses restent a confirmer définitivement ou a faire dans leur réalité.

Alors, Bravo, et merci a tous et toutes!

René
 
Je peux annoncer fièrement avoir fait partie des 450-900 inscriptions sur places et aussi, en 1 jour et demi, entre autres, j'ai assisté à 3 panels en français et 2 panels en anglais qui portaient sur la littérature francophone. Il est vrai que des fois je ne restais que quelques minutes, surtout quand je voulais faire 5 panels différents dans la même heure, heh heh. Je n'y suis pas arrivé bien sûr, inévitablement, un panel me retenait jusqu'à la fin.
 
Pour ma première et probablement dernière convention mondiale, j'ai trouvé que tout baignait dans l'huile. Montréal n'est pas une ville francophone, mais plurielle, où tout le monde sait l'Anglais et une bonne moitié le français. Cela posé, la présence, timide sans doute du français était déjà remarquable. Les bénévoles était souvent incapables de comprendre un mot de français ou même d'anglais accentué, mais ne se sont pas montrés désagréables. J'ai assisté à des discussion qui quoique étant censées être en français sont vite devenues anglaises par la présence d'un anglophone dans la salle ou à la table. J'ai trouvé quelque peu frustrant de devoir chaque fois choisir entre plusieurs sujets - et personne - très intéressants. Il y avait là matière à occuper tout un mois à temps plein. Pour ma part je trouve que les organisateurs ont fait "un maudit bon travail". L'incuriosité des anglophones me laisse un arrière-goût d'occasion manquée, mais ne me surprend pas. Dans l'autre sens, en revanche, l'information semble être très bien passée. La présence des autres langues fut discrète.
Le Boréal 2009, auquel je ne suis pas allé autant que j'aurais voulu, a été une grande réussite d'après tous les témoignages et ce que j'en ai vu. Il est réconfortant de savoir que, de ce côté-là au moins, la relève est là, et de qualité.
 
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