2009-03-12
Futurs sur commande
Dans le numéro actuel de la revue Futuribles, Alain Bergeron (qu'on a aussi connu comme auteur de science-fiction) signe un article intitulé « Les besoins en science et technologie. Une prospective scientifique et technologique guidée par la demande : le projet québécois Perspectives STS ».
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer certaines prévisions de Perspectives STS dont cinq rapports sur sept sont disponibles. Ce que Bergeron souligne, c'est que l'initiative québécoise a renoncé aux tentatives de prédictions des découvertes scientifiques et développements techniques à venir — prédictions pourtant recherchées par la prospective classique (DELPHI). Dans le cadre d'une prospective guidée par la demande, il s'agit plutôt d'identifier les orientations privilégiées par la population et les moyens d'y répondre : « Dans une telle perspective, science et technologie ne sont plus l'objet premier de l'exercice de prospective, mais des ressources utilisables pour répondre à la demande. » (p. 28) Contrairement à l'objectif du développement public d'une culture scientifique, il s'agit de mettre « les chercheurs à l'écoute des préoccupations de la société, et donc de donner à celle-ci les moyens d'exprimer ses attentes. »
La question qui se pose au niveau de Québec, c'est d'abord de savoir si l'infrastructure scientifique et technique d'une province de 7,5 millions d'habitants est en mesure de relever tous les défis retenus par les participants. À quoi bon dicter aux scientifiques leur feuille de route si les problèmes les dépassent?
La seconde question, c'est sans doute de savoir si, sous le couvert de l'invocation des choix du public, l'État ne cherche pas à instrumentaliser le plus complètement possible la communauté des chercheurs, à l'instar du budget conservateur de Harper qui veut orienter la recherche dans un sens plus favorable aux affaires et à la gestion (voir la pétition). Il n'échappera à personne que le projet Perspectives STS a été lancé en 2003, l'année de l'élection des (néo-)Libéraux de Jean Charest...
Selon Bergeron, l'idée remonte toutefois à 2002, sous le gouvernement Landry (pas beaucoup moins dirigiste que le gouvernement Charest, évidemment). Des consultations successives ont permis de sonder le grand public (six groupes de discussion ne dépassant sans doute pas la douzaine de personnes chacun, un échantillon de 1623 personnes répondant à des questions au téléphone), puis de réunir en atelier une centaine de personnalités pour identifier 40 grands défis pour l'avenir du Québec, puis de consulter par internet 1300 chercheurs environ pour savoir quels défis seraient le plus susceptibles d'être relevés à l'aide de la science et de la technologie.
Si une telle approche est plus inclusive, Bergeron est bien obligé d'admettre que la dimension prospective du projet en souffre : « Il est clair que les préoccupations de la population face à l'avenir ne sont jamais beaucoup plus qu'une projection à courte vue de leurs préoccupations du moment. Même les 100 participants de l'atelier de prospective se sont surtout attardés à déterminer les grands défis actuels de la société, plutôt que ceux qui sont en émergence. » (p. 42) Ben voyons, il fallait m'inviter! (D'ailleurs, on aimerait bien savoir combien d'auteurs de science-fiction il y avait dans la salle à chaque étape du processus, exception faite des employés du Conseil de la science et de la technologie.)
Et c'est sans soulever la question de savoir si les groupes de travail constitués de « chercheurs reconnus dans un domaine pertinent » et d'utilisateurs potentiels « des résultats de la recherche » (acteurs de terrain et décideurs) ne seraient pas non plus trop tentés de tirer la couverture à eux (comme il arrive souvent dans les réunions de ce type) pour offrir un point de vue relativement objectif sur la meilleure stratégie à adopter. De toute évidence, on a préféré se fermer les yeux sur les conflits d'intérêt et les risques de groupthink.
Cela fait plusieurs années que j'exprime à Alain Bergeron mon étonnement que les organismes soucieux de culture scientifique (comme le Conseil de la science et de la technologie, tiens!) font aussi peu appel aux points de vue de la science-fiction, que ce soit pour la vulgarisation ou la prospective, et même quand il est question de réfléchir sur le futur. Du coup, en ce qui me concerne, la conclusion suivante de Bergeron vaut admission : « Il n'en reste pas moins qu'une des leçons qu'on tirera de Perspectives STS est l'extrême difficulté de tous les acteurs, que ce soit la population en général ou les scientifiques, à se distancer du présent pour se construire une représentation du futur qui sorte des sentiers battus. » (p. 42)
Peut-être parce que tous les acteurs n'étaient pas là...
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer certaines prévisions de Perspectives STS dont cinq rapports sur sept sont disponibles. Ce que Bergeron souligne, c'est que l'initiative québécoise a renoncé aux tentatives de prédictions des découvertes scientifiques et développements techniques à venir — prédictions pourtant recherchées par la prospective classique (DELPHI). Dans le cadre d'une prospective guidée par la demande, il s'agit plutôt d'identifier les orientations privilégiées par la population et les moyens d'y répondre : « Dans une telle perspective, science et technologie ne sont plus l'objet premier de l'exercice de prospective, mais des ressources utilisables pour répondre à la demande. » (p. 28) Contrairement à l'objectif du développement public d'une culture scientifique, il s'agit de mettre « les chercheurs à l'écoute des préoccupations de la société, et donc de donner à celle-ci les moyens d'exprimer ses attentes. »
La question qui se pose au niveau de Québec, c'est d'abord de savoir si l'infrastructure scientifique et technique d'une province de 7,5 millions d'habitants est en mesure de relever tous les défis retenus par les participants. À quoi bon dicter aux scientifiques leur feuille de route si les problèmes les dépassent?
La seconde question, c'est sans doute de savoir si, sous le couvert de l'invocation des choix du public, l'État ne cherche pas à instrumentaliser le plus complètement possible la communauté des chercheurs, à l'instar du budget conservateur de Harper qui veut orienter la recherche dans un sens plus favorable aux affaires et à la gestion (voir la pétition). Il n'échappera à personne que le projet Perspectives STS a été lancé en 2003, l'année de l'élection des (néo-)Libéraux de Jean Charest...
Selon Bergeron, l'idée remonte toutefois à 2002, sous le gouvernement Landry (pas beaucoup moins dirigiste que le gouvernement Charest, évidemment). Des consultations successives ont permis de sonder le grand public (six groupes de discussion ne dépassant sans doute pas la douzaine de personnes chacun, un échantillon de 1623 personnes répondant à des questions au téléphone), puis de réunir en atelier une centaine de personnalités pour identifier 40 grands défis pour l'avenir du Québec, puis de consulter par internet 1300 chercheurs environ pour savoir quels défis seraient le plus susceptibles d'être relevés à l'aide de la science et de la technologie.
Si une telle approche est plus inclusive, Bergeron est bien obligé d'admettre que la dimension prospective du projet en souffre : « Il est clair que les préoccupations de la population face à l'avenir ne sont jamais beaucoup plus qu'une projection à courte vue de leurs préoccupations du moment. Même les 100 participants de l'atelier de prospective se sont surtout attardés à déterminer les grands défis actuels de la société, plutôt que ceux qui sont en émergence. » (p. 42) Ben voyons, il fallait m'inviter! (D'ailleurs, on aimerait bien savoir combien d'auteurs de science-fiction il y avait dans la salle à chaque étape du processus, exception faite des employés du Conseil de la science et de la technologie.)
Et c'est sans soulever la question de savoir si les groupes de travail constitués de « chercheurs reconnus dans un domaine pertinent » et d'utilisateurs potentiels « des résultats de la recherche » (acteurs de terrain et décideurs) ne seraient pas non plus trop tentés de tirer la couverture à eux (comme il arrive souvent dans les réunions de ce type) pour offrir un point de vue relativement objectif sur la meilleure stratégie à adopter. De toute évidence, on a préféré se fermer les yeux sur les conflits d'intérêt et les risques de groupthink.
Cela fait plusieurs années que j'exprime à Alain Bergeron mon étonnement que les organismes soucieux de culture scientifique (comme le Conseil de la science et de la technologie, tiens!) font aussi peu appel aux points de vue de la science-fiction, que ce soit pour la vulgarisation ou la prospective, et même quand il est question de réfléchir sur le futur. Du coup, en ce qui me concerne, la conclusion suivante de Bergeron vaut admission : « Il n'en reste pas moins qu'une des leçons qu'on tirera de Perspectives STS est l'extrême difficulté de tous les acteurs, que ce soit la population en général ou les scientifiques, à se distancer du présent pour se construire une représentation du futur qui sorte des sentiers battus. » (p. 42)
Peut-être parce que tous les acteurs n'étaient pas là...