2009-02-01

 

La quatrième vexation narcissique

La cosmologie est en bonne voie d'infliger un nouveau camouflet à la vanité humaine.

Décidément, l'Univers ne nous aime pas. Ce ne sont pas seulement les théories les plus grandioses de la physique, avec leurs 10500 univers multiples, mais aussi les conséquences les plus élémentaires des observations astronomiques qui nous obligent à envisager de nouvelles preuves de notre insignifiance.

Plus ça va, plus l'humanité fait figure d'écume portée par une vague gigantesque dont elle ne s'aperçoit pas. L'importance de l'énergie et de la matière sombres est telle que la matière ordinaire, lumineuse ou non, est réduite à ne représenter que la crête de ces vastes tourbillons et accrétions invisibles. Et l'humanité, ce microscopique distillat organisé de matière ordinaire, rapetisse au point de n'être plus qu'une puce de mer emportée par la marée et juchée sur un ourlet d'écume, croyant dominer le monde parce qu'elle n'est pas consciente des profondeurs sous la surface.

Dans un numéro récent du Scientific American, on faisait état des physiciens qui croient que les planètes du système solaire pourraient traîner dans leur course des halos et des sillages de matière sombre. On commence d'ailleurs à envisager des expériences qui pourraient révéler la présence de cette masse fantomatique, dont les particules aussi impalpables que des neutrinos traverseraient par milliards nos corps de matière ordinaire...

Si ces expériences confirmaient la présence de matière sombre, l'humanité serait une nouvelle fois rabaissée, après avoir déjà vu la Terre délogée du centre de l'Univers, ses ancêtres rattachés à des lignées simiesques et sa raison asservie aux pulsions du subconscient. Après les trois blessures successivement infligées à la vanité humaine par Copernic, Darwin et Freud (selon Freud lui-même...), ce serait la quatrième vexation narcissique.

La quatrième? Seulement?

Dans cet article, Xavier Lambert cite Gerhard Vollmer, qui en recenserait sept. Aux trois vexations de Freud, Vollmer ajouterait (.PDF) l'éthologie, qui rattache non seulement la physiologie mais les comportements des humains à ceux des animaux; l'épistémologie, qui avoue son impuissance face à la compréhension de l'échelle quantique ou du cosmos; l'égoïsme des gènes révélé par la biologie moderne; et l'ordinateur, qui fixe (dans son incarnation singulariste) un terme aux progrès concevables de l'humanité en lui faisant apparaître un successeur...

C'est peut-être défendable au niveau psychologique, mais au niveau matériel, la preuve de notre insignifiance dans le monde tangible me semblerait beaucoup plus inquiétante. Car les animaux, les gènes et les intelligences artificielles relèvent également du monde matériel et seraient également diminués par l'amenuisement de la part de l'Univers qui revient à la matière ordinaire.

Quand l'étang rétrécit, est-ce vraiment important de savoir quelle grenouille coasse le plus fort?

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