2008-09-10
La hargne de Dion
Que Stéphane Dion passe au Canada anglophone pour un doux gaffeur et un gentil rêveur doit nécessairement démontrer quelque chose... mais quoi?
Garrison Keillor a fait remarquer quelque part que l'on se sent toujours un peu plus stupide et que l'on se montre toujours un peu plus conciliant quand on doit s'exprimer dans une langue étrangère que l'on ne maîtrise pas. On cherche ses mots, on fait des gaffes, on commet des bourdes en parlant. Et plus on se fourvoie, plus on présente d'excuses, plus on dit « Pardon », « S'il vous plaît » et « Merci » à la place des mots qui ne viennent pas.
De fendant en français, Dion deviendrait-il balbutiant et trop coulant en anglais parce qu'il parle mal cette langue? C'est possible, mais il est également possible que la hargne qui l'animait quand il s'agissait de démolir les argumentaires séparatistes lui fait défaut quand il doit prendre les Conservateurs de Harper comme cible.
De ce point de vue, Dion serait plus québécois qu'on le pense, plus motivé par les querelles de famille du Québec que par les débats canadiens, plus soucieux de la bonne stratégie québécoise au sein du Canada que de la bonne conduite des affaires du Canada. Sublimation œdipale parricide ou non, Stéphane Dion a dérangé le ronron nationaliste québécois à un tel point qu'on lui en veut encore dans les chaumières indépendantistes.
Par contre, il n'a pas réussi à trouver la même énergie pour s'en prendre aux Conservateurs et c'est une des plus grandes déceptions pour ses partisans au sein du parti Libéral du Canada. À la télé, Dion tente d'incarner l'indignation et la colère, mais il n'arrive pas à les exprimer (ou à les feindre) de manière convaincante. Il n'a pas l'air sincère. Et il attaque Harper sur un point qui ne mobilise presque personne dans son propre parti, en l'accusant d'être trop à droite.
C'est une accusation qui vaut diabolisation pour l'intelligentsia du Plateau à Montréal, mais Dion devrait se rappeler que la gauche a déjà ses partis de prédilection, le NDP au Canada anglophone et (peut-être) le Bloc Québécois au Québec. Quelle chance a-t-il donc de leur disputer le vote purement idéologique?
L'erreur de Dion, c'est sans doute de comprendre à sa façon (ou à la façon du Québec bien-pensant) la critique canadienne-anglaise de Harper. Si Harper horripile, ce n'est pas seulement parce qu'il suit la ligne de parti des Républicains, c'est surtout parce qu'il inféode la politique du Canada à la politique d'un pays étranger. C'est une question nationaliste, que Dion n'est peut-être pas le mieux placé pour comprendre. D'autres motifs informent aussi l'opposition à Harper. Il y a la brouille culturelle entre le Canada urbain et le Canada rural, dont témoigne l'absence de députés conservateurs dans les métropoles du pays et dont s'ensuivent les principaux désaccords idéologiques (sur l'avortement, les armes à feu, les autochtones, les homosexuels, etc.). Il y a aussi le sentiment larvé, en Ontario comme au Québec, voire dans l'Atlantique, que le gouvernement Harper tranche trop souvent en faveur de l'Alberta (notamment pour tout ce qui concerne les carburants fossiles), mais ce ressentiment restera tacite, par égard pour l'union fédérale, tant qu'on ne revivra pas les années noires d'il y a vingt ans quand l'Est était convaincu d'avoir payé le prix du combat à l'inflation engendrée en Alberta. Par conséquent, Dion devra se montrer beaucoup plus fin pour rallier au moins une partie du vote rural tout en conservant le vote urbain, en misant sur le patriotisme canadien et en offrant un message ouvert sur l'avenir.
Car, c'est sur le sujet du futur que Harper est le plus vulnérable. La critique centriste de Harper tourne autour de son dédain affiché de la culture et de l'éducation, qui est à peine moins prononcé que son manque d'attention aux problèmes posés à longue échéance par la pollution et l'effet de serre. Harper fait campagne sur des réductions d'impôt profitables dans l'immédiat... Si Dion pouvait s'emparer de la problématique du futur et parler avec conviction du Canada de nos enfants, il aurait un message presque aussi fort à opposer aux promesses séduisantes de Harper. Mais aura-t-il l'éloquence — et la hargne — qu'il faudrait pour le faire?
Garrison Keillor a fait remarquer quelque part que l'on se sent toujours un peu plus stupide et que l'on se montre toujours un peu plus conciliant quand on doit s'exprimer dans une langue étrangère que l'on ne maîtrise pas. On cherche ses mots, on fait des gaffes, on commet des bourdes en parlant. Et plus on se fourvoie, plus on présente d'excuses, plus on dit « Pardon », « S'il vous plaît » et « Merci » à la place des mots qui ne viennent pas.
De fendant en français, Dion deviendrait-il balbutiant et trop coulant en anglais parce qu'il parle mal cette langue? C'est possible, mais il est également possible que la hargne qui l'animait quand il s'agissait de démolir les argumentaires séparatistes lui fait défaut quand il doit prendre les Conservateurs de Harper comme cible.
De ce point de vue, Dion serait plus québécois qu'on le pense, plus motivé par les querelles de famille du Québec que par les débats canadiens, plus soucieux de la bonne stratégie québécoise au sein du Canada que de la bonne conduite des affaires du Canada. Sublimation œdipale parricide ou non, Stéphane Dion a dérangé le ronron nationaliste québécois à un tel point qu'on lui en veut encore dans les chaumières indépendantistes.
Par contre, il n'a pas réussi à trouver la même énergie pour s'en prendre aux Conservateurs et c'est une des plus grandes déceptions pour ses partisans au sein du parti Libéral du Canada. À la télé, Dion tente d'incarner l'indignation et la colère, mais il n'arrive pas à les exprimer (ou à les feindre) de manière convaincante. Il n'a pas l'air sincère. Et il attaque Harper sur un point qui ne mobilise presque personne dans son propre parti, en l'accusant d'être trop à droite.
C'est une accusation qui vaut diabolisation pour l'intelligentsia du Plateau à Montréal, mais Dion devrait se rappeler que la gauche a déjà ses partis de prédilection, le NDP au Canada anglophone et (peut-être) le Bloc Québécois au Québec. Quelle chance a-t-il donc de leur disputer le vote purement idéologique?
L'erreur de Dion, c'est sans doute de comprendre à sa façon (ou à la façon du Québec bien-pensant) la critique canadienne-anglaise de Harper. Si Harper horripile, ce n'est pas seulement parce qu'il suit la ligne de parti des Républicains, c'est surtout parce qu'il inféode la politique du Canada à la politique d'un pays étranger. C'est une question nationaliste, que Dion n'est peut-être pas le mieux placé pour comprendre. D'autres motifs informent aussi l'opposition à Harper. Il y a la brouille culturelle entre le Canada urbain et le Canada rural, dont témoigne l'absence de députés conservateurs dans les métropoles du pays et dont s'ensuivent les principaux désaccords idéologiques (sur l'avortement, les armes à feu, les autochtones, les homosexuels, etc.). Il y a aussi le sentiment larvé, en Ontario comme au Québec, voire dans l'Atlantique, que le gouvernement Harper tranche trop souvent en faveur de l'Alberta (notamment pour tout ce qui concerne les carburants fossiles), mais ce ressentiment restera tacite, par égard pour l'union fédérale, tant qu'on ne revivra pas les années noires d'il y a vingt ans quand l'Est était convaincu d'avoir payé le prix du combat à l'inflation engendrée en Alberta. Par conséquent, Dion devra se montrer beaucoup plus fin pour rallier au moins une partie du vote rural tout en conservant le vote urbain, en misant sur le patriotisme canadien et en offrant un message ouvert sur l'avenir.
Car, c'est sur le sujet du futur que Harper est le plus vulnérable. La critique centriste de Harper tourne autour de son dédain affiché de la culture et de l'éducation, qui est à peine moins prononcé que son manque d'attention aux problèmes posés à longue échéance par la pollution et l'effet de serre. Harper fait campagne sur des réductions d'impôt profitables dans l'immédiat... Si Dion pouvait s'emparer de la problématique du futur et parler avec conviction du Canada de nos enfants, il aurait un message presque aussi fort à opposer aux promesses séduisantes de Harper. Mais aura-t-il l'éloquence — et la hargne — qu'il faudrait pour le faire?
Libellés : Canada, Politique, Québec