2008-08-22
Les forêts d'aujourd'hui sauvées par les forêts d'hier
En 149 (soyons précis!), les Romains ont coupé une petite forêt quelque part en Provence pour construire le cirque d'Arles. En visitant Arles, il y a quelques années, j'ai retenu ce que le musée décrivait de la construction de ce cirque, fondé sur des milliers de pieux enfoncés dans un sol meuble en pleine zone inondable. Et Arles n'était qu'une des nombreuses villes de l'empire romain.
Ces derniers jours, un billet d'un blogue du New York Times m'a rappelé les effets du déboisement en Sicile, que je me souviens d'avoir étudiés à l'école primaire ou intermédiaire en Ontario. En fait, c'est déprimant de constater à quel point l'érosion des sols est connue et depuis combien de temps alors qu'on continue à défricher et cultiver.
Dans un passage souvent cité du Critias sur la région de l'Attique, Platon pressent, sans tout à fait l'énoncer, le lien entre l'agriculture, l'érosion et le déboisement :
« Une forte preuve de la qualité de notre terre, c’est que ce qui en reste à présent peut rivaliser avec n’importe laquelle pour la diversité et la beauté de ses fruits et sa richesse en pâturages propres à toute espèce de bétail. Mais, en ce temps-là, à la qualité de ses produits se joignait une prodigieuse abondance. Quelle preuve en avons-nous et qu’est-ce qui reste du sol quelle qui justifie notre dire ? Le pays tout entier s’avance loin du continent dans la mer et s’y étend comme un promontoire, et il se trouve que le bassin de la mer qui l’enveloppe est d’une grande profondeur. Aussi, pendant les nombreuses et grandes inondations qui ont eu lieu pendant les neuf mille ans, car c’est là le nombre des ans qui se sont écoulés depuis ce temps-là jusqu’à nos jours, le sol qui s’écoule des hauteurs en ces temps de désastre ne dépose pas, comme dans les autres pays, de sédiment notable et, s’écoulant toujours sur le pourtour du pays, disparaît dans la profondeur des flots. Aussi comme il est arrivé dans les petites îles, ce qui reste à présent, comparé à ce qui existait alors, ressemble à un corps décharné par la maladie. Tout ce qu’il y avait de terre grasse et molle s’est écoulé et il ne reste plus que la carcasse nue du pays. Mais, en ce temps-là, le pays encore intact avait, au lieu de montagnes, de hautes collines ; les plaines qui portent aujourd’hui le nom de Phelleus étaient remplies de terre grasse ; il y avait sur les montagnes de grandes forêts, dont il reste encore aujourd’hui des témoignages visibles. Si, en effet, parmi les montagnes, il en est qui ne nourrissent plus que des abeilles, il n’y a pas bien longtemps qu’on y coupait des arbres propres à couvrir les plus vastes constructions, dont les poutres existent encore. Il y avait aussi beaucoup de grands arbres à fruits et le sol produisait du fourrage à l’infini pour le bétail. Il recueillait aussi les pluies annuelles de Zeus et ne perdait pas comme aujourd’hui l’eau qui s’écoule de la terre dénudée dans la mer, et, comme la terre était alors épaisse et recevait l’eau dans son sein et la tenait en réserve dans l’argile imperméable, elle laissait échapper dans les creux l’eau des hauteurs qu’elle avait absorbée et alimentait en tous lieux d’abondantes sources et de grosses rivières. Les sanctuaires qui subsistent encore aujourd’hui près des sources qui existaient autrefois portent témoignage de ce que j’avance à présent. Telle était la condition naturelle du pays. Il avait été mis en culture, comme on pouvait s’y attendre, par de vrais laboureurs, uniquement occupés à leur métier, amis du beau et doués d’un heureux naturel, disposant d’une terre excellente et d’une eau très abondante, et favorisés dans leur culture du sol par des saisons le plus heureusement tempérées. »
Notons bien ces « vastes constructions » pour lesquelles on coupait les plus grands arbres... En fait, le déboisement du bassin méditerranéen dans l'Antiquité résulte à la fois de l'abattage pour la construction tant sur terre (comme à Arles) que sur mer (architecture navale), du défrichement et de l'utilisation du bois comme combustible pour le chauffage domestique, le raffinage du métal, la cuisson de la céramique et la fabrication du ciment artificiel abondamment utilisé dans les constructions romaines en béton. Mais les nouvelles friches étaient aussi livrées à l'élevage du bétail — cochons, moutons et chèvres empêchant la repousse des arbres. Dès le troisième siècle de notre ère, les crues des rivières gonflées par les eaux de ruissellement entraînent d'ailleurs des inondations dévastatrices. Le cirque d'Arles a fini par disparaître sous les alluvions apportés par le Rhône, tout comme Glanum, à quelques kilomètres d'Arles, a été ensevelie par d'autres alluvions.
Dans le cadre d'une réflexion sur le dépassement des limites naturelles (si on n'arrive pas à virtualiser l'économie), on se demande dans quelle mesure la civilisation antique a décliné quand elle a commencé à manquer de bois... Le bois était à la fois une matière première et un combustible, de sorte qu'il était au moins aussi essentiel que le pétrole peut l'être pour nous. D'ailleurs, nos économies modernes ont uniquement réussi à s'affranchir de l'approvisionnement en bois en lui substituant d'abord le charbon, puis le pétrole. Si des forêts ont pu repousser dans certaines régions de l'Occident (Nouvelle-Angleterre, France), c'est parce que nous nous chauffons maintenant avec du mazout ou du gaz naturel, que nous roulons en brûlant du pétrole et que les édifices bâtis avec de l'acier et du béton reposent également sur les montagnes de charbon et les mers de pétrole brûlées dans les raffineries et les cimenteries... Mais si ces combustibles fossiles venaient à manquer, il ne resterait pas assez de bois à la surface de la planète pour les remplacer, même en rasant toutes les forêts de demain.
Ces derniers jours, un billet d'un blogue du New York Times m'a rappelé les effets du déboisement en Sicile, que je me souviens d'avoir étudiés à l'école primaire ou intermédiaire en Ontario. En fait, c'est déprimant de constater à quel point l'érosion des sols est connue et depuis combien de temps alors qu'on continue à défricher et cultiver.
Dans un passage souvent cité du Critias sur la région de l'Attique, Platon pressent, sans tout à fait l'énoncer, le lien entre l'agriculture, l'érosion et le déboisement :
« Une forte preuve de la qualité de notre terre, c’est que ce qui en reste à présent peut rivaliser avec n’importe laquelle pour la diversité et la beauté de ses fruits et sa richesse en pâturages propres à toute espèce de bétail. Mais, en ce temps-là, à la qualité de ses produits se joignait une prodigieuse abondance. Quelle preuve en avons-nous et qu’est-ce qui reste du sol quelle qui justifie notre dire ? Le pays tout entier s’avance loin du continent dans la mer et s’y étend comme un promontoire, et il se trouve que le bassin de la mer qui l’enveloppe est d’une grande profondeur. Aussi, pendant les nombreuses et grandes inondations qui ont eu lieu pendant les neuf mille ans, car c’est là le nombre des ans qui se sont écoulés depuis ce temps-là jusqu’à nos jours, le sol qui s’écoule des hauteurs en ces temps de désastre ne dépose pas, comme dans les autres pays, de sédiment notable et, s’écoulant toujours sur le pourtour du pays, disparaît dans la profondeur des flots. Aussi comme il est arrivé dans les petites îles, ce qui reste à présent, comparé à ce qui existait alors, ressemble à un corps décharné par la maladie. Tout ce qu’il y avait de terre grasse et molle s’est écoulé et il ne reste plus que la carcasse nue du pays. Mais, en ce temps-là, le pays encore intact avait, au lieu de montagnes, de hautes collines ; les plaines qui portent aujourd’hui le nom de Phelleus étaient remplies de terre grasse ; il y avait sur les montagnes de grandes forêts, dont il reste encore aujourd’hui des témoignages visibles. Si, en effet, parmi les montagnes, il en est qui ne nourrissent plus que des abeilles, il n’y a pas bien longtemps qu’on y coupait des arbres propres à couvrir les plus vastes constructions, dont les poutres existent encore. Il y avait aussi beaucoup de grands arbres à fruits et le sol produisait du fourrage à l’infini pour le bétail. Il recueillait aussi les pluies annuelles de Zeus et ne perdait pas comme aujourd’hui l’eau qui s’écoule de la terre dénudée dans la mer, et, comme la terre était alors épaisse et recevait l’eau dans son sein et la tenait en réserve dans l’argile imperméable, elle laissait échapper dans les creux l’eau des hauteurs qu’elle avait absorbée et alimentait en tous lieux d’abondantes sources et de grosses rivières. Les sanctuaires qui subsistent encore aujourd’hui près des sources qui existaient autrefois portent témoignage de ce que j’avance à présent. Telle était la condition naturelle du pays. Il avait été mis en culture, comme on pouvait s’y attendre, par de vrais laboureurs, uniquement occupés à leur métier, amis du beau et doués d’un heureux naturel, disposant d’une terre excellente et d’une eau très abondante, et favorisés dans leur culture du sol par des saisons le plus heureusement tempérées. »
Notons bien ces « vastes constructions » pour lesquelles on coupait les plus grands arbres... En fait, le déboisement du bassin méditerranéen dans l'Antiquité résulte à la fois de l'abattage pour la construction tant sur terre (comme à Arles) que sur mer (architecture navale), du défrichement et de l'utilisation du bois comme combustible pour le chauffage domestique, le raffinage du métal, la cuisson de la céramique et la fabrication du ciment artificiel abondamment utilisé dans les constructions romaines en béton. Mais les nouvelles friches étaient aussi livrées à l'élevage du bétail — cochons, moutons et chèvres empêchant la repousse des arbres. Dès le troisième siècle de notre ère, les crues des rivières gonflées par les eaux de ruissellement entraînent d'ailleurs des inondations dévastatrices. Le cirque d'Arles a fini par disparaître sous les alluvions apportés par le Rhône, tout comme Glanum, à quelques kilomètres d'Arles, a été ensevelie par d'autres alluvions.
Dans le cadre d'une réflexion sur le dépassement des limites naturelles (si on n'arrive pas à virtualiser l'économie), on se demande dans quelle mesure la civilisation antique a décliné quand elle a commencé à manquer de bois... Le bois était à la fois une matière première et un combustible, de sorte qu'il était au moins aussi essentiel que le pétrole peut l'être pour nous. D'ailleurs, nos économies modernes ont uniquement réussi à s'affranchir de l'approvisionnement en bois en lui substituant d'abord le charbon, puis le pétrole. Si des forêts ont pu repousser dans certaines régions de l'Occident (Nouvelle-Angleterre, France), c'est parce que nous nous chauffons maintenant avec du mazout ou du gaz naturel, que nous roulons en brûlant du pétrole et que les édifices bâtis avec de l'acier et du béton reposent également sur les montagnes de charbon et les mers de pétrole brûlées dans les raffineries et les cimenteries... Mais si ces combustibles fossiles venaient à manquer, il ne resterait pas assez de bois à la surface de la planète pour les remplacer, même en rasant toutes les forêts de demain.
Libellés : Environnement, Histoire