2008-05-24

 

La fin de la novlangue nationaliste?

Enfin! On peut lire désormais le rapport (.PDF) de la Commission Bouchard-Taylor — de son vrai nom, la « Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles ». Ce serait trop facile de railler et de voir dans ce nom à rallonge un autre symptôme de la langue bureaucratique québécoise qui a transformé les collèges en CEGEP et les grands hôpitaux en CHU. Chou! En fait, la difficulté de nommer les choses peut témoigner aussi d'obstacles plus profonds à la possibilité de penser les choses autrement. En l'absence des mots adéquats, on est bien obligé d'avoir recours aux circonlocutions de ce genre. Mais pour qu'un nouveau mot s'impose, il faut que la société l'adopte.

Ainsi, hors du Québec, le multiculturalisme jouit d'une image de marque relativement positive, en particulier chez les moins de quarante ans. Ce que les gens d'un certain âge ne comprennent pas au Québec, c'est qu'il ne s'agit plus du multiculturalisme comme politique de proximité pratiquée durant les années soixante-dix, mais du multiculturalisme comme terme rassembleur et commode pour désigner une réalité de l'identité canadienne contemporaine, soit la diversité et la multiplicité des cultures. Au Québec, l'interculturalisme ne jouit pas de la même vogue. Et le terme d'« accommodement raisonnable » qui s'inscrit dans la lignée de la « tolérance » prônée autrefois souffre de la même tare, c'est-à-dire le sous-entendu que l'ouverture à l'altérité est de pure surface et refoule une certaine part de rejet, voire d'hostilité.

Le problème de la nomination n'est pas moins grand quand il s'agit de parler des francophones du Québec. Peut-on réserver le mot « Québécois » à leur seule description? Que l'on compte séparément ou non les Québécois de langue maternelle anglaise et ceux qui ont adopté l'anglais sur le tard, la minorité anglophone du Québec représente la deuxième minorité linguistique provinciale en importance au Canada après les francophones du Nouveau-Brunswick. Il semble difficile, donc, de restreindre l'emploi du terme « Québécois » aux seuls francophones puisqu'on se retrouve alors à ignorer un bon dixième de la population. (Et si on le réserve aux seuls Canadiens-français de souche, c'est une part encore plus importante de la population qui est exclue.) C'est pourquoi la précision additionnelle d'Anglo-Québécois et de Franco-Québécois s'est imposée dans certains contextes.

Au Nouveau-Brunswick, s'il est également possible de parler d'anglophones et de francophones, on peut aussi parler des Acadiens du Nouveau-Brunswick. Tous les francophones du Nouveau-Brunswick ne sont pas acadiens, et tous les Acadiens ne vivent pas au Nouveau-Brunswick, mais en première approximation, ça marche. La communauté acadienne déborde les frontières du Nouveau-Brunswick, mais la plupart y vivent bel et bien.

C'est de cette façon que Bouchard et Taylor ont été amenés à parler, comme l'avait déjà annoncé la Gazette, des Canadiens-français du Québec, encore qu'ils expliquent les choses autrement :
« Nous rejetons l’expression « Québécois de souche » pour désigner les Québécois d’origine canadienne-française. Cette expression est chargée d’une connotation négative, et ce, dans deux directions opposées : a) du point de vue des Québécois d’origine autre que canadienne-française, elle paraît affirmer une sorte de hiérarchie fondée sur l’ancienneté ; b) du point de vue des Québécois d’origine canadienne-française, elle peut évoquer une figure de repli, une image un peu folklorique et frileuse dont ils souhaitent se départir. Enfin, le terme est ambigu dans la mesure où les Autochtones aussi se qualifient comme « de souche », de même que les Anglo-Québécois. En ce sens (élargi), il vaudra mieux dire « Québécois canadiens-français » (ou d’origine canadienne-française) pour éviter toute connotation hiérarchique. »

Comme tous les francophones du Québec ne sont pas d'origine canadienne-française et comme tous les Canadiens-français ne vivent pas au Québec, le terme a ses limites, mais il a l'avantage d'être plus honnête et, surtout, de ne pas occulter le fond du problème en cachant que les tensions qui ont mené à la création de la commission n'étaient pas le fait des Acadiens du Québec ou des francophones d'autres origines, mais bien des Québécois d'origine canadienne-française, d'ailleurs confortés dans leurs réactions par la novlangue nationaliste faisant d'eux les seuls vrais Québécois au moyen de l'équivalence tacite Québécois = francophone de souche. C'est dit un peu différemment dans le rapport :
« On en voit un autre signe dans l’ambiguïté que recèle plus que jamais le terme de Québécois : pour les uns, il recouvre l’ensemble des citoyens du Québec, mais pour d’autres, il faut le réserver aux Québécois canadiens-français. D’autres, enfin, passent d’une acception à l’autre suivant les circonstances. Tout en reconnaissant la légitimité de ces différents marquages identitaires, nous y voyons une difficulté. Le fait, pour les Québécois canadiens-français, de s’approprier l’appellation de « Québécois » crée une ambivalence qui est une source de distanciation, sinon d’exclusion. Elle incite plusieurs membres des minorités ethniques à réserver (ou à concéder ?) le mot aux Francophones « de souche » et à se rabattre sur leur identité première, minoritaire sinon marginale. »

Reste à voir si un changement de terminologie pourra ébranler certaines convictions...

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