2007-12-08

 

La lauréate et les blogues

Dans son discours d'acceptation du Prix Nobel 2007 de littérature, Doris Lessing évoque le Zimbabwe moderne, le pays martyrisé par Mugabe qui est aussi le pays où elle a grandi. Ses habitants frappés de la plus haute atroce pauvreté désirent souvent, selon elle, mettre la main sur des livres. Du coup, Lessing compare ce pays sur lequel on s'apitoie volontiers à la Grande-Bretagne actuelle, où on se laisse griser par les attraits futiles d'internet (dont les blogues) au détriment de la lecture. En Afrique méridionale, on fantasme sur les librairies remplies de livre. En Angleterre, on fait de l'écrivain une célébrité adulée pour une saison avant d'être jetée aux orties...

Lessing décrit avec talent cette pauvre mère africaine qui s'arrête dans une boutique du Zimbabwe, tenue par un Indien au cœur tendre, et qui découvre un tiers du roman Anna Karenina de Tolstoi. Elle s'attarde un moment, malgré les récriminations de ses enfants, et elle déchiffre un paragraphe. Sa maîtresse d'école ne lui disait-elle pas qu'elle était la plus douée? qu'elle méritait un jour d'être institutrice? Maintenant, elle rêve de ce sort pour ses enfants, mais elle ne veut pas oublier qu'elle sait lire. Et ce paragraphe qu'elle lit péniblement, elle l'applique à sa propre vie, pour l'enrichir de quelques aspirations supplémentaires, de quelques humbles espoirs qui l'aideront à rentrer chez elle en foulant la poussière d'un pays oublié de Dieu.

Émouvant, certes. Mais si un autre article du Guardian soutient que les lauréats sont souvent des rebelles qui ont l'audace de traiter de haut les pays qu'ils représentent, je trouve que Lessing prend pour acquis la valeur des livres, ce qui lui permet d'accorder au Zimbabwe une distinction que l'Angleterre a perdu.

Elle a sans doute raison de dire que les grands écrivains grandissent le plus souvent entourés de livres dans la maison de leurs parents. Mais c'était avant internet. Or, la réseau mondial ne se limite pas aux blogues : si on veut lire Anna Karénine en français, ou encore en russe, c'est parfaitement possible. Si l'apparition d'internet a ruiné quelque chose, ce n'est ni la littérature ni l'écrit. Les deux foisonnent en-ligne. Mais c'est peut-être bien le désir de lire qui souffre le plus de la surabondance de l'offre sur internet.

Quand Lessing décrit des habitants du Zimbabwe qui ont faim de livres, qui ont soif de lecture, j'ai presque l'impression que c'est un manque biologique. Et c'est possible : dans la mesure où la lecture est une expérience immersive et un exercice de psychologie naïve, elle répond à des besoins fondamentaux de sociabilité. Avant internet, une maison pleine de livres offrait une sorte de version à basse résolution d'internet. Il n'y avait pas moyen de sortir de chez soi, mais on pouvait se convaincre qu'on s'évadait et qu'on était libre de chercher des liens de livre en livre. Maintenant qu'on a internet, un échantillonnage infinitésimal des ressources d'internet permet de combler nos besoins pour longtemps.

Et c'est ainsi que la lecture périclite dans les pays occidentaux, où elle n'est plus une drogue incontournable que pour les lecteurs les plus malheureux, les marginalisés, les esseulés et les dédaignés qui se consolent avec des romans.

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Comments:
Pour ma part, j'accuserais plutôt la télévision et l'éducation scolaire, du déclin de la lecture dans les pays occidentaux. Mais, c'est vrai qu'il est politiquement correct et facile d'accuser internet. En réalité, Internet doit certainement relancer le goût pour la lecture. C'est en tout cas un outil révolutionnaire pour les gens comme moi qui n'arrivent pas à se faire publier ailleurs.
 
En ce qui concerne la lecture, les jeunes Français ont de plus en plus de mal, comme le révèle l'enquête PISA de 2006, dont parle Le Monde dans cet article.

Donc, l'Éducation nationale en France est peut-être en cause, effectivement. Je pourrais croire aussi à l'effet des médias; même s'il n'y a pas d'effet négatif (après tout, je regarde la télé, moi aussi!), le temps qu'on passe devant l'écran on ne le consacre pas à la lecture.

En tout cas, le bon classement du Canada dans le test PISA devrait faire taire ceux qui incriment la diversité des origines dans les écoles françaises pour expliquer les mauvais résultats de l'Éducation nationale. Parmi les pays de l'Occident, le Canada se situe juste après l'Australie pour ce qui est du nombre d'immigrants et il serait même premier pour le nombre de citoyens d'origine étrangère.
 
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