2007-06-03

 

Danse dans le parc

La première semaine de mon retour au Canada s'achève et il n'a pas souvent fait grand soleil à Montréal. C'est tout un changement si je compare au ciel invariablement bleu de Nice, de Villefranche, de la Méditerranée... Mais ce n'est pas qu'il ait fait froid ou pluvieux, ou même excessivement nuageux. Simplement, le ciel a souvent été couvert, mais l'orage a plus souvent menacé qu'éclaté... Je me suis lancé dans la lecture de Nanotikal, par l'auteur allemand Marcus Hammerschmitt. (En allemand, ce roman de 2001 s'intitulait Der Zensor, c'est-à-dire « le censeur », du titre d'un des deux personnages principaux, le dignitaire maya Yaqui.) L'anticipation repose sur le postulat d'une maîtrise supérieure de la nanotechnologie par les Mayas du futur, de sorte qu'ils ont été capables de conquérir l'Espagne et de fonder des villes recréant l'environnement et le contexte des capitales historiques des Mayas au sud du Mexique. L'occupation suscite une résistance, de sorte que deux personnages vont se croiser. Tous les deux d'origine maya, ils ont choisi des camps opposés et ils sont tous les deux rejetés par les leurs en fin de compte. Hammerschmitt signe une aventure classique et carrée, mais fort efficace, qui fait intervenir une arme nanotechnologique intelligente. Je me suis laissé emporter par le récit, mais j'ai aussi continué à lire dans l'espoir que l'auteur expliquerait pourquoi les Mayas du futur ont développé ces nouvelles technologies avant tout le monde... On l'apprendra peut-être dans la suite que la conclusion de ce livre semble promettre.

En revenant du centre-ville, j'ai pris la photo ci-dessous de l'Hôtel Godin au coin des rues Saint-Laurent et Sherbrooke. C'est la preuve que le passé ne disparaît pas toujours, mais peut-être bien que ses formes changent. Depuis mon arrivée à Montréal, je voyais dépérir l'édifice Godin au carrefour de ces deux grandes artères, malgré sa valeur historique comme premier immeuble montréalais construit en béton armé. Les appartements étaient condamnés, hantés peut-être par quelques squatters. Au rez-de-chaussée, un local était occupé par un antiquaire dont j'ai visité le capharnaüm le jour de sa fermeture avant le début de la reconversion de l'édifice en élément de l'hôtel. L'édifice a bien survécu, mais j'avoue qu'il semble bien mal intégré au reste du complexe hôtelier...

En parlant du passé, il faudrait doter ce carrefour d'une plaque pour rappeler qu'il fut aussi le (premier?) lieu d'inhumation du Patriote Amury Girod, immigrant suisse que les Patriotes soupçonnèrent d'avoir fui devant l'ennemi alors qu'il allait peut-être chercher des renforts. Acculé par les Anglais à Pointe-aux-Trembles, abandonné par ses amis, il se brûla la cervelle. Selon certains témoignages, il aurait été enterré sous ce carrefour en tant que suicidé que l'on ne pouvait inhumer en terre consacrée, un pieu planté en pleine dépouille comme la loi (anglaise) le prévoyait pour les suicidés. Dans ce sort se retrouvait la crainte que les suicidés et les excommuniés puissent revenir parmi les vivants, faute d'un enterrement selon les rites, et il fallait donc bien les planter en terre pour qu'ils n'hantent pas leurs persécuteurs. C'est une des origines de la légende selon laquelle on ne peut tuer un vampire qu'en lui crevant le cœur d'un épieu...

Comme l'après-midi tirait à sa fin, j'avais renoncé à aller voir un film ou à visiter un musée. Sauf qu'une surprise m'attendait dans le parc du Mont-Royal sur le chemin de mon chez-moi. Une représentation gratuite par une troupe improvisée d'une vingtaine de danseurs, « Le retour du temps ». Il s'agissait en fait de finissants de trois écoles de danse montréalaises, appelés à évoluer dans le parc sur une chorégraphie de Lucie Grégoire. Ils en étaient à leur seconde performance de l'après-midi et j'en avais raté le début. Mais j'ai été captivé par ce que j'en ai vu, dès que je suis tombé sur leur petite troupe qui descendait le chemin Olmstead au pas, d'une allure si lente et mesurée que j'ai d'abord cru avoir affaire à du performance art. En un sens, c'était bien de cela dont il s'agissait, mais les danseurs ne se sont animés qu'ensuite, se mettant à courir brusquement comme une volée de moineaux effrayés avant de reconstituer leur phalange avançant au pas... Leur mouvement d'ensemble n'excluait pas non plus des interventions individuelles : à l'arrière du groupe dans cette photo, tout à gauche, on peut deviner derrière la danseuse aux cheveux rouges quelque chose qui détonne. En fait, il s'agit d'une danseuse qui en a pris une autre sur elle, dos à dos, et qui la porte sur quelques mètres.

La suite de la performance a offert aux spectateurs une alternance de tableaux et de mouvements, profitant du décor du parc : pentes, boisés, sentiers... L'effet d'une troupe bougeant de concert n'est pas négligeable; le groupe tenait automatiquement les spectateurs à distance. En même temps, seul le spectateur est libre de son regard, car les danseurs ont des poses assignées et leurs regards ont des directions fixées par la chorégraphie. Ce sont sans doute les clés de l'équilibre qui s'établit. Sinon, la danse deviendrait manœuvre, voire agression.

La performance de la troupe m'a permis de redécouvrir le parc. À la fin, tous les danseurs regardaient ensemble le paysage qui s'offre de l'éminence derrière le pavillon du lac. Auparavant, la troupe avait aussi remonté une pente herbue à quatre pattes, comme une harde de sangliers victimes d'une métamorphose circéenne, dansé une farandole autour des troncs, jonché les gazons de leurs corps étendus et adoré les arbres — encerclant les troncs, mains contre l'écorce, trépignant sur place en produisant un bruit de piétinement qui évoquait sans doute le tambourinement de la pluie dans une forêt...

Si les gestes des danseurs manquaient parfois d'unisson, il faut sans doute l'imputer au manque de temps pour les répétitions. On imagine facilement qu'il n'est pas si facile de réunir des finissants accaparés par d'autres priorités au printemps. Mais on souhaiterait voir plus de performances de ce genre dans le parc...

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