2007-02-09

 

L'éducation est une marque de yaourt

Au Québec, l'éducation est une marque de yogourt... C'est du moins ce qu'il faut conclure du mouvement général de la société et des étudiants qui tiennent absolument à avoir l'éducation la moins chère possible. S'ils pouvaient découvrir un coupon-rabais ou se la faire donner pour rien à l'Accueil Bonneau, on les verrait faire la queue.

Au Québec, les droits de scolarité au premier cycle étaient, en moyenne, de 1916 $ en 2006-2007 tandis qu'au Canada, ils étaient de 4347$ en moyenne. Quant aux autres frais obligatoires, ils étaient certes plus élevés au Québec qu'au Canada dans son ensemble, mais la différence était minime : 624 $ au Québec, alors que ces frais étaient en moyenne de 619$ au Canada.

Visuellement, cela peut s'observer sous la forme ci-dessous. Pour simplifier, j'ai regroupé les trois provinces des Prairies et les quatre provinces de l'Atlantique. Cherchez l'intrus!

Pourtant, les frais de scolarité relativement modestes du Québec sont loin de correspondre à une présence accrue des jeunes dans les universités québécoises. Examinons le diagramme ci-dessous, construit avec les frais de scolarité de 2006-2007 et un indicateur approximatif de la présence des jeunes dans les universités de chaque province en 2004.
En abscisse, on retrouve les frais de scolarité. À l'extrême-gauche, on retrouve le Québec, suivi de Terre-Neuve et du Manitoba. Au centre, une demi-douzaine de provinces exigent des frais de scolarité relativement semblables, tournant autour de 5000$. À l'extrême-droite trône la Nouvelle-Écosse, la seule province où les frais moyens dépassent les 6000$, plus du triple des droits de scolarité au Québec.

En ordonnée, on retrouve un indicateur approximatif de la présence relative des jeunes d'une province qui sont à l'université. Il correspond au nombre d'étudiants à temps plein par province en 2004 rapporté au nombre de jeunes de 18 à 25 ans inclusivement dans chaque province en 2004. J'ai dû me rabattre sur les chiffres disponibles et il ne faut pas prendre ce chiffre comme une mesure précise de quoi que ce soit. Les étudiants à temps plein sont majoritairement au premier cycle, mais ils incluent aussi les étudiants à la maîtrise et au doctorat qui peuvent avoir plus de vingt-cinq ans. Les chiffres pour le groupe d'âge en question incluent-ils les étudiants étrangers? Je n'en suis pas sûr et il est clair qu'une mesure véritable du taux de présence des jeunes dans les universités exigerait d'avoir le nombre d'étudiants originaires du système scolaire d'une province qui se retrouvent dans les universités de la même province. Toutefois, comme la méthodologie est la même dans toutes les provinces, on peut comparer la valeur de cet indice d'une province à l'autre et en tirer des conclusions.

Il faut d'abord écarter le cas de l'Alberta. En plein boom pétrolier, de nombreux jeunes vont choisir de travailler dans l'industrie afin de s'acheter une maison tout de suite plutôt que d'aller à l'université à leurs frais. De plus, les universités albertaines n'ont jamais eu une vocation internationale particulièrement prononcée et je doute qu'elles attirent beaucoup d'étudiants de l'extérieur de la province. On peut légitimement soupçonner aussi que le groupe d'âge est gonflé par l'immigration interprovinciale, de sorte que l'indice de fréquentation des universités est particulièrement bas.

Inversement, la Nouvelle-Écosse s'est faite une spécialité d'attirer des étudiants de l'extérieur dans ses universités en leur offrant une expérience plus conviviale et moins formatée, dans des cadres agrestes, un climat moins rude qu'ailleurs et une province où l'on n'est jamais loin de l'océan. Du coup, les chiffres sont gonflés par l'afflux d'étudiants venus d'ailleurs qui ne sont pas découragés par les droits de scolarité les plus élevés du pays.

La Colombie-Britannique à part, toutes les autres provinces du pays ont des indices de fréquentation se situant entre 0,2 et 0,3. Bien malin celui qui pourrait dégager une tendance nette à l'intérieur de ce groupe. Au Québec comme en Ontario, il y a de grandes universités qui revendiquent une vocation internationale, mais les droits de scolarité moitié moins élevés au Québec se traduisent par une fréquentation de 20% plus basse. Les Québécois ne sont pas tellement plus pauvres que les Ontariens, mais il est peut-être significatif qu'on rapporte que les parents québécois seraient moins disposés à aider leurs enfants qu'ailleurs. On pourrait aussi soulever le cas des cégeps propres au Québec, qui interposent un filtre additionnel entre le système scolaire et le système universitaire.

En tout cas, le statisticien Marc Frenette a conclu (.PDF), au terme de plusieurs années d'études du rapport à établir (ou non) entre les contraintes financières et la fréquentation des universités, que cela n'avait presque rien à voir :

« Je conclus que 96 % de l’écart total dans la fréquentation de l’université entre les jeunes se situant au quartile supérieur de revenu et ceux appartenant au quartile inférieur s’explique par des différences dans les caractéristiques observables. Les différences dans les facteurs à long terme comme les notes aux tests normalisés de lecture et les notes scolaires obtenues à 15 ans, l’influence des parents et la qualité de l’école secondaire expliquent 84 % de l’écart. En revanche, seulement 12 % de l’écart est relié aux contraintes financières. Les résultats sont comparables pour les différents quartiles de revenu et lorsque j’utilise des notes aux tests normalisés de mathématiques et de sciences. Toutefois, une plus grande partie de l’écart est attribuable aux notes en lecture qu’aux notes à d’autres tests. »

Bref, faites-les lire et ils iront à l'université. Pas plus compliqué que cela, et cela rejoint les arguments de nombreux partisans d'un ré-investissement dans les bibliothèques publiques et scolaires.

Certes, Frenette note qu'il y a des cas où la pression financière joue pour certains groupes. Par exemple, quand les frais augmentent rapidement (.PDF), quand l'aide financière publique n'est pas à la hauteur ou quand les jeunes sont dans l'impossibilité de fréquenter une université tout en restant chez leurs parents. Toutefois, le résultat qu'il a obtenu précédemment dans le cas d'une hausse brutale des frais est révélateur. Quand les droits exigés pour des programmes professionnels universitaires sont montés en flèche en Ontario, les jeunes issus des familles les plus riches et les plus pauvres ont été plus nombreux à s'inscrire, tandis que les jeunes issus de la classe moyenne ont hésité.

Cette réaction traduit-elle une prise de conscience de la valeur d'une éducation plus coûteuse? Quand on songe à quel point le Québec profond peut être hostile à la diversité (culturelle et intellectuelle), on finit par se demander si, au Québec, on réclame une éducation qui ne doit pas coûter cher parce qu'on est convaincu que ça ne vaut pas cher...

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