2007-02-17

 

La province la plus indépendante

Vendredi, un article de Claude Picher dans La Presse présentait un travail de Stephen West dans L'Observateur économique canadien de Statistique Canada et Picher concluait : « Il s'agit sans doute du travail le plus rigoureux jamais effectué sur le sujet. » Ce qui permettait à Picher de faire la manchette avec l'affirmation que les Québécois sortent gagnants de leurs rapports avec le gouvernement fédéral, en sous-entendant que la démonstration était nouvelle et sans appel.

Or, je me demande si Picher a lu le même article que moi. West ne propose nullement un nouveau décompte des gains et des pertes par province; il se contente d'analyser les composantes utilisées actuellement par les comptes économiques provinciaux (CEP) et il en fait ressortir les aspects plus douteux. Dans son paragraphe d'introduction, West dit bien :

« Le présent document porte sur les concepts, les sources et les méthodes qui sous-tendent ces estimations et montre les nombreuses lacunes que comporte leur utilisation pour déterminer qui profite des activités fédérales. »

Et West conclut, au terme de son tour d'horizon :

« Le problème qui sous-tend la mesure des coûts et des avantages de la Confédération, à partir des CEP ou autrement, est que l'ensemble des activités fédérales comporte à la fois des coûts et des avantages. Les coûts sont relativement faciles à mesurer, tandis que les avantages plus généraux et largement partagés sont, malheureusement, beaucoup moins faciles à quantifier, tant du point de vue de leur étendue que de leur situation géographique.

« Les CEP visent à estimer la valeur de la production de biens et de services dans chaque province et territoire, ainsi que les sources et les utilisations des revenus découlant de cette production. Par conséquent, les responsables des comptes économiques provinciaux ont été amenés à adopter des conventions et des méthodes d'imputation des revenus et des dépenses de l'administration fédérale qui sont considérées comme les meilleures disponibles à cette fin. Même si ces conventions et méthodes peuvent sembler raisonnables pour certaines fins, il se peut qu'elles ne le soient pas pour d'autres. Statistique Canada n'a pas choisi ces méthodes et conventions dans le but d’analyser la répartition provinciale des coûts et avantages des mesures et des politiques de l'administration fédérale. Par conséquent, les utilisateurs devraient être sensibilisés aux méthodes et aux conventions utilisées pour produire ces estimations avant d’y avoir recours pour procéder à un moyen de mesurer avec précision les coûts-avantages de la Confédération. »

De plus, La Presse reproduit un tableau dont la troisième colonne correspond (au signe près) à la seconde colonne du Tableau 1 de West, à l'exception de quelques montants qui diffèrent d'un dollar et, fort curieusement, des chiffres pour le Manitoba. Les deux premières colonnes de ce tableau de La Presse semblent correspondre aux rangées finales des Tableaux 2 et 3 de West, exception faite encore une fois des chiffres pour le Manitoba. (Je soupçonne que les différences d'un dollar s'expliquent par l'opération faite sur les deux premières colonnes de La Presse pour obtenir la troisième, alors que West avait obtenu la sienne en utilisant des chiffres tenant compte des dollars et des cents, puis arrondis au dollar près.)

L'erreur dans le cas du Manitoba s'explique par une coquille. Tout part d'une retranscription erronée du Tableau 3 de West, qui donne 8276$ de dépenses fédérales par personne. La Presse cite plutôt 9276$. Comme la population du Manitoba était 1,170 millions de personnes en 2004, le faux chiffre de 9276$ permet à Picher de calculer que le fédéral a dépensé 10,9 milliards de dollars au Manitoba, chiffre parfaitement fictif. En partant du vrai chiffre des recettes de 5131$, Picher obtient des recettes de six milliards, chiffre réel. Ce qui confirme le chiffre erroné de 4145$ en dépenses fédérales par personne au Manitoba alors que le vrai chiffre est de 3145$...

Bref, le travail de West était peut-être rigoureux, mais pas celui de Picher.

Enfin, ce que je retiens du tableau des comptes économiques provinciaux, c'est que le Québec est la province centrale de la fédération, celle dont le niveau de contribution nette se rapproche le plus de zéro (la contribution nette de l'administration fédérale au Québec est de 281$ par personne). Toutes les autres provinces soit donnent nettement plus soit reçoivent nettement plus. Dans un certain sens, on pourrait soutenir que le Québec est d'ores et déjà la province la plus indépendante du Canada (si ces chiffres représentent bien la réalité, comme le rappelle Stephen West). En même temps, si le but du Québec, c'est nécessairement d'aller chercher du butin, il faudrait sans doute se demander si les gouvernements québécois successifs ont adopté la bonne stratégie. En réclamant leur part sur tous les tons et en déchirant leur chemise en public, ont-ils au contraire obligé le gouvernement fédéral à calculer le plus étroitement possible sa contribution au Québec afin de ne pas donner l'impression qu'il récompensait le bébé gâté de la fédération? Ou bien, si les différents niveaux de contribution reflètent bien la réalité, il faudrait conclure que le Québec est la province moyenne par excellence et la province la plus représentative du Canada dans son ensemble.

Ce qui ne serait pas dénué d'ironie.

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Comments:
(Désolé de polluer ainsi le blog, mais je n'arrive pas à te contacter, Jean-Louis. Pourrais-tu me mailer ? Merci. P. Grimbert)
(Bien sûr, efface ce message si tu peux)
 
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