2006-09-10

 

Les coûts du 11 septembre

Le Canada est en Afghanistan.

La rumeur dit que le premier ministre Stephen Harper prononcera un discours pour l'anniversaire du 11 septembre qui établira un lien entre les attentats du 11 septembre et la présence canadienne en Afghanistan. Du point de vue de la chronologie, cela ne fait aucun doute. Si ces attentats n'avaient pas eu lieu, il est douteux que des soldats canadiens se feraient tuer en ce moment en Afghanistan.

Mais est-ce bien nécessaire? Il paraît que Stephen Harper souhaiterait établir un lien supplémentaire entre la vingtaine de Canadiens qui sont morts le 11 septembre et les combats de l'armée canadienne en Afghanistan. Ce lien repose sur des bases beaucoup plus fragiles. D'une part, les soldats canadiens font la guerre aux Talibans, qui hébergeaient et soutenaient Al-Qaida mais qu'il ne faut pas confondre avec les militants d'Al-Qaida. D'autre part, rien ne permet de croire que ces Canadiens étaient visés spécifiquement en tant que Canadiens. Ils travaillaient à l'étranger et ils ont eu le malheur de faire partie des dégâts collatéraux d'une attaque visant les États-Unis. Une dizaine de Canadiens, dont un représentant officiel de notre pays, sont morts au Liban cet été sous les bombes israéliennes ; le Canada n'a pas pour autant déclaré la guerre à Israël. Et quand des dizaines de Canadiens sont morts en plein ciel au-dessus de l'Angleterre dans l'attentat du vol 182 d'Air India en 1985, le Canada n'a pas envoyé de soldats en Inde.

Serait-il d'ailleurs raisonnable d'engager des dépenses aussi importantes (il est maintenant question d'envoyer quelques-uns de nos blindés les moins rouillés) si c'était uniquement pour riposter aux attentats du 11 septembre? Les coûts encourus par le Canada en raison de ces attentats (la mort des Canadiens à New York comptant pour beaucoup moins que les retombées économiques de l'arrêt des vols ou le blocage des frontières) sont sûrement sur le point d'être dépassés par les coûts de nos déploiements militaires en Irak, si ce n'est déjà fait.

Si l'armée canadienne est en Afghanistan, c'est parce que le Canada est un allié des États-Unis, cette alliance ayant été formalisée par la fondation de l'OTAN en 1949. Accessoirement, le Canada se trouve en Afghanistan parce qu'il ne se trouve pas en Irak, mais il y serait venu tôt ou tard dans le cadre de l'OTAN. Tout discours contraire relèverait de la démagogie (de droite) et c'est malheureusement la marque de fabrique du nouveau parti Conservateur, dont les habits neufs cachent mal la carrure des rednecks de l'ancienne Alliance canadienne qui avait remplacé le parti de la Réforme de Preston Manning...

Sur son blogue, Tom Engelhardt propose une uchronie : que se serait-il passé si les tours du World Trade Center, après avoir été frappées par les avions détournés, ne s'étaient pas écroulées? Les aspects cataclysmiques de cet événement capté sur le vif par les caméras n'ont-ils pas permis au public étatsunien — et à l'administration Bush — d'assimiler ces attentats à une frappe nucléaire autorisant toutes les représailles? Sans ce double écroulement, les attentats n'auraient-ils pas été traités comme un simple avatar des attentats antérieurs organisés par Al-Qaida?

Je n'en suis pas entièrement convaincu. Certes, il faut admettre que, sur le coup, l'horreur a atteint son paroxysme quand les tours se sont effondrées et qu'il était loin d'être clair combien de victimes se retrouvaient alors enterrées dans les décombres. Les médias parlaient de cinquante mille employés potentiellement au travail dans ces tours et ils ont longtemps refusé de se prononcer sur le nombre envisageable de victimes. Pourtant, le soir même, il m'avait semblé évident que si des personnes avaient pu fuir des étages immédiatement inférieurs aux étages en flammes, la plupart des occupants au travail à des niveaux plus proches du sol (qui représentaient environ 90% de la hauteur de chaque tour) avaient sans doute pu s'enfuir. (On ne double pas dans les escaliers...) Il fallait donc diviser par dix. Quelques jours plus tard, on a appris que tous les étages n'étaient pas occupés, de sorte que le nombre de victimes n'a pas dépassé trois mille, même compte tenu des passagers dans les avions et des pompiers ou ambulanciers qui arrivaient à la rescousse.

Sur le coup, toutefois, les spectateurs impuissants pouvaient croire qu'ils venaient d'assister à la pulvérisation au ralenti de l'équivalent d'une petite ville. Les autres aspects visuels de l'événement ont pu contribuer à en faire une catastrophe apparemment apocalyptique, mais je crois que l'horreur viscérale du moment était en partie inspirée par la pensée de ces dizaines de milliers de personnes en train d'être écrasées comme par un marteau-pilon gigantesque, n'ayant que le temps de lever les yeux vers le plafond en entendant un grondement lointain qui se rapprochait comme une avalanche... Même lorsqu'il aurait fallu corriger plus tard notre conception du massacre, il était sans doute trop tard pour atténuer l'impact initial.

L'horreur de ce jour est aussi venue, à mon avis, d'un autre élément du spectacle monté par Al-Qaida, et qui a entièrement précédé l'effondrement des tours.

À la télévision, tous ont pu voir un avion de ligne qui s'encastrait dans une tour. Quelque part, sur le verso d'une page maintenant aux archives du CRCCF, j'ai écrit un poème qui commençait par cette ligne, je crois : « We rarely see the knife go in ». Nous ne voyons pas souvent le couteau entrer dans la chair, mais, ce jour-là, le couteau était un avion apparemment rempli de gens qui s'enfonçait dans une tour également remplie, en principe, de personnes. L'agression était un acte dont l'effroi était multiplié par toutes ces victimes dont la mort même perdait son sens parce qu'elle avait été assujettie au projet des terroristes. Il y avait dans ce choix d'Al-Qaida quelque chose de plus atroce que le massacre systématique de la Shoah, qui, lui, trahissait quelque part une forme de crainte ou de haine, et donc de reconnaissance, de ceux-là mêmes qui étaient tués. Mais précipiter tous ces passagers dans les tours afin de les détruire comptait leurs vies pour rien. Ce n'étaient même plus des meurtres. Les victimes des tours ont été assassinées; les victimes des avions ont été fondamentalement niées et nous nous refusons encore aujourd'hui à plonger notre regard dans l'abîme de cette négation.

(Le refus est patent dans le cas des conspirationnistes qui ont commencé par proposer, dans plusieurs cas, que les avions étaient vides.)

Les attentats du 11 septembre ne se réduisent pas à l'effondrement des tours. Les réactions auraient sans doute été plus mesurées sans ces effondrements, mais l'envergure et l'horreur du projet d'Al-Qaida n'auraient pas été tellement amoindris. Et la conviction serait demeurée que les terroristes d'Al-Qaida s'étaient eux-mêmes mis au ban de l'humanité.

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(Attentats du 11 septembre 2001 et terrorisme divers : trois textes contre le discours officiel mensonger et le matraquage médiatique à sens unique.)

1 - LES LARMES DES NANTIS

On parle souvent "d'horreur", de "barbarie" quand on évoque les attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les tours géantes du Word Trade Center à New York...

Ce serait vite oublier les raisons qui ont amené ces attentats, en tous cas la situation économico-politique de l'Amérique du Nord.

Sans approuver pour autant ces attentats meurtriers et très spectaculaires contre le symbole obscène du pays le plus opulent, le plus gaspilleur et le plus égoïste du monde, je comprends parfaitement la colère des terroristes et la joie des pays qui ont applaudi ces "horreurs" comme les médias occidentaux se plaisent à qualifier ces événements, sans s'embarrasser de nuances. Horreurs ? Certes. Mais alors comment qualifier l'embargo sur l'Irak qui a duré 10 ans et qui a tué à petit feu, loin de nos caméras larmoyantes, des centaines de milliers de gens, enfants compris dont les survivants sont devenus rachitiques faute de soins médicaux et de rations alimentaires ? Ces innocents-là, bien plus nombreux que les innocents de New York, avaient le tort d'être irakiens, il est vrai. Pendant que les enfants de l'Amérique du nord devenaient obèses, les enfants de l'Irak rendaient l'âme jour après jour.

Quelle honte de commémorer avec des splendeurs martiales dispendieuses les victimes des attentats du 11 septembre 2001 et de passer en même temps sous un criminel silence les centaines de milliers d'Irakiens victimes de la barbarie américaine !

Sachant que les 300 millions d'américains qui représentent 4 pour 100 de la population mondiale consomment 25 pour cent des richesses de la planète, une journée pour faire tourner les États-Unis d'Amérique coûte des milliers de morts dans les pays pauvres. Une journée ordinaire aux États-Unis d'Amérique se paye à l'autre bout de la planète par des milliers de gens spoliés, écrasés, exploités, tués... Soit directement par fait de guerre (comme en Irak), soit indirectement par pillages, monopoles économiques et injustices interposés. Pour qu'un américain moyen puisse vivre selon les critères de décence et de confort en vigueur sous ses latitudes, il lui faut marcher sur la tête de 10 personnes habitant dans les pays pauvres.

La véritable barbarie n'est pas dans l'écroulement fracassant des tours de New York mais dans la face cachée, insidieuse des choses. La vraie barbarie est dans l'obésité de l'Amérique. C'est son excès de richesses (formant une authentique pornographie alimentaire), son arrogance martiale, sa suprématie mondiale qui ont provoqué l'écroulement des tours. C'est à cette ignoble vérité en priorité que devraient s'éveiller les consciences à l'évocation des attentats du 11 septembre 2001. Je ne me laisserai pas embrigader dans le grand cirque mondial consistant à commémorer 3000 victimes nanties, en ignorant éhontément les millions d'autres victimes déshéritées causées par les USA.

2 - TERRORISTE

J'ai vu le jour sous l'empire de Misère, dans les quartiers des damnés de Calcutta.

Certains disent de moi en riant, incrédules, que je suis une caricature, un cliché éculé, mais moi je sais bien que je suis un homme de chair et de lumière, fier et ravagé, plein de rêves et de douleur.

Elevé entre ciel et caniveau avec les herbes sauvages, la faim m'a poussé au crime. La geôle a fini d'endurcir mon coeur qui je crois était fait pour l'amour. Chien galeux parmi les loups, j'erre sur la terre des hommes, en quête de vengeance et de justice car les loups ont fait de moi un autre loup. Plus laid, plus libre, plus féroce, plus affamé.

Plus fort.

Ma force justement, je la puise dans le désespoir, n'attendant déjà plus rien alors que commence et s'achève ma vie.

Je souhaite la mort des riches, la victoire de l'arbitraire, la suprématie de l'altruisme universel et oeuvre de tout coeur pour le malheur de mes ennemis. Je porte en moi la haine la plus noire mais aussi un amour infini : la haine innée du pauvre pour le nanti, l'amour sans fin du déshérité pour son Dieu absent. Sans loi ni jours heureux, je conçois des guerres sans terme. Mais, n'étant qu'un gueux, je tue à mains nues, vole à pleines dents, pleure sans larmes.

A présent je meurs de mes crimes, meurs de votre indifférence, meurs de faim. Vous m'appelez TERRORISTE parce que vous avez peur, parce que vous êtes riches, parce que vous êtes du bon côté de la barrière.

Avec votre belle conscience de repus.

Vous m'appelez TERRORISTE et moi je vous appelle COUPABLES.

3 - TERRORISME ETATIQUE

Certes les chefs d'états des pays les plus riches du monde qui s'étaient réunis au G8 de Londres arboraient des mines affligées tout-à-fait de circonstance devant les événements sanglants de la capitale britannique. J'ai attentivement écouté les brèves interventions officielles de Bush et de Poutine qui condamnent à raison le terrorisme.

Tous deux pourtant pratiquent le terrorisme d'état, professionnel, légalisé et qui plus est, à l'échelle industrielle, terrorisme pudiquement appelé "gestion de crise" ou bien "opération de maintien de l'ordre" . Le premier, en Irak. L'autre, en Tchétchénie. Tous deux assassinant, massacrant sans état d'âme un peuple, en tout cas s'attaquant à des populations civiles sans défense. Viols, destructions, enlèvements, tortures et assassinats en Tchétchénie. Meurtres de civils (femmes et enfants) en Irak, là encore pudiquement appelés "dégâts collatéraux". Sans compter que pour défendre sa cause pétrolière Bush n'hésite pas à exposer une catégorie de son propre peuple à la mort en envoyant des jeunes soldats yankees au casse-pipe.

(Poutine quant à lui, entre autres crimes à son actif, laisse mourir les jeunes hôtes d'un sous-marin accidenté -le Koursk-, en refusant l'aide des pays voisins pour une question de pure fierté nationale, affaire révélatrice de l'état d'esprit des têtes couronnées de ce monde qui condamnent le terrorisme islamique mais qui jouent aux échecs avec la vie de leurs hommes).

Trente sept mort dans le métro londonien, le bilan est terrible. Mais combien plus terrible est le résultat du terrorisme étatique, lorsqu'on compte plus de mille morts, rien que dans les rangs de l'armée US.... Combien de milliers d'autres morts anonymes en Irak et en Tchétchénie à mettre sur le dos de ces deux dirigeant évoqués, si prompts à s'émouvoir devant les victimes "civilisées" du métro londonien ?

Les deux plus grands terroristes du monde que sont Bush et Poutine ont la chance d'avoir pour eux la loi, le pouvoir, ils peuvent en toute impunité perpétrer leurs méfaits à l'encontre des populations civiles, confortablement assis sur leur trône.

Tous les terroristes sont à condamner, aussi bien ceux qui oeuvrent "au noir" dans le métro que ceux qui sont déclarés. Aussi bien ceux qui le pratiquent illégalement que ceux qui le font de manière professionnelle et dûment encadrée par la loi.

J'ajoute que la violence quand elle est perpétrée ponctuellement de manière artisanale et somme toute très limitée dans le métro, est appelée BARBARIE.

Quand elle est commise légalement (donc "proprement") à grande échelle à coups de bombes atomiques courageusement lâchées sur des villes lointaines et fort peu occidentales telles que Hiroshima et Nagasaki, elle est appelée CIVILISATION.

On a dit que la chute des deux tours avec ses 3000 morts était le summum de l'horreur. Mais alors comment appelle-t-on la réduction en poussière de 200 0000 japonais innocents ?

Textes de Raphaël Zacharie de Izarra
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La vérité est du côté de la civilisation. Par conséquent, le souci de la vérité impose d'employer les mots justes quand il le faut. La destruction des tours du World Trade Center a été un acte terroriste, barbare et cruel. Ce n'est pas le premier de l'histoire de l'humanité, et ce ne sera pas le dernier. J'ai insisté dans mon billet sur la mise en scène de l'horreur le 11 septembre 2001, qui explique pourquoi ce crime restera plus longtemps dans les mémoires que d'autres, plus graves. Cela dit, on peut ensuite parler des autres actes qui ont ensanglanté l'histoire du monde et tenter de décider lesquels sont plus barbares que les autres.

Toutefois, ce genre de débat me répugne, mais moins que les tentatives de justifier l'assassinat de quiconque. Oui, le sort de l'Irak depuis vingt ans est une horreur. Oui, il faut déplorer les enfants irakiens morts de malnutrition et de maladies infantiles, mais il faudrait aussi se souvenir que cet embargo a cessé d'être total lors de la mise en place du programme Pétrole contre nourriture. J'ai examiné les données en cause : la courbe de la mortalité infantile redescend après le début de l'allocation de rations équitables par l'ONU et rejoint à peu près le niveau de 1990, juste avant l'invasion par les États-Unis. Ce qui veut dire que cette mortalité était alors devenue plus basse que la mortalité infantile dans plusieurs pays du monde, et particulièrement en Afrique. Les enfants africains sont aussi innocents, mais il semblerait que les seules morts qu'on doive regretter, ce sont celles qu'on peut imputer aux États-Unis.

Rapprocher la richesse des États-Unis et la pauvreté ailleurs dans le monde, c'est commettre une erreur de logique. Ce n'est pas seulement parce que les pauvres sont pauvres que les riches sont riches. Les habitants des États-Unis étaient plus riches que la moyenne du reste du monde avant que leur pays devienne une puissance impérialiste, ils ont continué de l'être lorsque cette puissance a touché à son zénith et il y a de bonnes chances qu'ils le demeurent encore longtemps, même dans un monde multipolaire. L'exploitation d'un vaste marché intérieur, l'utilisation des ressources naturelles d'un continent et l'occupation d'une niche spécialisée lucrative dans une économie mondialisée expliquent en grande partie la prospérité des États-Unis. La dure vérité, c'est que la disparition de la plupart des pays pauvres de la planète ne diminuerait cette prospérité que de quelques points de pourcentage.

Quant à Hiroshima et Nagasaki, ce sont sans doute des crimes de guerre, mais la dure vérité, c'est aussi que seule une civilisation pouvait en commettre de tels. (Encore que le nombre de victimes dans ces deux bombardements est de loin inférieur à celui des méthodes moins avancées utilisées au Rwanda, au Cambodge, en Chine communiste, en Union soviétique, dans les camps nazis et même dans l'Empire ottoman finissant qui a voulu en finir avec les Arméniens.) Je suis assez partisan de les traiter comme tels, mais c'est un peu tard pour revenir sur la question.

Sans doute avez-vous recyclé vos textes un peu partout sur la Toile, sans trop examiner les billets auxquels vous répondiez. Je n'ai pas parlé de l'horreur morale des attentats du 11 septembre, mais de l'horreur ressentie par les témoins. En raison des moyens médiatiques disponibles dans un haut lieu de la civilisation communicationnelle, cette horreur a été maximisée. D'autres meurent ailleurs, c'est sûr, mais ils meurent en silence.
 
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