2006-07-18

 

Regards sur la littérature canadienne, regards sur le Canada

Il y a déjà un moment, The Toronto Star publiait une liste d'ouvrages incontournables de la littérature canadienne. La liste longue compte soixante-dix titres, dont un cinquième relève de la création francophone, tandis que la liste courte est ramenée à dix titres, dont un cinquième d'origine francophone.

Si on continue à jouer le jeu de la représentativité, on remarque tout de suite que la plupart des auteurs viennent de l'Ontario ou du Québec. Deux auteurs ont un lien avec les Prairies, soit Gabrielle Roy la Manitobaine et le Néo-Canadien Thomas King qui a enseigné en Alberta, mais le roman de Roy qui a été retenu, Bonheur d'occasion, porte sur le Québec. A priori, je ne vois pas un seul auteur des Maritimes dans cette liste, si on ne compte pas Hugh MacLennan, né en Nouvelle-Écosse mais arrivé à Montréal dans la vingtaine. Il ne faut sans doute pas s'en surprendre; la critique littéraire torontoise, on le lui reproche souvent, a une vision un peu bornée du pays. Du coup, c'est l'axe Toronto-Montréal (Leacock, Roy, Nelligan, MacLennan, Cohen, Atwood, Ondaatje) qui domine; il n'y a vraiment que Thomas King, Kogawa et Munro qui signent des œuvres enracinées dans d'autres terroirs. Certes, Sunshine Sketches of a Little Town (1912) de Leacock est un recueil inspiré par Orillia, mais Orillia est de nos jours une banlieue lointaine de Toronto et c'est la vision d'Orillia par un prof de McGill...

Ce que je crois repérer aussi dans la liste longue, c'est une accumulation d'ouvrages parus entre 1950 et 1980 — la moitié des titres datent de ces trois décennies. Ceci a sans doute plus à voir avec l'âge des sélectionneurs qu'avec le mérite de ces ouvrages. Les critiques d'un certain âge écartent naturellement les titres plus récents, soit parce qu'ils considèrent ne pas avoir le recul nécessairesoit parce qu'ils donnent la priorité aux traitements d'un thème qu'ils ont lus d'abord. Ce sont les ouvrages qui les ont impressionnés du temps de leur jeunesse qui surnagent le plus facilement.

Les choix de titres francophones dans la liste longue sont intéressants dans la mesure où, hormis des gros vendeurs comme Le Matou de Beauchemin et Life of Pi de Martel, presque tous les titres datent d'avant 1970 ou sont signés, s'ils sont postérieurs, par des auteurs qui ont émergé vers 1970 ou avant (comme Marie-Claire Blais, Roch Carrier ou Gérald Godin). Est-ce la faute à l'absence de traductions d'œuvres marquantes postérieures? (Je ne demanderai pas si c'est dû à l'absence d'œuvres marquantes, point...) Est-ce l'expression d'un sentiment certainement inavoué et même inconscient que les auteurs francophones d'après 1976 n'appartiennent plus au Canada? Ou est-ce le facteur générationnel qui joue encore plus nettement, les sélectionneurs étant incapables d'apprécier les créateurs francophones qui ont émergé après 1970 environ, faute peut-être de l'élan de curiosité requis?

Le choix final des titres francophones est quand même intéressant. D'une part, on a Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy, qui offre une vision du Montréal francophone par une Franco-Manitobaine. D'autre part, on a les poésies complètes de Nelligan, le poète fou et biculturel. C'est le seul auteur de cette liste né au Québec... avec Leonard Cohen.

La comparaison des deux listes est également instructive. Dans la version longue, on retrouve des essais (par Harold Innis et MacLuhan, par exemple), des bandes dessinées et des ouvrages de science-fiction. En fin de compte, le jury a retenu uniquement des romans et des recueils de poésie. Et un seul ouvrage fantastique, le roman Green Grass, Running Water de Thomas King.

Dans les genres de l'imaginaire, on pouvait relever dans la liste longue, outre le titre de King, la bande dessinée Superman, le roman Neuromancer de Gibson, la « Tapisserie de Fionavar » de Guy Gavriel Kay, The Handmaid's Tale d'Atwood et Life of Pi de Martel. On pourrait chipoter en objectant que Superman n'a qu'un lien indirect avec le Canada, que le fantastique dans Life of Pi est purement hallucinatoire et que Gibson et King sont des auteurs importés. Mais il reste que ces productions canadiennes-anglaises apparaissent dans la liste alors qu'on n'en voit pas l'équivalent dans la liste des œuvres francophones — à moins de rattacher Martel à la littérature francophone, comme je suis en fait porté à le faire. (On peut être un auteur francophone et ne pas écrire en français, non?)

Conclusion? La liste longue est nettement plus intéressante de par sa variété, même si la sélection d'ouvrages francophones l'est nettement moins — moins intéressante et moins variée. (La liste courte reflète un consensus presque vidé de sens.) Ce qui serait amusant, ce serait de convaincre des critiques québécois de refaire l'exercice au niveau purement québécois. Verrait-on apparaître les noms de Senécal et Vonarburg?

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