2006-06-18

 

Silences québécois

Toutes les sociétés ont leurs tabous, leurs non-dit, leurs points aveugles qui leur permettent de résoudre des contradictions fondamentales en niant leur existence. L'actualité québécoise des derniers jours les illuminent, et pas toujours de manière très flatteuse.

Ainsi, le Journal de Montréal a fait sa une hier avec une manchette sur la loi 101 bafouée au centre-ville de Montréal. Affichage en anglais, service en anglais...

Ce n'est pas faux; j'ai croisé assez d'étudiants unilingues anglais de McGill ou Concordia qui faisaient la plonge dans l'orbite de ces universités du centre-ville. Mais il est difficile de prendre au sérieux les hauts cris d'une vierge effarouchée quand on a l'habitude de la voir au balcon d'une maison close.

Sans parler de l'importance de l'affichage en anglais au centre-ville de Montréal pour les touristes anglophones, la réalité demeure que les francophones abandonnent depuis longtemps l'île de Montréal pour peupler Laval, la Montérégie, Lanaudière et Vaudreuil-Dorion. On ne peut quand même pas s'attendre à ce que le centre-ville de Montréal affiche et fonctionne en français quand tant de francophones ne fréquentent les quartiers centraux que huit heures par jour, cinq jours par semaine, avant de retrouver leurs chères banlieues.

Les Québécois francophones qui se targuent parfois de leur train de vie plus écologique qu'ailleurs au pays devraient en fait remercier les Montréalais, ces chiens galeux trop anglophones, trop pauvres, trop étrangers... Leur contribution au bilan écologique du Québec pèse certainement beaucoup plus que leur poids démographique. Ce sont eux qui prennent l'autobus, le métro, le vélo, voire leurs deux jambes, pour se déplacer en ville. Ce sont eux qui se partagent des duplex et des triplex, des immeubles et des maisons en rangée qui maximisent la densité de la population. (Et on parlera une autre fois de la sous-représentation des minorités parmi les employés de la STM, à l'instar de la fonction publique de l'État québécois, nettement plus « de souche » que l'ensemble de la population québécoise, et que la population montréalaise en particulier.)

Les lotissements pavillonnaires de la couronne montréalaise n'ont pas besoin de la loi 101 — et on ne verra sans doute pas de sitôt une manchette du Journal de Montréal clamant que le protocole de Kyoto est bafoué dans son principe même par les banlieusards de la grande région de Montréal.

Ce ne sont pas les quelques trains de banlieue qui changent grand-chose au fait que ces banlieues font de leurs habitants des parasites de leurs voitures, de simples extensions limacières, molles et bouffies, de leurs coquilles d'escargot de chez Mazda, Ford, Honda, GM, Toyoto ou Nissan. Le boulevard Taschereau de Longueuil est l'emblème de cette humanité soumise à ses béquilles automobiles, aux mini-fourgonnettes et aux véhicules utilitaires sport. Quand je me retrouve dans les centres commerciaux de ces banlieues, j'observe enfin cette population obèse dont me parlent les sondages mais que je ne vois presque jamais dans les rues et les métros de Montréal. Une démonstration en soi du caractère obésogène du sprawl à l'américaine et de la sainte trinité de l'automobile, du télévisuel et du virtuel.

Si quelques Québécois s'en préoccupent, ils commenceront par critiquer l'Alberta pour ses émissions de gaz carbonique... en faisant mine d'ignorer que l'Alberta produit le pétrole que les foyers québécois brûlent pour se déplacer ou se chauffer! (Si ce n'est pas strictement exact, le pétrole albertain n'aboutissant pas nécessairement au Québec, il reste que les consommateurs sont toujours mal placés pour critiquer les producteurs qui les alimentent.) Cela fait inévitablement penser aux États-Unis qui reprochent aux pays producteurs d'opium ou de coca la consommation d'héroïne ou de cocaïne par leurs propres citoyens.

Mais le Québec a-t-il voté pour un parti susceptible de changer les choses au niveau national? Eh bien, de toutes les provinces, le Québec est celle qui a donné le moins de voix au NPD en 2006. Quant au Parti Vert, il a obtenu plus de votes en Colombie-Britannique, en Ontario et... même en Alberta.

Le même manque de réalisme est partout dans les discussions du financement gouvernemental des films québécois ces jours-ci — ou plutôt du non-financement des films par Téléfilm Canada. L'intelligentsia québécoise n'admettra jamais ce qui crève pourtant les yeux de tous et qui serait une évidence pour un enfant de cinq ans : les choix politiques ont des conséquences (non, toutes les options politiques ne se valent pas et, non, ils ne sont pas tous pourris). Or, les choix politiques du Québec lors des dernières élections fédérales sont directement responsables de la conjoncture de plus en plus sombre en matière de financement de la culture. Il suffisait de lire le programme des Conservateurs pour s'y attendre.

Mais il est trop tard pour regretter Sheila Copps ou Liza Frulla, dont il était si facile de se moquer.

En plus de voter pour les bloquistes, éternels eunuques du sérail parlementaire, le Québec a donné aux Conservateurs une marge de manoeuvre cruciale et a refusé de fournir le moindre appui aux Néo-Démocrates.

Certes, il est clair qu'en matière de culture, les Libéraux ne font bonne figure que s'ils sont comparés aux Conservateurs. Les coupures et les réductions commencées sous le règne de Brian Mulroney ont continué du temps de Jean Chrétien et de Paul Martin. Le seul parti susceptible de soutenir la culture à un niveau qui représenterait, pourtant, rien de plus qu'un retour au passé, c'est le Nouveau Parti démocrate. Non que la culture soit une priorité pour le NPD : elle ne l'est pour personne, mais le NPD reste le parti le plus ouvert au soutien de la culture. Mais les Québécois ne votent pas pour les Néo-Démocrates et rares sont les membres de l'intelligentsia à se commettre avec ce parti. Une contradiction qu'il vaut mieux passer sous silence lorsque sortent les pleureuses...

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