2006-05-14

 

La planète blanche, pour l'instant

Il y a quelques années, j'avais griffonné quelques lignes (moins l'ébauche d'une nouvelle qu'une amorce possible) pendant un vol au-dessus de l'Atlantique. L'épaisse couche de nuages que l'avion survolait aurait pu être la surface d'un autre monde, puisque nulle brèche ne permettait d'apercevoir la surface véritable de notre planète. Sans y penser, nous partageons notre monde avec une planète blanche, insubstantielle, mobile, habitée par des habitants éphémères qui la sillonnent à l'intérieur de tubes d'acier ou d'aluminium.

Mais il existe une autre planète blanche, également éphémère, également partielle. C'est la planète des neiges et des glaces qui, hors des inlandsis et des montagnes les plus élevées, n'existe que quelques mois chaque année. Mais elle a des habitants, elle aussi. Le documentaire La Planète blanche (2004) est consacré à la faune arctique, en particulier au Canada mais aussi dans quelques régions avoisinantes. Coproduction Canada-France, le film est réalisé par Thierry Piantanida et Thierry Ragobert, et produit (principalement) par Jean Lemire, avec l'aide de nombreux participants institutionnels (Office national du film) et autres collaborateurs.

Il vient de sortir sur quelques écrans à Montréal où je l'ai vu hier. Le film m'a semblé hésiter entre plusieurs voies.

La description de la vie et des mœurs de plusieurs espèces de l'Arctique ne peut donner que des aperçus relativement superficiels, parfois teintés d'anthropomorphisme; en fait, la narration est typique du film animalier tel qu'il se pratique depuis des décennies et le résultat s'adresse à tous les âges sans oser aller plus loin. D'ailleurs, de nombreux enfants étaient présents dans la salle du cinéma Beaubien (dont le guichet extérieur évoque une race presque disparue de cinémas d'antan). Les questions qu'on se pose n'obtiendront pas de réponse. Par exemple, le choc des mâles d'un troupeau de bœufs musqués a-t-il pour but de tuer ou terrasser l'adversaire, de simplement prouver la détermination du dominant, ou bien...

La splendeur des images captées au moyen d'un déploiement impressionnant de moyens techniques (une montgolfière, deux équipes de plongeurs, trois hélicoptères) et la musique d'inspiration inuit (portée par les voix d'Élisapie Isaac du groupe Taima et de Jorane) rappellent plutôt la veine du film d'art (dans le genre de Baraka). Or, la réalisation ne nous laisse pas goûter la beauté des images et des voix en nous imposant cette narration souvent autoritaire, voire pompeuse.

Enfin, quelques allusions rappellent la fonte de la banquise du Groenland et le raccourcissement des hivers qui entraîne des décalages dramatiques dans les rythmes de la vie des espèces qui se partagent l'Arctique. Mais ce n'est pas très appuyé et les images dont je me rappelle illustrent le constat sans l'établir avec toute la force qu'on aurait pu souhaiter.

Le documentaire vaut donc par ses images. Le déplacement de la harde des caribous, par exemple. Ceux-ci traversent des paysages déserts qui, de nos jours, semblent bel et bien appartenir à une autre planète, sans trace d'occupation humaine, et je me souviendrai longtemps de la traversée d'une rivière par ces animaux formant une longue file qui serpente d'une berge à l'autre... Les mouvements de la banquise lors du dégel, aussi.

La narration est sans doute l'obstacle le plus important à l'appréciation du film. Elle ne fait que souligner l'artificialité du montage, qui sera perçue sans beaucoup de peine par les cinéphiles les moins avertis, et l'obstination malavisée avec laquelle la caméra essaie de faire oublier sa présence. Sans être un grand consommateur de documentaires de ce type, je crois qu'on ne peut plus assister à un film de ce genre « naïvement », sans se poser de questions sur les modalités du tournage, sur les plongeurs qui devaient se trouver à proximité des caribous en train de nager ou des baleines, sur les appareils volants utilisés pour filmer les oiseaux nichés sur des falaises abruptes... Nous avons vu trop de reportages sur les tournages de documentaires, trop de making-of. N'aurait-il pas fallu accepter de révéler les dessous du tournage? Le réalisme des images n'aurait-il pas été plus grand si les réalisateurs avaient accepté de montrer les équipes sur place? Tel quel, le film nous demande d'admettre ces conventions du genre sans essayer de passer outre.

Pour un film qui voudrait éveiller les spectateurs à l'urgence climatique et environnementale, ce n'était pas particulièrement intelligent. Quoi qu'il en soit, le documentaire offre une succession d'images saisissantes en nous invitant à descendre sur une étrange planète blanche qui risque de troquer un jour prochain le blanc des congères pour le vert des contrées plus au sud...

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