2006-04-05

 

L'étendue de nos ignorances

L'effet de serre a servi de point d'orgue à mon cours ce soir, dernier du semestre. Quand il est question des conséquences d'une nouvelle technologie, il est de bon ton de parler de risques et d'incertitudes.

Mais parler d'incertitude est un euphémisme poli. On confond parfois progressisme et scientisme. Si la croyance au progrès se nourrit souvent des avancées des sciences et des techniques, le fondement même du progrès est la croyance à l'incomplétude de nos connaissances et de nos moyens. Par définition, le progressiste se doit de croire que les sciences et les techniques de son époque ne savent pas tout et ne peuvent pas tout. En termes rumsfeldiens, il existe des « unknown unknowns », des choses que nous ignorons ne pas savoir.

En fait, si on adopte la terminologie de Rumsfeld, on se rend compte qu'il a oublié une combinaison possible, celle des « unknown knowns », celle des choses que nous ne savons pas encore que nous saurons un jour, ou qu'il est possible de les savoir. C'est sans doute plus proche de l'ontologie progressiste.

Dans le contexte de l'effet de serre, je remonte à Thomas Newcomen (1663-1729) qui a inventé le premier moteur efficient (mais assez inefficace) à l'aube de la Révolution industrielle. Il est à l'origine du prodigieux développement des moteurs à combustion (d'abord externe dans le cas de la machine à vapeur, puis interne) qui ont dévoré des quantités grandissantes de carburants fossiles. Si on ne peut leur attribuer la totalité des gaz à effet de serre dans l'atmosphère actuellement, ces moteurs ont fait plus que leur part.

Or, en 1663, quand Newcomen est né, la théorie classique de la composition de la matière restait celle d'Aristote. Il y avait quatre ou cinq éléments fondamentaux, point. L'eau, l'air, le feu, la terre, plus l'éther des sphères célestes. Certes, quelques alchimistes et autres hermétistes, comme Paracelse, avaient proposé d'envisager l'existence d'éléments additionnels, plus proches des propriétés observées de la matière. Et Jean-Baptiste van Helmont avait, au début, du dix-septième siècle, reconnu l'existence de gaz distincts, dont un certain « gaz sylvestre » dégagé par la combustion du charbon qui n'était autre que le gaz carbonique...

Mais si on avait essayé d'expliquer à Thomas Newcomen, ou à n'importe scientifique de son temps, que le gaz sylvestre de van Helmont accumulé dans l'atmosphère de la planète pouvait contribuer à la rétention par l'atmosphère de la chaleur solaire et augmenter les températures de façon à inonder un jour Londres, il serait tombé des nues. Autant d'affirmations, autant d'informations entièrement nouvelles pour lui et qu'il aurait été bien en mal d'évaluer.

Ce n'était pas une question d'incertitude, mais d'ignorance presque absolue. Et l'avenir des techniques exigera de nous une gestion non seulement des incertitudes associées à leur usage mais aussi de nos ignorances.

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