2006-03-07

 

Les retailles du critique

J'ai fini par compléter mes critiques d'Agnès Guitard (Le Moyne Picoté) et Annick Perrot-Bishop (Les maisons de cristal) pour le Dictionnaire des Œuvres littéraires du Québec. Malgré sa relative minceur, c'est encore Les maisons de cristal qui m'a coûté le plus de temps. Il a fallu que je relise ce roman-recueil une plume à la main pour en suivre les méandres et détours, et pour noter les détails pertinents, souvent noyés dans les considérations sentimentales et le flou d'une narration plus soucieuse du symbole que du détail concret.

Je crois d'ailleurs que les critiques se sont trompées qui ont affirmé qu'Annick Perrot-Bishop avait interverti deux des sœurs dans la seconde partie du livre. Il se peut que cela soit dû à l'emploi, correct mais rare, que fait l'autrice des termes «cadette» et «benjamine». Mais l'erreur est pardonnable, car l'écriture est si fuyante qu'elle offre peu de prise autre que les voix des personnages, voix elles-mêmes déconstruites à l'excès par les exercices formels de Perrot-Bishop, qui enchaîne les changements de point de vue, parfois d'un paragraphe à l'autre comme dans l'histoire d'Obul, les expériences avec des conjugaisons différentes (il y a une narration au conditionnel!) et les alternances de personnes grammaticales pour la narration. Et que dire de la multiplicité de noms monosyllabiques, ou bisyllabiques dans le meilleur des cas. Ou de l'absence de détails concrets ou historiques — quand ils viennent, c'est souvent longtemps après-coup, alors qu'ils sont devenus superfétatoires, bref, inutiles!

J'aurais d'ailleurs aimé m'interroger sur les rapports entre les mythologies de Perrot-Bishop et Vonarburg. Perrot-Bishop a non seulement un œil de la nuit («œil unique de la nuit», «œil de feu. Qui brille comme l'astre solitaire de la nuit.»), comme dans la nouvelle du même nom de Vonarburg, mais aussi des rêveurs qui voyagent par la pensée pour visiter d'autres réalités. Et il y a même la mer (la «Grande Bête», le «Monstre») qui a amené le Tilbû «dans cet univers, d'un temps à un autre. C'est elle qui l'a repris, au sein de ses flots, pour l'emporter vers un monde intangible.» Ce qui n'est pas sans rappeler la mer vagabonde de Tyranaël... Sans parler de la statue géante habitée par les Ourlandines, qui a son équivalent dans la gigantesque tête sculptée de Tyranaël.

En revanche, j'aimerais bien savoir ce que plusieurs critiques ont cru voir d'amérindien dans les mythologies de Perrot-Bishop... À la rigueur, la hutte de guérison a eu ses équivalents, je crois, dans certaines tribus, mais ce n'est qu'un élément mineur du livre. Je me demande si toute description de croyances primitives de tribus vivant en harmonie avec la nature passe automatiquement pour une référence aux mythes autochtones...

Le cas d'Agnès Guitard n'est pas inintéressant non plus. Voici quelqu'un qui avait signé des textes de science-fiction originaux, y compris un premier roman frappant, Les Corps communicants (1981), que je classe toujours parmi les meilleurs du genre au Québec. (Mais il faudrait que je le relise un de ces jours, au lieu de m'appuyer sur mon souvenir d'il y a plus de dix ans...) En 1987, elle livre un roman à cent, mille, dix mille lieues de tout ce qu'elle avait publié auparavant : une reconstitution d'un épisode de l'histoire de la Nouvelle-France, avec pour héros (et anti-héros) un des personnages les plus célèbres du temps, Pierre Le Moyne d'Iberville. Se fondant sur la poursuite entièrement historique intentée contre lui pour rapt et séduction (authentique!), Guitard avait signé une analyse psychologique et même stratégico-historienne des acteurs de cette histoire.

Mais elle arrivait soit trop tôt soit trop tard. Larguant par le fait même les critiques de sf qui avaient commencé à s'intéresser à sa prose, elle n'avait pas conquis pour autant la critique ou même la faveur du public. La vogue du roman historique au Québec était encore à venir (ou revenir). Et si la déconstruction (féministe sur les bords) de Pierre Le Moyne d'Iberville aurait pu intéresser au sortir de la Révolution tranquille, ce n'était plus le cas dans un Québec qui se croyait loin de la « Grande Noirceur ». Depuis, Guitard se consacre à la traduction, obtenant le succès et la reconnaissance (dont le Prix du Gouverneur-général) que sa fiction n'avait pas obtenus.

Faudrait-il conclure que la sf mène à tout... à condition d'en sortir? Au contraire, la tentative de Guitard d'en sortir ne lui a pas réussi, mais elle n'est pas non plus revenue à la sf ensuite. Je dirais plutôt que le Québec y a perdu un talent prometteur.

Libellés : , , ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?