2006-02-26

 

La facture d'une génération

Dans La Presse de Montréal du 24 février, Alain Dubuc évoque un sujet grossier et vulgaire, dont il ne faut absolument pas parler — la dette du Québec.

Où en sont les chiffres? En termes absolus, 116,6 milliards de dollars. En termes relatifs, 44,0% du PIB de la province. En intérêts annuels, 6,9 milliards de dollars, soit presque 13% du budget provincial. Les autres provinces, moins l'Alberta qui est hors-jeu dans ce domaine, ont une dette moyenne d'environ 25% du PIB. (Il est erroné de comparer cette dette à des dettes nationales; le Québec n'est pas encore un pays et il faudrait alors compter la part québécoise de la dette fédérale, et inversement les dettes subsidiaires des autres pays. La comparaison provinciale est celle qui s'impose.)

Ceci n'est toutefois que la dette gouvernementale. La dette totale du secteur public, qui comprend le gouvernement, les réseaux de l'éducation et de la santé (12,3 milliards de plus), Hydro-Québec (33 milliards), les municipalités (17,8 milliards) et les autres entreprises du gouvernement, totalise 183,4 milliards de dollars, soit 68,7% du PIB. Un niveau plus élevé qu'en France même, je crois. La seule bonne nouvelle, c'est que ce pourcentage baisse, car il atteignait 77,2% en 2001. Tandis que la dette gouvernementale augmente continuellement, Hydro-Québec a réduit sa dette de près de 6 milliards depuis 2001 — et la croissance de l'économie a fait le reste. (Je prends mes chiffres du plan (.PDF) budgétaire 2005-2006; ceux d'Alain Dubuc semblent légèrement différents, sans doute parce qu'ils sont plus récents.) Quant au service de la dette, il est passé de presque 18% des dépenses en 1997-1998 à 13% environ, en grande partie grâce à la baisse des taux d'intérêts.

Mais en 1970, le service de la dette ne représentait que 5% des dépenses — et 7,7% en 1980-1981. Nous ne sommes revenus qu'au niveau de 1990-1991 environ.

Et qu'a-t-elle acheté, cette dette, d'aussi durable qu'elle? Eh bien, on estime que le quart environ de cette dette correspond au paiement d'infrastructures — tandis que le tiers correspondrait au financement d'anciennes dépenses courantes. (Le reste correspondrait au passif des régimes de retraite.)

Il ne faudrait pas s'étonner ensuite que les générations d'après le baby-boom trouvent la facture difficile à digérer. Quelle génération aura profité le plus de cette dette? Cherchons un peu.

Depuis le début de la quête du déficit zéro au Québec, les seules dépenses qui ne sont pas essentiellement gelées, ce sont celles de la santé. Or, ce ne sont pas les moins de 40 ans qui sont de gros consommateurs de soins de santé. S'il est permis d'argumenter que l'augmentation des coûts de l'équipement et des médicaments a plus à avoir avec l'augmentation récente des coûts de santé que le vieillissement de la population, il reste que la clientèle la plus coûteuse est la plus âgée et qu'il est permis de se demander ce qu'il arrivera lorsque le baby-boom commencera vraiment à gonfler les classes d'âges les plus avancées... Depuis 1990, alors que le service de la dette atteint des sommets et qu'il est payé en dollars réels (car non empruntés) après l'atteinte du déficit zéro, la génération X a donc payé plus que sa part des intérêts de la dette en atteignant l'âge de payer des impôts conséquents tout en retirant fort peu de bénéfices des dépenses publiques, pour elle ou pour ses enfants.

Cette situation est aggravée par la dénatalité québécoise qui prépare des lendemains tendus. Moins qu'en France, sans doute, mais plus qu'ailleurs au Canada, en particulier à l'ouest du Québec, où la population est plus jeune et l'économie plus dynamique. Le problème de la dénatalité ne sera pas celui d'une crise du système en tant que tel; les chiffres ne justifient pas cette inquiétude. Les caisses sont alimentées (depuis 1998, les jeunes travailleurs paient plus que leurs aînés baby-boomers payaient auparavant, au moment où ceux-ci commencent à partir à la retraite...) et une partie des sommes soustraites au fisc par les REER seront remises en circulation et imposées ou taxées. Mais comme le vieillissement frappera plus fort au Québec qu'ailleurs, le problème en sera un de compétitivité avec les autres juridictions du continent, plus jeunes et soumises à de moindres contraintes fiscales.

On ne souligne pas assez que la dénatalité a été, en soi, un transfert de richesses du futur vers le présent pour les baby-boomers. Les enfants coûtent chers; ne pas avoir d'enfants, c'était plus avantageux dans l'immédiat. Un enfant ou une seconde voiture? Beaucoup de couples ont choisi la seconde voiture. Le voyage sous des cieux exotiques. Etc. Mais les enfants qui ne sont pas là ne pourront pas payer pour une économie caractérisée par un nombre croissant de dépendants ou de pensionnés âgés...

Par rapport à 1960, la dette a aussi aidé à payer pour l'expansion de la fonction publique. Une fonction publique qui a beaucoup profité à qui? Si je me penche sur un rapport récent sur la composition de l'effectif de la fonction publique au Québec, je trouve qu'en mars 2000, l'effectif régulier comptait 6,9% d'employés de moins de 35 ans. Or, au Canada en 2001, 40% de la population active avait moins de 35 ans. Admettons que ce soit un peu plus faible au Québec, province vieillissante, mais le fossé reste énorme. (Depuis 2000, le nombre de moins de 35 ans dans la fonction publique québécoise augmente lentement.) On notera au passage qu'entre 1999 et 2004, le nombre d'anglophones dans cette fonction publique québécoise est passé de 0,6% à 0,7%, restant de loin inférieur à la proportion d'anglophones et d'allophones dans la population. Et on s'étonnera ensuite que ceux-ci ne voient pas l'intérêt de l'indépendantisme québécois! Quant aux autochtones, ils sont un peu mieux représentés (0,3%), mais la fonction publique québécoise est clairement une chasse gardée du baby-boom blanc et francophone.

Faut-il pour autant s'attaquer à la dette? On peut soutenir qu'il aurait fallu le faire il y a dix ans et qu'il n'est plus temps, en raison des besoins croissants dans plusieurs domaines. Mais cela ressemble fort à un prétexte. À tout le moins, comme le soutient Alain Dubuc, il faudrait au moins y consacrer autant d'énergie — ou de rhétorique — qu'au problème (?) du déséquilibre fiscal dont je reparlerai...

Dire qu'il y a dix ans, la CSN (Confédération des syndicats nationaux) pouvait discuter de la réduction, voire de l'élimination, de la dette et proposer, entre autres, un fonds de remboursement de la dette québécoise sans avoir à craindre l'anathème des bien-pensants grisonnants! Je cite : « la CSN évalue qu'un fonds de remboursement de la dette serait un complément utile aux autres stratégies visant à remettre de l'ordre dans nos finances publiques. Ce fonds serait alimenté par une taxe dédiée dont les recettes y seraient versées annuellement.» Certes, la CSN donnait un gage au gouvernement de l'époque tout en noyant cette recommandation dans un ensemble de mesures nettement plus « progressiste », c'est-à-dire redistributif. Mais quand même!

Libellés : , ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?