2006-02-02
De la lecture en cadeau
En près de quarante ans, ma bibliothèque personnelle a beaucoup grandi, mais parmi les premiers livres qui m'ont appartenu en propre, il y a eu des livres reçus en cadeau à Noël ou pour mon anniversaire, ou encore des livres distribués comme prix à l'école ou à l'issue de concours scolaires.
Tout cela n'a rien de particulièrement nouveau. Pour reparler de Jules Verne, on sait bien qu'une partie de son succès a résulté du ciblage par son éditeur, Hetzel, du marché des étrennes en France. Les éditions cartonnées et illustrées des romans de Verne représentaient des cadeaux de choix pour les jeunes garçons des familles aisées; aujourd'hui, elles sont convoitées par les collectionneurs, en particulier si elles sont en bon état. Hetzel avait été parmi les premiers à exploiter les nouvelles techniques d'impression et de reliure qui permettaient d'offrir, à un coût raisonnable, des éditions en apparence luxueuses. D'autres éditeurs, occupant d'autres créneaux, n'ont pas tardé à faire de même. Ainsi, dans la bibliothèque familiale, j'ai retrouvé un cadeau reçu par ma grand-mère pour son dixième anniversaire en 1908, le trio bien connu de romans de la comtesse de Ségur qui commence par Les malheurs de Sophie, se poursuit avec Les petites filles modèles et se termine avec Les vacances. Je reproduis ci-contre la couverture un peu défraîchie du troisième.
(La date du 10 janvier 1908 n'est inscrite que dans le second volume, mais il semble probable que les trois livres aient été donnés en même temps. On peut supposer que le cadeau faisait aussi office d'étrennes du jour de l'An. La donatrice était une Mme V. Laferty; cette graphie du nom cache peut-être un nom métis à l'origine francophone, c'est-à-dire Laferté, alors que l'auteur de science-fiction Raphael Aloysius Lafferty descend sans doute des O'Flaherty irlandais du Connemara — ces deux versions du nom de famille correspondant aux orthographes gaéliques «O'Laithbheartaigh» et «Ua Flaithbheartaigh» respectivement, le premier nom étant une contraction du second, si je ne me trompe pas...)
Si la maquette de cette édition de la Bibliothèque Rose est un peu moins élaborée que celle des plus belles éditions de Verne, je soupçonne qu'elle l'emportait sans peine sur les tentatives équivalentes de produire des beaux livres au Canada. J'en veux pour preuve le roman de proto-SF Pour la patrie de Jules-Paul Tardivel, auteur canadien né aux États-Unis d'une famille française... En 1895, Tardivel est un homme de lettres bien établi dans le petit monde de la politique et de la culture au Québec francophone, et il est bien connu comme un rigoriste religieux et un écrivain exigeant. Quand il signe un roman, même si celui-ci a l'originalité de se passer dans le futur et de traiter de l'indépendance du Québec, le gouvernement provincial n'hésite pas à en commander 500 exemplaires pour les distributions de prix dans les écoles. C'est pourquoi, je le soupçonne, la couverture du livre est cartonnée et particulièrement soignée dans le cas de l'exemplaire de la première édition dont je dispose. La reproduction ci-contre permet de juger de la maquette, qui me semble un peu imparfaite puisque les rosaces de droite n'ont pas été imprimées au complet... Néanmoins, il faut saluer le premier roman de science-fiction d'expression française paru au Canada...
Le livre a marqué certains esprits, dont celui du chanoine Lionel Groulx qui influença de manière déterminante le nationalisme québécois de la première moitié du vingtième siècle. En 1936, l'ouvrage sera réédité par l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française, et il connaîtra de nouvelles éditions et même une traduction en anglais après 1960, lors de la montée en force de l'indépendantisme québécois.
Comme maître à penser, Tardivel a bénéficié du retentissement de son journal, modestement intitulé La Vérité. Non que ce journal pouvait se vanter d'un lectorat semblable à celui de La Presse de Montréal ou des autres grands quotidiens de la province, mais il était très présent dans les séminaires et les collèges classiques, de sorte qu'il rejoignait l'élite intellectuelle de cette société très catholique. Mon grand-père, Jean Trudel, étudiait justement au Collège de Saint-Boniface à cette époque. C'est dans son album de coupures (son Scrap Book) que je retrouve la photo ci-contre de Jules-Paul Tardivel, collée à une page de l'album entre janvier et mars 1905, si la séquence temporelle a été respectée. Le 24 avril de cette même année, Tardivel décède et mon grand-père ajoute à son album un extrait d'un article faisant l'éloge de Tardivel. L'auteur de cet article n'est nul autre que Frédéric-Alexandre Baillargé, prêtre de son état, mais qui a aussi signé en 1898 un manuel de géographie où il recommande aux maîtresses d'école de lire deux romans de Jules Verne, Le tour du monde en quatre-vingt jours et Robur le Conquérant. Comme quoi, tout se tient...
Tout cela n'a rien de particulièrement nouveau. Pour reparler de Jules Verne, on sait bien qu'une partie de son succès a résulté du ciblage par son éditeur, Hetzel, du marché des étrennes en France. Les éditions cartonnées et illustrées des romans de Verne représentaient des cadeaux de choix pour les jeunes garçons des familles aisées; aujourd'hui, elles sont convoitées par les collectionneurs, en particulier si elles sont en bon état. Hetzel avait été parmi les premiers à exploiter les nouvelles techniques d'impression et de reliure qui permettaient d'offrir, à un coût raisonnable, des éditions en apparence luxueuses. D'autres éditeurs, occupant d'autres créneaux, n'ont pas tardé à faire de même. Ainsi, dans la bibliothèque familiale, j'ai retrouvé un cadeau reçu par ma grand-mère pour son dixième anniversaire en 1908, le trio bien connu de romans de la comtesse de Ségur qui commence par Les malheurs de Sophie, se poursuit avec Les petites filles modèles et se termine avec Les vacances. Je reproduis ci-contre la couverture un peu défraîchie du troisième.
(La date du 10 janvier 1908 n'est inscrite que dans le second volume, mais il semble probable que les trois livres aient été donnés en même temps. On peut supposer que le cadeau faisait aussi office d'étrennes du jour de l'An. La donatrice était une Mme V. Laferty; cette graphie du nom cache peut-être un nom métis à l'origine francophone, c'est-à-dire Laferté, alors que l'auteur de science-fiction Raphael Aloysius Lafferty descend sans doute des O'Flaherty irlandais du Connemara — ces deux versions du nom de famille correspondant aux orthographes gaéliques «O'Laithbheartaigh» et «Ua Flaithbheartaigh» respectivement, le premier nom étant une contraction du second, si je ne me trompe pas...)
Si la maquette de cette édition de la Bibliothèque Rose est un peu moins élaborée que celle des plus belles éditions de Verne, je soupçonne qu'elle l'emportait sans peine sur les tentatives équivalentes de produire des beaux livres au Canada. J'en veux pour preuve le roman de proto-SF Pour la patrie de Jules-Paul Tardivel, auteur canadien né aux États-Unis d'une famille française... En 1895, Tardivel est un homme de lettres bien établi dans le petit monde de la politique et de la culture au Québec francophone, et il est bien connu comme un rigoriste religieux et un écrivain exigeant. Quand il signe un roman, même si celui-ci a l'originalité de se passer dans le futur et de traiter de l'indépendance du Québec, le gouvernement provincial n'hésite pas à en commander 500 exemplaires pour les distributions de prix dans les écoles. C'est pourquoi, je le soupçonne, la couverture du livre est cartonnée et particulièrement soignée dans le cas de l'exemplaire de la première édition dont je dispose. La reproduction ci-contre permet de juger de la maquette, qui me semble un peu imparfaite puisque les rosaces de droite n'ont pas été imprimées au complet... Néanmoins, il faut saluer le premier roman de science-fiction d'expression française paru au Canada...
Le livre a marqué certains esprits, dont celui du chanoine Lionel Groulx qui influença de manière déterminante le nationalisme québécois de la première moitié du vingtième siècle. En 1936, l'ouvrage sera réédité par l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française, et il connaîtra de nouvelles éditions et même une traduction en anglais après 1960, lors de la montée en force de l'indépendantisme québécois.
Comme maître à penser, Tardivel a bénéficié du retentissement de son journal, modestement intitulé La Vérité. Non que ce journal pouvait se vanter d'un lectorat semblable à celui de La Presse de Montréal ou des autres grands quotidiens de la province, mais il était très présent dans les séminaires et les collèges classiques, de sorte qu'il rejoignait l'élite intellectuelle de cette société très catholique. Mon grand-père, Jean Trudel, étudiait justement au Collège de Saint-Boniface à cette époque. C'est dans son album de coupures (son Scrap Book) que je retrouve la photo ci-contre de Jules-Paul Tardivel, collée à une page de l'album entre janvier et mars 1905, si la séquence temporelle a été respectée. Le 24 avril de cette même année, Tardivel décède et mon grand-père ajoute à son album un extrait d'un article faisant l'éloge de Tardivel. L'auteur de cet article n'est nul autre que Frédéric-Alexandre Baillargé, prêtre de son état, mais qui a aussi signé en 1898 un manuel de géographie où il recommande aux maîtresses d'école de lire deux romans de Jules Verne, Le tour du monde en quatre-vingt jours et Robur le Conquérant. Comme quoi, tout se tient...
Libellés : Famille, Science-fiction
Comments:
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Pas mal intéressant comme recherche. J'ai ajouté "Pour la patrie" à ma liste de livres à lire en eBook.
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