2006-01-06

 

Préparer le futur

Hier, j'ai remis les exemplaires imprimés de ma dissertation de doctorat (765 pages..) à l'UQÀM en espérant bien que les hautes sphères n'y trouveront rien à redire, de sorte qu'il ne restera plus qu'à les relier et à les distribuer à qui de droit. Dans cette thèse, je m'intéresse à l'histoire des démarches qui préparent les techniques du futur. La transformation des pratiques dans l'industrie, qui a fait une place croissante aux études et au design anticipatoire d'objets à construire ou à fabriquer, fait partie d'un mouvement plus vaste. Depuis un bon siècle, la gestion est indissociable de la planification. Timide au début, la projection dans l'avenir est devenue de plus en plus hardie et touche depuis une cinquantaine d'années à de nombreux domaines.

La préparation du futur ne se retrouve pas uniquement dans les rêves et les cauchemars des auteurs de science-fiction. Administrateurs, gestionnaires et scientifiques s'adonnent aussi à ce délicat exercice. Parfois, une étude qui est l'aboutissement d'une somme suffisante de réflexion peut devenir un programme — un fil d'Ariane qui permet de se risquer dans le dédale des possibilités de l'avenir. En 1958, le President's Science Advisory Committee, un regroupement de savants et de spécialistes chargés de conseiller le président Eisenhower, s'était livré à un tel travail pour énoncer à quoi pourrait ressembler le programme spatial des États-Unis après le choc créé par Spoutnik. En quelques pages, Introduction to Outer Space, le document pondu par ce groupe, balisait un parcours dont nous n'avons pas encore touché le bout. (Dwayne A. Day croit que la prose des auteurs de cette brochure a inspiré en partie le célèbre prologue de la série Star Trek, quelques années plus tard.)

En fait, je suis porté à penser que la science-fiction, comme dans ce cas, bénéficie plus souvent des conjectures rationnelles de professionnels (scientifiques, ingénieurs, gestionnaires) que l'inverse. Il y a quelques années, la NASA a financé (jusqu'en 2002) un programme de recherches auquel on avait fixé comme but la découverte de «percées» susceptibles de révolutionner la science de la propulsion spatiale. Le Breakthrough Propulsion Physics Project a exploré plusieurs pistes. Si les expériences financées dans le cadre du projet n'ont pas accouché de miracles techniques, elles ont au moins contribué à débroussailler, voire défricher, un terrain encombré par de nombreuses revendications d'effets merveilleux. À tout le moins, il faut saluer l'audace de la NASA, qui a encouragé des recherches que les auteurs de science-fiction les plus rigoureux auraient rejetées au nom de la vraisemblance. Mais les autorités de la NASA savaient sans doute que la réalité n'est pas obligée d'être vraisemblable...

En Europe, l'ESA a opté pour la démarche inverse : fouiller la science-fiction pour y trouver des idées à creuser pour l'amélioration des vols spatiaux. Il en est résulté une brochure assez bien documentée et réalisée avec la collaboration de la Maison d'Ailleurs. Aux États-Unis, Paul Allen a utilisé les millions acquis au service de Microsoft pour fonder à Seattle un musée de la science-fiction qui rend effectivement hommage à la capacité d'inspiration de la science-fiction. Ce respect pour la science-fiction et la culture de la conjecture rationnelle qu'elle entretient a été démontré après le 11 septembre, lorsque des responsables de la sécurité aux États-Unis ont consulté des créateurs hollywoodiens pour se faire une idée des possibilités qu'ils n'avaient peut-être pas envisagées...

En fin de compte, l'imbrication des rêves de la science-fiction et des réalisations de la technique est sans doute inextricable. L'ensemble forme un tout qui est d'abord et avant tout une culture du futur.

La science-fiction n'est sans doute pas le futur de la culture. Alors que nos sociétés n'ont cessé de devenir de plus en plus technologiques, en Europe comme en Amérique du Nord, en Chine comme au Japon, la culture populaire fait plutôt un sort aux divertissements les plus fantaisistes. Mais la science-fiction est clairement une partie intégrante de la culture du futur.

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