2006-01-24
La science-fiction de la Grande Guerre
Ailleurs, la science-fiction de la Grande Guerre pouvait ressembler à ceci.
Au Canada, on la retrouve plutôt dans Similia similibus ou La Guerre au Canada : essai romantique sur un sujet d'actualité (1916) d'Ulric Barthe (1853-1921). Illustré par Charles Huot et L. Brouilly, le roman est une uchronie qui ne va pas jusqu'au bout de son audace — mais qui se contente d'évoquer les horreurs et les atrocités propres aux troupes prussiennes afin d'encourager les Québécois à s'enrôler sous les drapeaux. (Durant la Grande Guerre, il n'y a pas eu de mobilisation générale ou de conscription au Canada avant 1917.)
L'ouvrage rappelle plutôt L'éclat d'obus, une aventure d'Arsène Lupin a posteriori (qui ne fait qu'une apparition, insérée dans l'édition de 1923) signée par Maurice Leblanc. Avant l'édition de 1916 chez Lafitte, le roman était paru en plusieurs épisodes sous la forme d'un feuilleton dans Le Journal en 1915; la plupart des sources disponibles indiquent une parution du 21 septembre au 7 novembre, mais on trouve aussi des dates s'échelonnant du 5 mars au 16 décembre. En effet, Barthe nous montre une invasion allemande de Québec préparée en sous-main de longue date, tout comme les Hohenzollern dans le roman de Leblanc avaient planifié la prise-éclair d'une place-forte de la frontière au moyen d'un tunnel creusé en secret. Le thème était apparemment répandu à cette époque. Dans un roman pour enfants, La petite fée de Pierreclose (1916), Pierre Perrault décrit la construction d'une fortification souterraine sous le château de Pierreclose avant la guerre pour favoriser l'invasion. La jeune protagoniste du nom de Jacqueline a dix ans, ce qui suggère à quel point on désirait marteler dans la tête de tous cette idée d'une offensive allemande préparée de manière sournoise et depuis longtemps — expliquant ainsi les revers français du début de la guerre.
Tout comme l'ouvrage de Barthe, le roman de Leblanc faisait aussi allusion aux exemples de la brutalité prussienne dont la rumeur circulait, prenant ainsi les couleurs de la propagande officielle.
Dans l'illustration de Huot ci-dessus, on voit les troupes prussiennes défiler, si je ne me trompe pas, devant ce qui est maintenant le palais de justice dans le Vieux-Québec, avec la cathédrale au fond. Néanmoins, la résistance va s'organiser et permettre au héros de l'histoire de confondre un traître allemand. En fin de compte, pourtant, il ne s'agit que d'un rêve...
Il faut interpréter de manière serrée l'avant-propos de l'auteur pour accorder à l'ouvrage le statut d'uchronie, mais il semble bien possible que Barthe tente de dire que si la guerre n'avait pas commencé en 1914, les Allemands auraient eu le temps de pousser leurs préparatifs de manière à exécuter l'invasion dépeinte dans son roman.
J'ai cru un temps que le roman de Barthe avait pu inspirer « L'invasion imaginaire de Val-Hébert », un volet d'une série scénarisée par Paul Gury, Notre Canada, et radiodiffusée durant la Seconde Guerre mondiale par Radio-Canada, du 25 septembre 1942 au 21 mai 1943. Le feuilleton commandité par le ministère des Munitions et des Approvisionnements avait pour action principale (« L'histoire de Colin Ross ») les démêlés d'un Canadien rusé avec un espion nazi qui se faisait appeler Colin Ross et qu'il faisait tourner en bourrique. Val-Hébert était un village laurentien occupé par les Allemands; le déroulement de cette occupation était présenté à la fois comme le scénario rêvé par l'espion nazi et comme « la reconstitution exacte, aux noms près, de ce qui s'est passé dans une centaine de villages de l'Europe occupée». Toutefois, il semble bien que cette série était le pendant francophone d'une série anglophone, Nazi Eyes on Canada. Créée en 1942, celle-ci avait pour but de vendre des Bons de la Victoire. Mi-propagande, mi-publicité, donc.
Il y a aussi une allusion à la guerre et au Kaiser dans Les aventures extraordinaires de deux Canayens de Jules Jéhin (1918), mais il s'agit surtout de conclure avec une pirouette un roman dont l'intérêt principal est la machine volante des protagonistes. (Ceux-ci enlèvent Guillaume II afin de le convaincre de mettre fin à la Grande Guerre.) L'écriture étant datée de 1918, le sujet était d'actualité, mais la fin de la guerre semblait sans doute si proche qu'un texte entièrement consacré à la guerre aurait risqué d'être rattrapé par les événements.
On pourrait aussi citer Le réveil d'un peuple d'Édouard Garand et Albert Fournier, écrit en 1918 dans la foulée des émeutes contre la conscription qui firent des morts à Québec durant des Pâques sanglantes, mais ce roman n'a jamais été publié et je n'en connais qu'un état incomplet, sous la forme d'un tapuscrit illustré par Fournier. L'intrigue, plutôt vindicative, raconte la vengeance québécoise qui s'exerce en 1926 à l'encontre de la Grande-Bretagne (et non du reste du Canada) pour les exactions de 1918...
Au Canada, on la retrouve plutôt dans Similia similibus ou La Guerre au Canada : essai romantique sur un sujet d'actualité (1916) d'Ulric Barthe (1853-1921). Illustré par Charles Huot et L. Brouilly, le roman est une uchronie qui ne va pas jusqu'au bout de son audace — mais qui se contente d'évoquer les horreurs et les atrocités propres aux troupes prussiennes afin d'encourager les Québécois à s'enrôler sous les drapeaux. (Durant la Grande Guerre, il n'y a pas eu de mobilisation générale ou de conscription au Canada avant 1917.)
L'ouvrage rappelle plutôt L'éclat d'obus, une aventure d'Arsène Lupin a posteriori (qui ne fait qu'une apparition, insérée dans l'édition de 1923) signée par Maurice Leblanc. Avant l'édition de 1916 chez Lafitte, le roman était paru en plusieurs épisodes sous la forme d'un feuilleton dans Le Journal en 1915; la plupart des sources disponibles indiquent une parution du 21 septembre au 7 novembre, mais on trouve aussi des dates s'échelonnant du 5 mars au 16 décembre. En effet, Barthe nous montre une invasion allemande de Québec préparée en sous-main de longue date, tout comme les Hohenzollern dans le roman de Leblanc avaient planifié la prise-éclair d'une place-forte de la frontière au moyen d'un tunnel creusé en secret. Le thème était apparemment répandu à cette époque. Dans un roman pour enfants, La petite fée de Pierreclose (1916), Pierre Perrault décrit la construction d'une fortification souterraine sous le château de Pierreclose avant la guerre pour favoriser l'invasion. La jeune protagoniste du nom de Jacqueline a dix ans, ce qui suggère à quel point on désirait marteler dans la tête de tous cette idée d'une offensive allemande préparée de manière sournoise et depuis longtemps — expliquant ainsi les revers français du début de la guerre.
Tout comme l'ouvrage de Barthe, le roman de Leblanc faisait aussi allusion aux exemples de la brutalité prussienne dont la rumeur circulait, prenant ainsi les couleurs de la propagande officielle.
Dans l'illustration de Huot ci-dessus, on voit les troupes prussiennes défiler, si je ne me trompe pas, devant ce qui est maintenant le palais de justice dans le Vieux-Québec, avec la cathédrale au fond. Néanmoins, la résistance va s'organiser et permettre au héros de l'histoire de confondre un traître allemand. En fin de compte, pourtant, il ne s'agit que d'un rêve...
Il faut interpréter de manière serrée l'avant-propos de l'auteur pour accorder à l'ouvrage le statut d'uchronie, mais il semble bien possible que Barthe tente de dire que si la guerre n'avait pas commencé en 1914, les Allemands auraient eu le temps de pousser leurs préparatifs de manière à exécuter l'invasion dépeinte dans son roman.
J'ai cru un temps que le roman de Barthe avait pu inspirer « L'invasion imaginaire de Val-Hébert », un volet d'une série scénarisée par Paul Gury, Notre Canada, et radiodiffusée durant la Seconde Guerre mondiale par Radio-Canada, du 25 septembre 1942 au 21 mai 1943. Le feuilleton commandité par le ministère des Munitions et des Approvisionnements avait pour action principale (« L'histoire de Colin Ross ») les démêlés d'un Canadien rusé avec un espion nazi qui se faisait appeler Colin Ross et qu'il faisait tourner en bourrique. Val-Hébert était un village laurentien occupé par les Allemands; le déroulement de cette occupation était présenté à la fois comme le scénario rêvé par l'espion nazi et comme « la reconstitution exacte, aux noms près, de ce qui s'est passé dans une centaine de villages de l'Europe occupée». Toutefois, il semble bien que cette série était le pendant francophone d'une série anglophone, Nazi Eyes on Canada. Créée en 1942, celle-ci avait pour but de vendre des Bons de la Victoire. Mi-propagande, mi-publicité, donc.
Il y a aussi une allusion à la guerre et au Kaiser dans Les aventures extraordinaires de deux Canayens de Jules Jéhin (1918), mais il s'agit surtout de conclure avec une pirouette un roman dont l'intérêt principal est la machine volante des protagonistes. (Ceux-ci enlèvent Guillaume II afin de le convaincre de mettre fin à la Grande Guerre.) L'écriture étant datée de 1918, le sujet était d'actualité, mais la fin de la guerre semblait sans doute si proche qu'un texte entièrement consacré à la guerre aurait risqué d'être rattrapé par les événements.
On pourrait aussi citer Le réveil d'un peuple d'Édouard Garand et Albert Fournier, écrit en 1918 dans la foulée des émeutes contre la conscription qui firent des morts à Québec durant des Pâques sanglantes, mais ce roman n'a jamais été publié et je n'en connais qu'un état incomplet, sous la forme d'un tapuscrit illustré par Fournier. L'intrigue, plutôt vindicative, raconte la vengeance québécoise qui s'exerce en 1926 à l'encontre de la Grande-Bretagne (et non du reste du Canada) pour les exactions de 1918...
Libellés : Canada, Livres, Science-fiction
Comments:
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Je suis bien content d'avoir trouvé des traces de «l'invasion imaginaire de Val Hébert P.Beaumont, Sherbrooke
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