2025-04-22
Pendant qu'il est encore temps
Il est toujours temps d'agir pour atténuer les effets de la crise climatique.
J'ai vu quelques films sérieux sur le climat ou les déprédations écologiques au fil des ans, dont An Inconvenient Truth d'Al Gore en 2006 ainsi que sa suite, An Inconvenient Sequel, en 2017 ; Before the Flood en 2016, produit par un aréopage de célébrités et de personnalités ; et A Life on the Planet de David Attenborough en 2020. Je ne mentionnerai pas les fictions cinématographiques, parfois allégoriques (comme Don't Look Up), parfois catastrophistes (comme The Day After Tomorrow en 2004) et parfois catastrophiques, comme le long métrage québécois Truffe (2008) de Kim Nguyen.
Dans cette catégorie, toutefois, les productions québécoises sont rares. Le nouveau long métrage de François Delisle, Le Temps (2024), est une fiction qui innove par son engagement et par les qualités de la réalisation. En même temps, il s'agit peut-être du meilleur film de science-fiction québécois des trente à quarante dernières années.
Sa sortie officielle de vendredi dernier coïncide avec le Jour de la Terre et quatre projections spéciales suivies d'une rencontre avec François Delisle ont été programmées pour le 21 avril (à Montréal au Cinéma du Parc et à Québec au Clap de Sainte-Foy, où je l'ai vu hier), pour le 22 avril (à Montréal à la Cinémathèque québécoise), pour le 23 avril au Cinéma moderne et pour le 4 mai au Cinéma public.
Tout d'abord, donc, c'est un film sérieux. On évacue les pitreries de Truffe ou Dans une galaxie près de chez vous. Ensuite, on explore les conséquences humaines du réchauffement climatique, sans trop d'exagérations et en illustrant l'envergure mondiale du phénomène. Quatre trames temporelles s'entrecroisent. En 2019, Marie va tomber enceinte et accoucher durant la pandémie. Atteinte par la solastalgie, elle va s'inquiéter pour l'avenir de son enfant et l'éco-anxiété va l'isoler petit à petit de son conjoint et de ses proches. La narration assurée par Mylène Mackay est en français québécois.
Selon l'entrevue avec Delisle après le film, les visions du futur qui s'enchaînent ensuite, datées de 2042, 2088 et 2174, outre un épilogue en 2082, pourraient représenter des scénarios imaginés par Marie. Quoi qu'il en soit, chacun d'eux correspond à des points tournants. En 2042, on suit un métis d'ascendance partiellement viêtnamienne qui tente de fuir vers le nord, sans doute en quittant les États-Unis, car il se retrouve dans les Badlands (très reconnaissables) de l'Ouest canadien : la narration est en anglais nord-américain. En 2088, après la « Purge » de 2042, le journaliste et informateur McKenzie documente la réalité hors les murs pour un État autoritaire et dystopique qui essaie de surnager malgré l'effondrement général : la narration est en anglais britannique. En 2174, le personnage de Kira erre dans un décor post-apo, recrutée comme soldate et affectée à des massacres génocidaires, avant de rejoindre un groupe de survivants qui cherchent à préserver un peu d'humanité dans un monde dépeuplé, où ils constituent Phronesis Village (du mot grec pour désigner la prudence, la prévoyance ou la sagacité). La narration est en russe, je crois, puisque j'ai reconnu quelques mots.
Outre l'anticipation et le multilinguisme, Delisle a opté pour un film constitué de photos (en couleurs) et de quelques vidéos (captées par l'implant de McKenzie, a priori). Ceci rappellera évidemment la technique choisie par Chris Marker pour réaliser La Jetée en 1962, qui était aussi un film apocalyptique et post-apo, voire dystopique. Ces instantanés qui hachent l'action, laquelle repose du coup surtout sur la trame sonore continue, nous incitent à nous appesantir sur chaque image. Certaines sont belles et d'autres restent énigmatiques.
Dans la trame contemporaine, Marie s'engage dans la révolte en rejoignant la branche québécoise d'Extinction Rebellion. En 2088, McKenzie opte aussi pour un appel à la révolte dans l'espoir de changer les choses. En 2174, Kira aura un enfant métis dont le beau visage nous apparaît en 2182 alors qu'il admire des chevaux (sauvages ?) dans une enclave rendue à la nature.
Après la projection du film, il y avait une transmission de l'entrevue menée par Josée Blanchette (Le Devoir) avec Delisle et Karim Chaieb d'Équiterre. Delisle a évoqué la nécessité d'une justice climatique et la « crise du déni climatique ». Selon lui, les photos successives devaient permettre de ménager un espace temporel pour la réflexion. Pour les séquences québécoises, il a recruté des membres d'Extinction Rebellion au Québec pour faire un peu de figuration vraisemblable tout comme il a recruté de vrais policiers pour les mêmes scènes. Dans la salle à Montréal, quelqu'un a commenté que le film était tout à la fois insoutenable et pas assez. Ce qui me semble assez juste.
Néanmoins, j'aimerais croire que le film aura un impact au Québec. Au minimum, il serait temps de rappeler à la CAQ de Legault et aux Libéraux de Carney que la crise climatique n'a pas été abolie par Trump.
Libellés : Effet de serre, Films, Québec