2025-04-28
De l'improvisation science-fictionnelle
Le propre de l'art vivant et plus particulièrement du théâtre, c'est d'être un art éphémère.
C'est encore plus vrai dans le cas de l'improvisation. Le Théâtre spontané Premières a offert le samedi 19 avril une prestation unique qui ne sera sans doute jamais reproduite : le spectacle Avant-Premières : À la manière de Jules Verne, sur la scène du Vieux Bureau de Poste à Lévis (autrefois Liverpool, puis Saint-Romuald). La troupe de Premières s'est alliée à la troupe Les Cravates de Montréal pour former une nouvelle troupe constituée pour l'occasion de Guy Langlois, Vincent Pautret, Camille Proulx, Andréanne Béland, Martin Lebrun et Stéphane Morin, avec Benjamin Corpataux-Blache à l'improvisation musicale, sous la férule de Laurent Maheux comme maître de jeu.
Le public a été consulté pour suggérer des qualités et des défauts que le maître de jeu a sélectionnés afin de les attribuer aux joueuses et aux joueurs. Ces derniers ont ensuite été appariés deux par deux afin de relever le défi de jouer trois scènes, une par duo dramatique, d'une pièce que Jules Verne aurait pu écrire. La première scène se passait dans une jungle avec un joueur et une joueuse, sans doute dans la veine de La Maison à vapeur (1880), avec un véhicule à réparer, un boa et même des géants. La deuxième scène, avec deux joueuses, se passait dans une riche demeure où une ancienne actrice tourmentée par son vieillissement décide de partir à la recherche de la « perle de l'éternité » en compagnie de sa fidèle servante, plus ou moins délurée, car elle a hérité de son père (?) les plans d'un sous-marin novateur et va découvrir un passage secret dans sa bibliothèque pour accéder à un laboratoire caché. La troisième scène, avec deux joueurs, m'a moins marqué, mais il était question d'une expédition dans l'Antarctique à la suite de la découverte d'un crâne de cyclope.
Le sous-marin renvoie évidemment au Nautilus du capitaine Nemo et au submersible d'Antékirtt dans Mathias Sandorf (1885), tandis que l'expédition polaire se raccorde aussi bien à Vingt mille lieues sous les mers qu'au Sphinx des glaces (1897), mais j'ai noté dans la suite du spectacle des allusions à Voyage au centre de la Terre, à Cinq semaines en ballon et au Tour du monde en quatre-vingts jours. Quant à cette « perle de l'éternité », elle m'a plutôt rappelé la quête de Gilgamesh.
Après l'entracte, le public avait voté pour une continuation des deux dernières scènes. La pièce a démarré avec la construction d'un sous-marin qui partira de Nantes pour l'Antarctique afin de récupérer la perle. Comme il y a quelques problèmes avec le « levier sonique » et la « pile au sel », le docteur (ou capitaine) Thom(p)son va fournir l'électricité humaine comme bougie d'allumage (un peu dans le style The Matrix). Ce sous-marin baptisé l'Éconobusiness (!?) va croiser un chasseur de baleines et un troupeau de narvals. Et la servante Josianne aura l'occasion d'enfiler un scaphandre.
La performance s'est terminée sur un suspense un peu frustrant, mais l'ensemble du spectacle a rarement ennuyé l'auditoire, à en juger par les rires et les applaudissements. Le résultat pourrait relever d'une forme de steampunk spontané, qui révèle les grands traits de ce que le public (ou les improvisateurs ayant survolé l'œuvre vernienne avant le spectacle) retient de Jules Verne encore aujourd'hui, de Nantes à Lévis...
Libellés : Québec, Science-fiction, Théâtre