2008-02-19

 

Épigone

Retour sur la science-fiction d'hier...

Michel de Pure.
Épigone, histoire du siècle futur (1659).
Lise Leibacher-Ouvrard et Daniel Maher, éd. [s.l.]: Presses de l'Université Laval, 2005.
235 pages.
Même si l'histoire de la science-fiction pousse ses racines jusqu'aux derniers siècles de l'Antiquité, le dix-septième siècle est sans doute le véritable terreau de la science-fiction moderne et il est remarquable de trouver en l'espace de trois ans la parution en France d'ouvrages qui abordent des thèmes fondamentaux de la science-fiction moderne, soit la place de l'humanité dans l'univers et la valeur de la recherche de la vérité dans l'Histoire comique des États et Empires de la Lune de Savinien Cyrano de Bergerac en 1657, puis la possibilité d'imaginer à la fois le futur et des sociétés humaines obéissant à d'autres règles dans Épigone de Michel de Pure en 1659.

Le texte en quatrième de couverture présente ce roman (inachevé) « comme la première «uchronie» véritable parce qu'il aurait déplacé, pour la première fois de manière soutenue, la représentation utopique non plus dans l'espace mais dans le temps. » En fait, les deux universitaires à l'origine de cette édition savante adoptent un vocabulaire légèrement distinct de celui qui a cours dans le milieu spécialisé de la sf et de la fantasy. De nombreux spécialistes font de l'uchronie le pendant français du concept anglophone des worlds of if, ce que l'on décrit aussi en parlant d'alternate histories. C'est-à-dire que l'uchronie est telle que l'avait définie Renouvier en 1875, une histoire telle qu'elle n'a pas été mais telle qu'elle aurait pu être. Une telle histoire a nécessairement un « point de divergence » avec l'histoire connue. (Et si Napoléon avait gagné la bataille de Waterloo, par exemple?) C'était d'ailleurs la définition adoptée par Éric Henriet dans la première édition de sa somme, L'histoire revisitée.

Mais Leibacher-Ouvrard (de l'Université de l'Arizona) et Maher (de l'Université de Calgary) semblent plutôt se servir du terme pour décrire toute chronologie historique autre. Les histoires du futur de Heinlein ou Horace Beam Piper (qui sont parfois devenues des uchronies, mais après leur conception ou leur publication) seraient alors des uchronies selon le sens qu'ils donnent à ce mot.

Or, rien ne permet d'affirmer que l'auteur avait en tête le projet de présenter une uchronie au sens de Renouvier. Ce qu'il offre, en passant et plutôt en arrière-plan, c'est une anticipation, et une histoire du futur.

Toutefois, l'abbé de Pure brouille les cartes, car il n'évoque pas nommément des personnages historiques. Cependant, en rapport avec le futur Empire de France, il parle d'un Errique [sic] et de deux Clodovées successifs, des désignations qui déguisent de manière fort mince les rois Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. L'anticipation commence avec le récit des exploits à venir de Clodovée le Conquérant. Michel de Pure vivait à l'aube du règne de Louis XIV; en prédisant à ce dernier une carrière de conquérant européen, l'abbé versait dans l'anticipation, sinon dans la flatterie, mais non dans l'uchronie au sens de Renouvier. En revanche, on pourrait soutenir que les changements de noms (Errique pour Henri, Clodovée pour Louis) font du récit une uchronie parce qu'il faut croire à un monde où la France a été gouvernée par Errique IV et Clodovée XIII. C'est l'aspect (et le seul aspect) qui fait de l'empire clodoviste un monde parallèle issue d'une alternate history.

En pratique, cette anticipation a fort peu d'importance pour le déroulement de l'histoire. Le prince Épigone de la lignée des Clodovistes a quitté son pays pour éviter d'avoir à prendre parti dans une guerre civile. Il a rencontré une princesse des plus belles, la superbe Arescie, et ils ont été jetés à la côte d'un pays inconnu, l'Agnotie. L'enlèvement d'une suivante d'Arescie oblige Épigone et ses compagnons à se risquer dans une ville énigmatique où ils rencontrent un sage vieillard auquel un compagnon d'Épigone, le vieil Aricas, racontera leurs aventures.

On apprend alors comment Épigone a abordé en mer un grand vaisseau à bord duquel la princesse Arescie, fille d'un empereur d'Agnotie, était retenue par trois princes, mais se dérobait à leur vue (et à leurs désirs) grâce à une potion d'invisibilité (et à leurs jalousies réciproques). Épigone va lui rendre sa liberté pour la ramener chez son père, mais le vaisseau aborde le royaume des Mignones [sic] et Coquettes, où règnent les femmes. Épigone est choisi d'autorité comme prince consort par la reine, qui condamne pendant ce temps Arescie à la mort pour pruderie et fidélité. L'intervention d'Idise, la suivante d'Arescie qui prend les armes, et d'un des princes déjà mentionnés sauve la princesse, mais le reste des aventures d'Épigone et d'Arescie n'a jamais été publié, voire rédigé...

L'intérêt du roman pour le lecteur moderne est sans doute réduit. Il s'agit d'une édition critique, qui s'en tient au français de l'époque et à la typographie d'origine en ne changeant guère, outre la disparition du tilde et la distinction systématique du « i » et du « j », du « u » et du « v », que la pagination. Néanmoins, il est fascinant d'y trouver en germe des éléments de la science-fiction moderne. Aux quelques gadgets (la potion d'invisibilité, la machine traductrice) s'ajoutent surtout l'évocation d'une société marquée par une inversion « carnavalesque » des rôles et des rebondissements ou péripéties qui ne dépareraient point de nombreux romans d'action ou de fantasy actuels. (En revanche, les codes narratifs ont à ce point changé qu'il est difficile d'y prendre le même goût qu'à la lecture d'un roman moderne.) L'anticipation n'offre plus grand intérêt, même s'il est piquant de constater que Louis XIV a bel et bien fait carrière comme conquérant et que Michel de Pure ne pousse pas plus loin l'anticipation qu'un Clodovée XVIII menacé de guerre civile.

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