2019-06-15

 

De la SFCF juridique (et sexiste) en 1917


(Au Québec, le Barreau a longtemps refusé d'intégrer les femmes.  Alors que l'Ontario avait donné l'exemple dès 1897, le Québec ne permettra pas aux femmes d'exercer comme avocates avant 1941.  Toutefois, en 1914, Annie Macdonald Langstaff, diplômée en droit de McGill, avait réclamé en vain l'autorisation de passer les examens du Barreau.  Les tribunaux confirmant que la loi qui régit le Barreau doit être changée d'abord pour le permettre, un premier projet de loi en ce sens est soumis dès 1916, qui échouera mais qui explique la création de ce texte futuriste sous pseudonyme dans un journal étudiant du Quartier Latin de Montréal, L'Escholier, le 2 mars 1917.  Et cette anticipation farouchement conservatrice, sans doute signée par un futur avocat, illustre bien les résistances profondément enracinées dans les mentalités de la profession.)


SIMPLE HISTOIRE DES TEMPS FUTURS 


Humblement dédié à Jean Rit



Louise était jolie..., les examinateurs, ignorants comme des... exa­minateurs.  Toutefois, pour faire oublier leur ignorance du Droit Civil et Romain, ces messieurs avaient tous appris le Code Galant par cœur.  Ceci explique que, s’autorisant de la nou­velle loi qui admettait les femmes au barreau, ils furent unanimes à recon­naître à la candidate...  beaucoup de charme, et le droit de chicaner tout comme un homme.  En vertu de quoi, ils lui donnèrent un grand papier couvert de signatures, quelques bons conseils, et la renvoyèrent toute heureuse à ses parents.

Mise en possession de son certificat, Louise aussitôt se commande une toge; non pas une de ces robes vulgaires, noires et tristes, qui donne aux avo­cats, un air de corbeau volé; mais une toge, très chic, une vraie “création”, tout soie et dentelle.  Un amour de toge, quoi !  Il va sans dire qu’une toque (russe), non moins “création”, paraissait, sur la facture qui fit grimacer le papa de Louise.

La modiste lui ayant rendu la liber­té, notre avocate ouvrit sa porte aux reporters.  Avec une grâce assez naturelle, elle se prêta à tous les ca­prices de ces messieurs, se laissa photographier dans toutes les poses, et consentit même à dire son âge, (pas le vrai, s’entend) à un petit journaliste de rien du tout, qui voulait écrire sa biographie.  Quand le défilé des calepins et crayons, fut terminé, la nouvelle disciple de Thémis, se prit à goûter  à la gloire.  Huit jours durant elle collectionna les découpures de journaux, des photographies d'elle-même, et reçut avec son air le plus modeste, les éloges envieux de ses amies.

Jeunes avocats qui me lisez, vous comprendrez facilement, qu'après une telle réclame, la clientèle ne se fit pas attendre, et vous serez encore moins surpris d’apprendre, que le premier client de Louise, fut du sexe féminin.   Les femmes ne sont-elles pas solidaires dans leur rancune?  Et il s’agissait de rancune.  Voici l’affaire.

La cliente, que nous appellerons Sophie, si vous le voulez bien, désirait tout simplement intenter une action en dommages, contre un certain jeune homme, qui, après lui avoir  juré une foi éternelle, promis deux prie-Dieu à l’église et un bonheur durable, l’avait lâchement abandonnée (c'est Sophie qui parle) sans dire pourquoi ni pour qui.

Premier grief.  Et conséquence de cet abandon, Sophie avait raté deux partis très riches.  Second grief, plus sérieux.  D’où poursuite. (1).

Louise, à qui pareille aventure était, paraît-il, déjà arrivée — ce qui aurait, (au dire de ses bonnes amies) motivé  le choix de sa nouvelle carrière — accepta avec enthousiasme cette cause qui permettait, selon elle, de s’étendre longuement sur l’injuste situation où se trouve la femme vis-à-vis de l’homme, et sur le martyre enduré par son sexe trop faible, trop con­fiant, toujours méconnu et abusé.

Les procédures allèrent grand train, et le jour fixé pour les débats, grâce aux journaux, qui, sous des manchettes énormes avaient commenté l’affaire, n’oubliant ni les noms, ni la situation très fashionable des intéressés ; une foule choisie, en presque totalité féminine, garnissait la salle.  (Non, mesdemoiselles, je ne décrirai point les toilettes, je ne les décris jamais et pour cause).

Une fois le juge installé en bonne position pour dormir et le jury attentif, on procéda à l’interrogatoire des  témoins.  Pendant que l’avocat de la partie adverse s’ingéniait à embêter ces braves gens, notre héroïne parcourait fièvreusement [sic] les notes qui  serviraient tantôt à sa plaidoirie.  Toutes les souffrances endurées par la femme, depuis l’enfance de la race Boréenne jusqu’aux Romains : escla­vage, sacrifices humains, humiliations (sans mettre le déluge, et la réclusion forcée de la femme de Noé), toutes ces misères, dis-je, y étaient mises à jour étalées complaisamment.  Par contre, soit oubli volontaire, soit ignorance, il n’était fait aucune mention de l’émancipation de la femme par le christianisme, du magnifique rôle que la religion l’avait appelée à jouer, et dans la famille et dans la société.  La roublarde comptait sur l’effet produit sur le juge et les jurés, par ce tableau touchant, sur l’immense pitié qu’ils ne pouvaient manquer de ressentir, et sur l’émotion qu’elle feindrait elle-même, pour conclure à l’égoïsme et à la tyrannie des hommes, réclamer la liberté totale pour la femme, et dé­montrer clairement le bon droit de sa clientèle.  (Si ce plaidoyer est un peu obscur et embrouillé, ne vous en prenez qu'à la conformation psycho­logique de la femme).

Enfin, on amène l’accusé ; un joli garçon, ma foi.  L’avocate se lève.  Un frisson saisit l’auditoire.  Elle n’y prend garde.  Son regard se promène fièrement sur ce public, et, dur, vient s’arrêter sur le coupable...

Mais qu’arrive-t-il ?  Pourquoi la physionomie de Louise, subit-elle, en quelques secondes, toutes ces trans­formations?  Sous la légère couche de poudre, on la voit, pâlir, rosir, se crisper, sourire...  Pourquoi ce cri de bonheur?  Cet élan en avant, les bras ouverts?...  Serait-ce que... ?  Mais oui,  c'est bien cela, Louise, vient de reconnaître dans l’accusé, son ancien amoureux (vous ai-je dit, que ce dernier s’était présenté à Sophie sous un faux nom?)

Vous devinez ce qui s’ensuit.  Ce fut un beau scandale.  L’huissier y ga­gna une extinction de voix, sans grand résultat d’ailleurs ; et le juge en resta estomaqué, cinq jours durant.

Et Sophie, dites-vous, que fit-elle ?  Ce qu’elle fit ?  Elle intenta une nouvelle action pour détournement, contre son avocate cette fois, et elle confia sa cause à Me X, jeune avocat de grand talent, qu’elle épousa, peu après, sans doute pour mieux suivre ses intérêts.

Jean PLUME

(1)  Vous objecterez peut-être, que le cas est rare : à ceci je crois devoir répondre qu’il peut exister et que par conséquent...  J. P.

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