2010-04-08

 

La peur des autres

Une des grandes peurs vulgarisées par la science-fiction, c'est celle des autres, c'est-à-dire de la transformation de nos voisins et concitoyens en zombies, vampires, serial killers et autres barbares à la Mad Max prêts à nous égorger pour une bouchée de pain. L'homme privé de ses repères et des soutiens de la civilisation devient un primitif bestial, un loup pour l'homme, un animal féroce... Des auteurs anglais comme William Golding (Lord of the Flies) et J. G. Ballard (High Rise) ont tout particulièrement cultivé cette crainte de la régression — en réaction à l'effondrement de l'Empire britannique et des valeurs qu'il incarnait?

En fait, cette crainte s'enracine aussi au siècle dernier dans des expériences scientifiques sur les effets de la surpopulation et de l'entassement. Les expériences que John B. Calhoun a menées avec des rats à partir de 1947 ont entraîné des modifications fondamentales du comportements des rongeurs confinés dans un espace dont ils ne pouvaient pas s'échapper. Lorsque la densité de la population des rats dépassait un certain point, la coexistence forcée déclenchait une multitude de comportements jugés aberrants. Les historiens Edmund Ramsden et Jon Adams résument ainsi les observations de Calhoun qui eurent le plus d'influence sur la culture de son époque :

« Males became aggressive, some moving in groups, attacking females and the young. Mating behaviors were disrupted. Some males became exclusively homosexual. Others became pansexual and hypersexual, attempting to mount any rat they encountered. Mothers neglected their infants, first failing to construct proper nests, and then carelessly abandoning and even attacking their pups. In certain sections of the pens, infant mortality rose as high as 96%, the dead cannibalized by adults. Subordinate animals withdrew psychologically, surviving in a physical sense but at an immense psychological cost. They were the majority in the late phases of growth, existing as a vacant, huddled mass in the centre of the pens. Unable to breed, the population plummeted and did not recover. The crowded rodents had lost the ability to co-exist harmoniously, even after the population numbers once again fell to low levels. At a certain density, they had ceased to act like rats and mice, and the change was permanent. »

Il est effectivement difficile de ne pas succomber à une interprétation simpliste en remplaçant les rats par des humains et en cherchant les symptômes du surpeuplement dans les mégalopoles contemporaines. Les écrivains de science-fiction n'ont pas hésité à le faire, souvent au nom de la valeur d'avertissement de l'extrapolation. Par contre, les conclusions à tirer des premières expériences de Calhoun sont plus délicates. S'il faut juguler la croissance de la population, la peur des autres justifie-t-elle tous les recours possibles, jusqu'au génocide, comme dans La Suite du temps de Daniel Sernine? Ou bien, faut-il (comme Calhoun lui-même) rechercher de nouveaux modes de coexistence?

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