2009-03-23
Le vieillissement du Québec
Réfléchissons un instant au vieillissement des Québécois en examinant ce diagramme pris à ce rapport (.PDF) de l'Institut de la Statistique du Québec. Ce qu'il illustre de manière frappante, c'est l'accroissement de l'espérance de vie à la naissance, qui remonte à la fin du XIXe siècle.En revanche, il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour voir augmenter de façon marquée l'espérance de vie (après un premier frémissement durant l'entre-deux-guerres) des hommes et femmes de 65 ans. En 2001, les femmes avaient gagné environ dix ans d'espérance de vie et les hommes cinq ans. Autrement dit, le gros de l'amélioration de la longévité a lieu durant les six premières décennies d'existence des Québécois, en éliminant des causes de mortalité infantile et d'autres causes de décès prématuré.
Néanmoins, on prévoit que cette augmentation de la longévité va se poursuivre. Par conséquent, ceci va se conjuguer à l'atteinte par la génération lyrique de l'âge mûr et multiplier le nombre de personnes âgées de plus de 60 ou 65 ans. Pour beaucoup, c'est un scénario très inquiétant qui s'annonce, puisque le nombre de personnes à charge pour les travailleurs va monter en flèche. En bref, il y aura plus de vieux et moins de jeunes. (Notons en passant qu'au tournant du XXe siècle, le nombre de personnes à charge par travailleur était déjà élevé, parce que les données du problème étaient inversées : beaucoup moins de vieillards par famille, mais beaucoup plus d'enfants et de poupons.)
Toutefois, une nouvelle étude suggère une autre façon d'aborder les choses. En prenant les données sur les espérances de vie (passée et future) des Québécois, entre autres sous la forme de tables de mortalité (.PDF), ainsi que ce rapport (.PDF) sur le vieillissement au Québec qui fournit des âges médians, et en m'inspirant de cet article du Population Bulletin signalé dans la revue Futuribles, j'ai tenté d'adapter au Québec cette nouvelle manière de concevoir le vieillissement.
Il s'agit de partir de la fin au lieu de partir du début. Au lieu de calculer le nombre de personnes qui ont passé la barre d'un certain âge (60 ou 65 ans), on calcule le nombre de personnes dont l'espérance de vie statistique est tombée en deçà d'un certain seuil (10 ou 15 ans). Car il faut se souvenir que l'espérance de vie la plus souvent citée est l'espérance de vie à la naissance : plus on vieillit, plus notre espérance de vie se réduit. À 40 ans, elle n'est plus que de 40 ans environ.
Or, en raison des progrès de la longévité, l'âge pour lequel l'espérance de vie se réduit à moins de 15 ans ne cesse d'augmenter dans les pays riches. Au Canada, par exemple, il était de 64,5 ans en 1955, mais de 70,8 ans en 2005. L'article du Population Bulletin prévoit qu'il sera de 72,7 ans en 2025 et de 74,5 ans en 2045. Par conséquent, l'augmentation du nombre de personnes qui ont une espérance de vie de 15 ans et moins est beaucoup moins rapide que l'augmentation du nombre de personnes de 65 ans et plus. On le voit dans le diagramme ci-dessus pour le Canada.Si on suppose qu'une personne ayant une espérance de vie de plus de quinze ans est statistiquement en (assez) bonne santé, cela veut dire que le nombre de personnes réellement et concrètement à charge va s'accroître beaucoup moins rapidement qu'on pourrait le croire en considérant uniquement le nombre de personnes de 65 ans et plus.
Ceci illustre en fait une observation assez répandue, qui veut que la vieillesse n'est plus ce qu'elle était. Les auteurs de cet article, Warren Sanderson et Sergueï Scherbov, proposent une façon de calculer ce phénomène plus rigoureusement en tenant compte de l'âge médian d'une population et de l'espérance de vie (une idée qui remonterait au moins à une proposition de l'économiste Victor Fuchs en 1984). L'âge médian divise une population en deux groupes de taille égales, les plus jeunes et les moins jeunes.
L'âge médian prospectif permet de comparer l'âge médian à différentes époques en tenant compte de l'allongement de la vie. C'est l'équivalent d'un prix ajusté pour l'inflation. Ainsi, si l'âge médian en 1966 correspond à une espérance de vie donnée, on peut déterminer à quel âge correspond cette espérance de vie à une autre date, en 2006, par exemple. Cet âge est l'âge médian prospectif (ou corrigé) qui permet de comprendre que si un homme avait 24 ans au Québec en 1966, il avait une espérance de vie qui était celle d'un homme de 30,5 ans au Québec en 2001. D'un certain point de vue, donc, avoir trente ans aujourd'hui, c'est comme avoir moins de 25 ans durant la Révolution tranquille.
Sanderson et Scherbov ont calculé l'évolution des âges médians réel et corrigé pour plusieurs pays, dont le Canada. Dans la figure ci-dessous, les points rouges et verts permettent de suivre ces évolutions au Canada de 1955 à 2045. Il est clair que, si on se fiait uniquement à l'âge médian réel, on pourrait croire que le Canada aura beaucoup vieilli durant cette période. Par contre, l'âge médian ajusté n'accuse pas un changement aussi dramatique.
Pour ce qui est du Québec, la courbe bleu foncé dans la figure ci-dessous illustre l'évolution de l'âge médian réel durant la même période. De plus jeune que la moyenne canadienne en 1955, la population québécoise passe à plus vieille que la moyenne depuis le début du XXIe siècle.
Le portrait change un peu si on rapporte les âges médians successifs aux données pour une année de référence, soit 2001.Comme il est remarquablement difficile de trouver les âges médians en fonction du sexe tandis que les tables de mortalité sont données pour les deux sexes, je me suis contenté de construire deux courbes, une pour les hommes en posant que l'âge médian de la population était celui des hommes et une pour les femmes en posant que l'âge médian global était celui des femmes. Les résultats ne sont donc pas exacts, mais la tendance est valable : elle démontre que le vieillissement perçu de la société québécoise (même s'il reste supérieur à la moyenne canadienne) est moins prononcé que le vieillissement chronologique. (Faute de tables de mortalité projetées, je n'ai pas pu prolonger les deux courbes au-delà de 2006.)Conséquences...
Sanderson et Scherbov suggèrent que ce nouveau point de vue sur le vieillissement pourrait guider des réformes politiques. Par exemple, se servir de l'âge chronologique pour fixer l'âge de la retraite est injuste pour les jeunes travailleurs quand la longévité augmente, car la période de cotisation reste la même tandis que la durée des bénéfices augmente (ce qui oblige à augmenter les montants des cotisations). Inversement, se servir de l'âge prospectif obligerait les retraités à récolter des bénéfices pendant une durée fixe tandis que la période de cotisation s'allongerait sans cesse (ce qui permet de réduire les cotisations). Si l'âge de la retraite tenait compte à la fois de l'espérance de vie et de l'âge chronologique, cette injustice générationnelle serait corrigée.
Les deux auteurs posent aussi la question de l'effet du vieillissement sur le discours politique. Si on se fie uniquement à l'âge chronologique, les réflexes de la population pourraient amener les électeurs et les politiciens à privilégier les projets à court terme. En revanche, si on tient compte de l'âge corrigé, les discours politiques pourraient continuer à miser sur des projets à long terme, en tenant compte du recul de l'horizon personnel d'une population dont la longévité augmente.
Au passage, ils notent que l'âge n'est pas totalement chronologique : l'âge de la ménopause (ou de l'andropause) ne change pas, de sorte que l'allongement de la vie doit être uniquement considéré selon son effet sur la fin de vie et la gestion financière de celle-ci.
Enfin, il reste à poser la question de ce qui sous-tend cet allongement de la longévité et de savoir s'il est durable. Outre les progrès médicaux, cet allongement ne tient-il pas à des facteurs comme l'essence à bon marché et la voiture pour tous, une alimentation saine et abondante, des conditions de travail relativement supportables, bref, à tout ce qui rend la vie plus douce et plus facile dans les pays riches? Que se passera-t-il si une crise économique, une crise des ressources (dont le pétrole) et une crise de l'environnement rendent la vie plus difficile pour les générations à venir?
Eh bien, au moyen des outils décrits ci-dessus, on pourra observer une convergence des âges médians réel et ajusté, le cas échéant, qui révélera un retour dans le temps...
Néanmoins, on prévoit que cette augmentation de la longévité va se poursuivre. Par conséquent, ceci va se conjuguer à l'atteinte par la génération lyrique de l'âge mûr et multiplier le nombre de personnes âgées de plus de 60 ou 65 ans. Pour beaucoup, c'est un scénario très inquiétant qui s'annonce, puisque le nombre de personnes à charge pour les travailleurs va monter en flèche. En bref, il y aura plus de vieux et moins de jeunes. (Notons en passant qu'au tournant du XXe siècle, le nombre de personnes à charge par travailleur était déjà élevé, parce que les données du problème étaient inversées : beaucoup moins de vieillards par famille, mais beaucoup plus d'enfants et de poupons.)
Toutefois, une nouvelle étude suggère une autre façon d'aborder les choses. En prenant les données sur les espérances de vie (passée et future) des Québécois, entre autres sous la forme de tables de mortalité (.PDF), ainsi que ce rapport (.PDF) sur le vieillissement au Québec qui fournit des âges médians, et en m'inspirant de cet article du Population Bulletin signalé dans la revue Futuribles, j'ai tenté d'adapter au Québec cette nouvelle manière de concevoir le vieillissement.
Il s'agit de partir de la fin au lieu de partir du début. Au lieu de calculer le nombre de personnes qui ont passé la barre d'un certain âge (60 ou 65 ans), on calcule le nombre de personnes dont l'espérance de vie statistique est tombée en deçà d'un certain seuil (10 ou 15 ans). Car il faut se souvenir que l'espérance de vie la plus souvent citée est l'espérance de vie à la naissance : plus on vieillit, plus notre espérance de vie se réduit. À 40 ans, elle n'est plus que de 40 ans environ.
Or, en raison des progrès de la longévité, l'âge pour lequel l'espérance de vie se réduit à moins de 15 ans ne cesse d'augmenter dans les pays riches. Au Canada, par exemple, il était de 64,5 ans en 1955, mais de 70,8 ans en 2005. L'article du Population Bulletin prévoit qu'il sera de 72,7 ans en 2025 et de 74,5 ans en 2045. Par conséquent, l'augmentation du nombre de personnes qui ont une espérance de vie de 15 ans et moins est beaucoup moins rapide que l'augmentation du nombre de personnes de 65 ans et plus. On le voit dans le diagramme ci-dessus pour le Canada.Si on suppose qu'une personne ayant une espérance de vie de plus de quinze ans est statistiquement en (assez) bonne santé, cela veut dire que le nombre de personnes réellement et concrètement à charge va s'accroître beaucoup moins rapidement qu'on pourrait le croire en considérant uniquement le nombre de personnes de 65 ans et plus.
Ceci illustre en fait une observation assez répandue, qui veut que la vieillesse n'est plus ce qu'elle était. Les auteurs de cet article, Warren Sanderson et Sergueï Scherbov, proposent une façon de calculer ce phénomène plus rigoureusement en tenant compte de l'âge médian d'une population et de l'espérance de vie (une idée qui remonterait au moins à une proposition de l'économiste Victor Fuchs en 1984). L'âge médian divise une population en deux groupes de taille égales, les plus jeunes et les moins jeunes.
L'âge médian prospectif permet de comparer l'âge médian à différentes époques en tenant compte de l'allongement de la vie. C'est l'équivalent d'un prix ajusté pour l'inflation. Ainsi, si l'âge médian en 1966 correspond à une espérance de vie donnée, on peut déterminer à quel âge correspond cette espérance de vie à une autre date, en 2006, par exemple. Cet âge est l'âge médian prospectif (ou corrigé) qui permet de comprendre que si un homme avait 24 ans au Québec en 1966, il avait une espérance de vie qui était celle d'un homme de 30,5 ans au Québec en 2001. D'un certain point de vue, donc, avoir trente ans aujourd'hui, c'est comme avoir moins de 25 ans durant la Révolution tranquille.
Sanderson et Scherbov ont calculé l'évolution des âges médians réel et corrigé pour plusieurs pays, dont le Canada. Dans la figure ci-dessous, les points rouges et verts permettent de suivre ces évolutions au Canada de 1955 à 2045. Il est clair que, si on se fiait uniquement à l'âge médian réel, on pourrait croire que le Canada aura beaucoup vieilli durant cette période. Par contre, l'âge médian ajusté n'accuse pas un changement aussi dramatique.
Pour ce qui est du Québec, la courbe bleu foncé dans la figure ci-dessous illustre l'évolution de l'âge médian réel durant la même période. De plus jeune que la moyenne canadienne en 1955, la population québécoise passe à plus vieille que la moyenne depuis le début du XXIe siècle.
Le portrait change un peu si on rapporte les âges médians successifs aux données pour une année de référence, soit 2001.Comme il est remarquablement difficile de trouver les âges médians en fonction du sexe tandis que les tables de mortalité sont données pour les deux sexes, je me suis contenté de construire deux courbes, une pour les hommes en posant que l'âge médian de la population était celui des hommes et une pour les femmes en posant que l'âge médian global était celui des femmes. Les résultats ne sont donc pas exacts, mais la tendance est valable : elle démontre que le vieillissement perçu de la société québécoise (même s'il reste supérieur à la moyenne canadienne) est moins prononcé que le vieillissement chronologique. (Faute de tables de mortalité projetées, je n'ai pas pu prolonger les deux courbes au-delà de 2006.)Conséquences...
Sanderson et Scherbov suggèrent que ce nouveau point de vue sur le vieillissement pourrait guider des réformes politiques. Par exemple, se servir de l'âge chronologique pour fixer l'âge de la retraite est injuste pour les jeunes travailleurs quand la longévité augmente, car la période de cotisation reste la même tandis que la durée des bénéfices augmente (ce qui oblige à augmenter les montants des cotisations). Inversement, se servir de l'âge prospectif obligerait les retraités à récolter des bénéfices pendant une durée fixe tandis que la période de cotisation s'allongerait sans cesse (ce qui permet de réduire les cotisations). Si l'âge de la retraite tenait compte à la fois de l'espérance de vie et de l'âge chronologique, cette injustice générationnelle serait corrigée.
Les deux auteurs posent aussi la question de l'effet du vieillissement sur le discours politique. Si on se fie uniquement à l'âge chronologique, les réflexes de la population pourraient amener les électeurs et les politiciens à privilégier les projets à court terme. En revanche, si on tient compte de l'âge corrigé, les discours politiques pourraient continuer à miser sur des projets à long terme, en tenant compte du recul de l'horizon personnel d'une population dont la longévité augmente.
Au passage, ils notent que l'âge n'est pas totalement chronologique : l'âge de la ménopause (ou de l'andropause) ne change pas, de sorte que l'allongement de la vie doit être uniquement considéré selon son effet sur la fin de vie et la gestion financière de celle-ci.
Enfin, il reste à poser la question de ce qui sous-tend cet allongement de la longévité et de savoir s'il est durable. Outre les progrès médicaux, cet allongement ne tient-il pas à des facteurs comme l'essence à bon marché et la voiture pour tous, une alimentation saine et abondante, des conditions de travail relativement supportables, bref, à tout ce qui rend la vie plus douce et plus facile dans les pays riches? Que se passera-t-il si une crise économique, une crise des ressources (dont le pétrole) et une crise de l'environnement rendent la vie plus difficile pour les générations à venir?
Eh bien, au moyen des outils décrits ci-dessus, on pourra observer une convergence des âges médians réel et ajusté, le cas échéant, qui révélera un retour dans le temps...
Libellés : Démographie, Québec