2006-12-28
Éclipses interstellaires
La quête d'êtres semblables à nous ailleurs dans l'Univers se poursuit.
Le lancement de la mission Corot par le Centre national d'études spatiales (CNES) de la France fournira aux chercheurs un nouveau moyen de détecter des exoplanètes.
Puisque toutes les planètes connues jusqu'à maintenant hors du système solaire ont été découvertes par des méthodes classiques remontant au début du siècle dernier, quand les astronomes ont commencé à conclure à la duplicité d'étoiles qui apparaissaient comme un seul objet à l'œil nu ou même au télescope alors qu'elles étaient des binaires. Le télescope avait servi à distinguer des binaires dont la duplicité était invisible à l'œil nu. Pour aller plus loin, il a fallu l'invention d'un autre instrument, le spectroscope.
Lorsque la lumière d'une étoile est étalée sous la forme d'un spectre (par un prisme ou un réseau de diffraction), le déplacement périodique des raies d'absorption trahit le déplacement du corps émetteur, dans le plan commun à ce corps et à l'observateur sur Terre.
Les moyens de détection utilisés au début du XXe siècle étaient relativement grossiers. Il n'était pas toujours possible de distinguer les raies spectrales des deux étoiles, qui se déplaceraient en sens opposé. Il n'était pas non plus possible de discerner des déplacements trop faibles, parfois moins grands que l'ampleur de la raie en cause.
Il faut bien comprendre que ces déplacements sont produits par le mouvement orbital du corps émetteur autour de son centre de masse commun avec l'autre corps. Quant cet autre corps est une autre étoile, ce mouvement orbital sera plus ou moins violent. Mais si l'autre corps est une planète, le mouvement autour du centre de masse sera beaucoup moins prononcé.
Il a donc fallu attendre jusqu'à la fin du XXe s. pour que les astronomes disposent des moyens techniques de mesurer ces déplacements beaucoup plus faibles. Depuis, les résultats ont déboulé et il existe maintenant une encyclopédie des planètes extrasolaires.
Seulement, les procédés actuels restent limités : pour l'instant, les planètes révélées par ces méthodes doivent avoir une masse de l'ordre de celle de Jupiter ou Saturne, et elles doivent être pendues aux basques de l'étoile centrale, au risque de se brûler ou de s'évaporer.
Des planètes aussi infimes que la Terre, tournant à une distance confortable de leur soleil, sont tout simplement indétectables (sauf dans quelques cas particuliers, dont celui des planètes découvertes par effet de microlentille et celui des planètes trouvées en orbite autour de pulsars).
Mais Corot emploiera une nouvelle méthode qui est en fait la plus ancienne de toutes. Ironiquement, le dernier cri en la matière fera appel à un phénomène conçu dès le XVIIIe siècle : l'éclipse partielle des étoiles dans le ciel.
C'est en 1782 qu'un jeune Anglais de dix-huit ans, John Goodricke, a commencé à identifier les changements d'éclat intrinsèque de plusieurs étoiles. En prouvant la variabilité d'Algol (β Persei), β Lyrae et δ Cephei, il émit aussi l'hypothèese que si leur éclat connaissait une baisse périodique, c'était en raison de l'interposition d'un objet quelconque entre l'étoile et la Terre :
« If it were not perhaps too early to hazard even a conjecture on the cause of this variation, I should imagine it could hardly be accounted for otherwise than either by the interposition of a large body revolving round Algol, or some kind of motion of its own, whereby part of its body, covered with spots or such like matter, is periodically turned towards the earth. »
Comme il était naturel de supposer que le corps en question serait obscur, sans quoi il serait visible, les astronomes de l'époque ont vite supposé qu'il pourrait s'agir d'une planète tournant autour d'Algol dans le plan commun à ces deux corps et à la Terre. Depuis le XVIIe siècle, ils connaissaient le phénomène des éclipses partielles du Soleil par une planète passant devant le disque solaire vu de la Terre. Ces traversées de Mercure ou de Vénus ont fait l'objet d'observations poussées jusqu'en 1882 afin de déterminer au mieux la valeur de la distance entre la Terre et le Soleil, susceptible de servir d'étalon de mesure pour tout le système solaire, et même au-delà.
Avant les premières observations spectroscopiques à la fin du XIXe siècle, les astronomes n'ont jamais rejeté entièrement la possibilité que les éclipses d'étoiles lointaines soient causées par des exoplanètes, même s'il apparaissait de plus en plus clairement que ces planètes auraient une grosseur extraordinaire. La spectroscopie a enfin permis de montrer que les corps responsables étaient généralement lumineux et qu'ils étaient trop massifs pour être de simples planètes.
Avec Corot, nous allons boucler la boucle. Les instruments du satellite auront la vue suffisamment perçante pour détecter la très légère soustraction de lumière stellaire opérée par une planète comme la Terre (une exoTerre) quand elle passe devant son étoile.
Pour moi aussi, c'est une boucle qui se boucle. Il y a quinze ans, j'avais travaillé comme étudiant à la maîtrise sur la solution d'une étoile binaire spectroscopique à éclipses. Et j'avais aussi travaillé, une fois au doctorat, sur la détection de variations infimes de l'éclat d'étoiles massives. Mon directeur de thèse avait accouplé deux petits télescopes pour observer et comparer en temps réel deux étoiles afin d'éliminer les variations aléatoires causées par les turbulences atmosphèriques. Mais Corot fera beaucoup mieux, et beaucoup plus rapidement. En deux ans et demi, ce seront 180 000 étoiles qui seront scrutées et il sera possible de détecter le passage d'une planète dont la masse dépassera à peine celle de la Terre.
La découverte d'exoplanètes telluriques (d'exoTerres) serait rassurante. Les exoplanètes identifiées jusqu'à maintenant excluent souvent l'existence de mondes telluriques dans les mêmes systèmes (du moins, à des distances raisonnables de l'étoile en cause) parce que leurs orbites sont souvent elliptiques et font traverser à ces mondes gigantesques la zone habitable où on pourrait retrouver des mondes habitables (dans l'état des connaissances actuelles). D'aucuns en tirent des raisons d'être pessimistes, mais il reste de nombreux systèmes apparemment dépourvus de planètes géantes suivant une orbite excentrée qui pourraient très bien accueillir des exoTerres.
Corot nous forcera peut-être à réviser notre calcul des chances de trouver nos semblables ailleurs dans l'Univers. Rendez-vous quand sa mission sera finie, en 2009 !
Le lancement de la mission Corot par le Centre national d'études spatiales (CNES) de la France fournira aux chercheurs un nouveau moyen de détecter des exoplanètes.
Puisque toutes les planètes connues jusqu'à maintenant hors du système solaire ont été découvertes par des méthodes classiques remontant au début du siècle dernier, quand les astronomes ont commencé à conclure à la duplicité d'étoiles qui apparaissaient comme un seul objet à l'œil nu ou même au télescope alors qu'elles étaient des binaires. Le télescope avait servi à distinguer des binaires dont la duplicité était invisible à l'œil nu. Pour aller plus loin, il a fallu l'invention d'un autre instrument, le spectroscope.
Lorsque la lumière d'une étoile est étalée sous la forme d'un spectre (par un prisme ou un réseau de diffraction), le déplacement périodique des raies d'absorption trahit le déplacement du corps émetteur, dans le plan commun à ce corps et à l'observateur sur Terre.
Les moyens de détection utilisés au début du XXe siècle étaient relativement grossiers. Il n'était pas toujours possible de distinguer les raies spectrales des deux étoiles, qui se déplaceraient en sens opposé. Il n'était pas non plus possible de discerner des déplacements trop faibles, parfois moins grands que l'ampleur de la raie en cause.
Il faut bien comprendre que ces déplacements sont produits par le mouvement orbital du corps émetteur autour de son centre de masse commun avec l'autre corps. Quant cet autre corps est une autre étoile, ce mouvement orbital sera plus ou moins violent. Mais si l'autre corps est une planète, le mouvement autour du centre de masse sera beaucoup moins prononcé.
Il a donc fallu attendre jusqu'à la fin du XXe s. pour que les astronomes disposent des moyens techniques de mesurer ces déplacements beaucoup plus faibles. Depuis, les résultats ont déboulé et il existe maintenant une encyclopédie des planètes extrasolaires.
Seulement, les procédés actuels restent limités : pour l'instant, les planètes révélées par ces méthodes doivent avoir une masse de l'ordre de celle de Jupiter ou Saturne, et elles doivent être pendues aux basques de l'étoile centrale, au risque de se brûler ou de s'évaporer.
Des planètes aussi infimes que la Terre, tournant à une distance confortable de leur soleil, sont tout simplement indétectables (sauf dans quelques cas particuliers, dont celui des planètes découvertes par effet de microlentille et celui des planètes trouvées en orbite autour de pulsars).
Mais Corot emploiera une nouvelle méthode qui est en fait la plus ancienne de toutes. Ironiquement, le dernier cri en la matière fera appel à un phénomène conçu dès le XVIIIe siècle : l'éclipse partielle des étoiles dans le ciel.
C'est en 1782 qu'un jeune Anglais de dix-huit ans, John Goodricke, a commencé à identifier les changements d'éclat intrinsèque de plusieurs étoiles. En prouvant la variabilité d'Algol (β Persei), β Lyrae et δ Cephei, il émit aussi l'hypothèese que si leur éclat connaissait une baisse périodique, c'était en raison de l'interposition d'un objet quelconque entre l'étoile et la Terre :
« If it were not perhaps too early to hazard even a conjecture on the cause of this variation, I should imagine it could hardly be accounted for otherwise than either by the interposition of a large body revolving round Algol, or some kind of motion of its own, whereby part of its body, covered with spots or such like matter, is periodically turned towards the earth. »
Comme il était naturel de supposer que le corps en question serait obscur, sans quoi il serait visible, les astronomes de l'époque ont vite supposé qu'il pourrait s'agir d'une planète tournant autour d'Algol dans le plan commun à ces deux corps et à la Terre. Depuis le XVIIe siècle, ils connaissaient le phénomène des éclipses partielles du Soleil par une planète passant devant le disque solaire vu de la Terre. Ces traversées de Mercure ou de Vénus ont fait l'objet d'observations poussées jusqu'en 1882 afin de déterminer au mieux la valeur de la distance entre la Terre et le Soleil, susceptible de servir d'étalon de mesure pour tout le système solaire, et même au-delà.
Avant les premières observations spectroscopiques à la fin du XIXe siècle, les astronomes n'ont jamais rejeté entièrement la possibilité que les éclipses d'étoiles lointaines soient causées par des exoplanètes, même s'il apparaissait de plus en plus clairement que ces planètes auraient une grosseur extraordinaire. La spectroscopie a enfin permis de montrer que les corps responsables étaient généralement lumineux et qu'ils étaient trop massifs pour être de simples planètes.
Avec Corot, nous allons boucler la boucle. Les instruments du satellite auront la vue suffisamment perçante pour détecter la très légère soustraction de lumière stellaire opérée par une planète comme la Terre (une exoTerre) quand elle passe devant son étoile.
Pour moi aussi, c'est une boucle qui se boucle. Il y a quinze ans, j'avais travaillé comme étudiant à la maîtrise sur la solution d'une étoile binaire spectroscopique à éclipses. Et j'avais aussi travaillé, une fois au doctorat, sur la détection de variations infimes de l'éclat d'étoiles massives. Mon directeur de thèse avait accouplé deux petits télescopes pour observer et comparer en temps réel deux étoiles afin d'éliminer les variations aléatoires causées par les turbulences atmosphèriques. Mais Corot fera beaucoup mieux, et beaucoup plus rapidement. En deux ans et demi, ce seront 180 000 étoiles qui seront scrutées et il sera possible de détecter le passage d'une planète dont la masse dépassera à peine celle de la Terre.
La découverte d'exoplanètes telluriques (d'exoTerres) serait rassurante. Les exoplanètes identifiées jusqu'à maintenant excluent souvent l'existence de mondes telluriques dans les mêmes systèmes (du moins, à des distances raisonnables de l'étoile en cause) parce que leurs orbites sont souvent elliptiques et font traverser à ces mondes gigantesques la zone habitable où on pourrait retrouver des mondes habitables (dans l'état des connaissances actuelles). D'aucuns en tirent des raisons d'être pessimistes, mais il reste de nombreux systèmes apparemment dépourvus de planètes géantes suivant une orbite excentrée qui pourraient très bien accueillir des exoTerres.
Corot nous forcera peut-être à réviser notre calcul des chances de trouver nos semblables ailleurs dans l'Univers. Rendez-vous quand sa mission sera finie, en 2009 !
Libellés : Astronomie, Histoire