2006-08-10

 

Et si le Califat n'était pas une si mauvaise idée?

Un nouveau complot islamiste entraîne de nouvelles mesures de sécurité. Moi qui pars pour la France bientôt, il faut bien que je note de laisser ma bouteille d'eau dans mon sac à dos. Mais on ne m'empêchera pas de penser que je trouverais plus rassurant que toutes ces mesures (à quand la nudité intégrale dans les avions comme dans le monde des aventures de Moréa?) un infléchissement de la politique étrangère du Canada dans un sens moins inféodé aux étranges obsessions des fondamentalistes chrétiens des États-Unis ou à la culpabilité européenne post-Shoah.

On pourrait commencer par prôner le retour du Califat. N'est-ce pas l'étrange obsession des fondamentalistes musulmans, à commencer par Oussama Ben Laden lui-même? Sans doute, mais pour paraphraser Clémenceau, le califat est trop important pour le laisser aux fanatiques... Un nouveau commandeur des croyants présenterait l'avantage, du point de vue de la paix dans le monde, d'être, comme toutes les institutions, une force conservatrice attachée au statu quo.

Après tout, la papauté illustre le choix obligé de l'évolution pour accompagner les évolutions des sociétés chrétiennes. Une grande institution religieuse reflète nécessairement les grandes évolutions de ses adhérents et, même si elle résiste sur certains points, elle n'est pas libre de rester trop en retrait, au risque de perdre l'ensemble de ses fidèles. En revanche, les sectes et groupuscules sont parfaitement libres d'insister sur l'exercice inchangé du culte d'antan ou sur l'interprétation littérale des textes sacrés; aux États-Unis, si les Catholiques font partie de la coalition des croyants qui a soutenu le président Bush, les démarches extrêmes sont le fait des églises indépendantes de la mouvance évangélique et des groupuscules (j'entends par ce terme des mouvements unifiés mais très distincts de la majorité, dont le nombre peut varier de la poignée de fidèles à la poignée de millions, comme dans le cas des Mormons).

Par conséquent, on peut croire qu'un nouveau commandeur des croyants musulmans finirait par intégrer dans ses considérations un grand nombre de points de vue exprimés par ses propres fidèles. En arriverait-il pour autant au point de vue d'un Ali Sistani, que certains disent opposé à l'immixtion trop grande des religieux dans les affaires séculières? Ce n'est pas sûr, mais on peut parier qu'il serait, par la nature même de sa fonction, une voix relativement modérée.

La principale objection à l'encouragement d'un nouveau califat tient à la confusion musulmane du spirituel et du temporel. Depuis les débuts, le calife a souvent été une puissance temporelle. Ben Laden ne cherche pas seulement à faire revivre l'équivalent d'un pape musulman, mais il rêve aussi de ressusciter un État qui rassemblerait de nombreux musulmans et qui aurait pour loi la loi coranique. Il est difficile de croire que ceci pourrait avoir lieu pacifiquement et sans entraîner les conflits internes provoqués au siècle dernier par la détermination communiste d'exporter la révolution prolétaire dans le monde.

Même alors, il est possible de demander si un nouvel État pan-islamique serait bel et bien la pire des solutions. L'Empire ottoman a duré des siècles et il a eu le mérite d'assurer une certaine stabilité dans le sud-est de l'Europe — c'est-à-dire, dans les Balkans qui ont, dès le retrait de l'autorité ottomane, commencé à se déchirer dans une série de guerres qui a culminé avec la Première Guerre mondiale, qui a essentiellement engendré la Seconde Guerre mondiale, puis les guerres yougoslaves de la fin du siècle dernier... La fragmentation politique actuelle du Proche-Orient est-elle étrangère aux conflits qui ensanglantent cette partie du globe?

Mais comment rétablir le califat? C'est la pierre d'achoppement. Certes, les Turcs pourraient sans doute prendre l'initiative de sa restauration dans la mesure où ils l'ont aboli en 1924, mais on imagine mal un État laïque prendre une telle initiative. Certes, la famille du roi Abdallah II de Jordanie a songé à le revendiquer après son abolition turque, mais la petite Jordanie actuelle imposerait difficilement cette revendication. Certes, le régime des Talibans a tenté de proclamer un nouveau commandement des croyants, mais il n'existe plus... Bref, il faudrait sans doute au monde musulman un minimum d'unité politique et religieuse pour qu'un nouveau calife soit reconnu — l'unité même que le califat est censé mettre en place. Il y a donc là un cercle vicieux dont on ne sortira pas facilement et c'est sans doute la meilleure preuve du caractère fumeux des ambitions de Ben Laden.

De ce point de vue, toutefois, on peut juger qu'il serait préférable qu'on se dispute sur les moyens de ressusciter le califat et sur le choix d'un calife. Pendant ce temps, de nombreux esprits ne seraient pas en train de réfléchir à de nouveaux moyens de faire sauter des gens...

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