2006-04-19

 

Science et fiction, le pacte faustien

Le bar des sciences du 11 avril dernier avait opté pour un énoncé provocateur : « La science-fiction nous trompe-t-elle sur la science? » Je n'ai pas pu être présent puisque je devais superviser l'examen final de mes étudiants à l'Université d'Ottawa. Mais la question ne m'interpelle pas moins.

En fait, c'est une question plutôt empreinte d'ingénuité. Il y a plusieurs raisons à cela. Elle révélerait de l'ingratitude si elle ne trahissait pas d'abord une grande incompréhension du mutualisme de la science et de la science-fiction; les deux profitent de la relation qui a été établie. Savoir qui des deux en profite le plus n'est pas clair, mais ce n'est pas nécessairement la science-fiction qui est la plus demanderesse des deux...

Cela dit, il faut aussi connaître un peu l'histoire de l'utilisation de la science par la science-fiction... Ou est-ce une histoire de l'utilisation de la fiction par la science?

Dans les deux cas, il faut remonter au dix-neuvième siècle. Les ancêtres de la science-fiction n'étaient pas spécialement concernés par la science de leur époque — voyages extraordinaires jusqu'à la Lune, anticipations de la fin du monde, uchronies, satires futuristes... Tout a changé avec Jules Verne, ou presque.

Il était dangeureux pour la science de vouloir devenir une matière littéraire, comme l'Histoire, disons, à une époque où Alexandre Dumas est réputé avoir dit : « Je viole l'Histoire, mais je lui fais de beaux enfants! » C'est pourtant ce qui est arrivé quand Hetzel a recruté Jules Verne pour qu'il lui écrive des romans qui feraient passer des connaissances reçues.

La fusion de la science et du romanesque a porté fruit entre les mains de Verne, donnant naissance à des œuvres apparemment impérissables. Si Verne n'a pas signé que des romans de sf, il a jeté les bases de plusieurs déclinaisons caractéristiques du genre actuel.

Les choses se sont gâtées par la suite. D'abord, des vulgarisateurs sans génie ont pris le relais de Verne et signé des ouvrages oubliables à la fin du XIXe siècle, et qui ont été oubliés à juste titre. Ensuite, conséquence inévitable de l'initiative de Verne et Hetzel, la science et les techniques sont devenues des objets littéraires comme les autres. Sous cette forme, elles échappaient désormais aux critères de scientificité ou d'efficaccité des praticiens et savants pour être soumises aux critères plus purement littéraires des écrivains, qui rechercheraient donc à reproduire les effets (littéraires) obtenus par les exploitations premières des pionniers comme Verne. Mais sans toujours comprendre ce qui en avait fait l'intérêt — ou, plus précisément, en ne comprenant que leur attrait pour certains lecteurs.

Le phénomène particulier de décalque, ou de photocopie, ou de surenchère, propre à l'émulation littéraire, a fait le reste. Les variations littéraires successives des thèmes fondateurs (voyage aérien, spatial, sous-marin, etc.) les ont de plus en plus décrochés du contexte d'origine. L'autonomie ainsi acquise les a donc éloignés de leur vraisemblance initiale. Ils sont devenus des machineries littéraires, des conventions utilisées pour atteindre certaines fins ou générer certains effets. La relation originelle entre compte rendu scientifique et résultats reconnus a été rompue, et les tenants de la fidélité à la rigueur scientifique contemporaine se sont indignés — mais un peu tard — du fossé qui séparait dorénavant des conventions plus ou moins figées et des savoirs actuels en pleine évolution.

La source du malentendu est là. En voulant faire de la science un savoir populaire et vulgarisé, relayé par des ouvrages plus lisibles et populaires, les scientifiques ont perdu le contrôle sur ce que les créateurs (écrivains d'hier, cinéastes d'aujourd'hui) allaient en faire.

Pour avoir l'immortalité, Faust a vendu son âme...

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