2006-04-03

 

Le Québec et les mythistoires

Dans Le Devoir d'aujourd'hui, Jocelyn Létourneau profitait de la sortie du guide Parlons de souveraineté à l'école, petit... livre bleu défendu par Gérald Larose, pour résumer les résultats d'une enquête de cinq années qu'il a dirigé. Ce grand sondage révélait les quatre grandes époques de l'histoire québécoise telle que les jeunes Québécois la récitent d'emblée, qu'ils l'aient apprise ou non, qu'ils aient oublié ou non ce qu'ils ont appris.

En effet, ils devaient répondre à l'injonction « Raconte-moi l'histoire du Québec comme tu la connais ». Les répondants étaient libres de s'étaler ou de ramasser, de broder ou de s'en tenir à des souvenirs scolaires, car tout se passait anonymement. Leurs récits comportaient quatre points saillants. Ces échafaudages « mythistoriques » enchaînent l'âge d'or d'une vie fruste mais paisible au temps de la Nouvelle-France, le basculement de la Conquête par les Anglais et l'entrée dans la résistance qui inscrit tous les événements jusqu'à la Révolution tranquille dans un dualisme opposant l'affirmation identitaire à la volonté d'embrigadement ou d'assimilation des Autres, puis le risorgimento de 1960 qui est un grand (r)éveil à la modernité et un rejet du joug des Anglais ayant instrumentalisé le gouvernement fédéral, et enfin l'ère des hésitations, quand les divisions internes des Québec et les menées obscures du fédéralisme cassent l'élan vers l'avenir.

Létourneau identifie quatre mythistoires présents dans chaque épisode : la survivance, la quête de soi, le destin dévié et la faute à l'Autre. On peut donc se demander à juste titre si les jeunes Québécois ont besoin d'un endoctrinement supplémentaire. Ils semblent bien saisir les simplifications essentielles qui font de l'historiographie québécoise populaire un exercice n'exigeant aucun effort...

Dans cette histoire populaire, contrairement à celle qui divise les esprits et les cœurs en France, les Québécois francophones sont pratiquement sans tache, des victimes ou des héros, mais jamais des coupables, des personnages ambigus ou des renégats qui auraient posé des actes dont on pourrait rougir. Ils n'ont été ni esclavagistes ni racistes. Ils n'ont jamais été des colonisateurs — ils étaient des pionniers et des défricheurs, nuance. Ils n'ont jamais été sexistes ou contre l'éducation — ils étaient opprimés, point. Ils n'ont jamais été de vilains capitalistes exploiteurs — ils étaient modernes, c'est différent.

Alors que les Français, depuis cinquante ou soixante ans, ont eu à se questionner sur l'esclavagisme, la colonisation, l'impérialisme, le fascisme du terroir, etc., les Québécois ne conçoivent même pas qu'il y ait plus d'une façon de considérer leur histoire. Alors, examinons un peu l'envers du décor, en adoptant quatre autres points de vue.

Comme Français, par exemple, on pourrait, d'une manière pareillement mythifiante et réifiante, retenir un Québec qui, au siècle dernier, a tourné deux fois le dos à la France. La France, attaquée et envahie par les Allemands, vaincue et occupée par les Nazis, la France humiliée, ensanglantée, martyrisée... La France pour la liberté de laquelle sont morts de nombreux Canadiens — anglophones puisque les Québécois francophones avaient réussi à métamorphoser le refus de venir en aide à la France contre les Allemands en une curieuse forme de résistance aux Anglais. Ainsi, tandis que des milliers de Français pelaient des pommes de terre dans les stalags allemands, étaient fusillés par les uns et bombardés par les autres, ou partaient pour Auschwitz, de jeunes nationalistes québécois se promenaient à Québec avec des oripeaux allemands ou nazis pour faire la nique aux « Anglais », quand ils n'adhéraient pas aux thèses fascisantes d'un Groulx.

Comme Canadien, on pourrait, selon les mêmes critères, tenir le Québec pour l'entité déloyale et obstinée qui veut casser un grand pays encore en devenir, divisant les familles et jetant la confusion dans la vie économique pendant une période qui serait toujours trop longue à l'aune de la compétition internationale qui guette la moindre défaillance, le moindre ralentissement, la moindre dépense inutile... Semant l'incertitude, s'appuyant sur des griefs de plus en plus poussiéreux, trouvant toujours un nouveau prétexte pour rouvrir les plaies, les Québécois refuseraient de voir qu'ils absorbent indûment les énergies de la nation et qu'ils font payer par tous les Canadiens le prix de leurs débats identitaires internes.

Comme Canadien-français, on pourrait aussi faire sans grande difficulté du Québec francophone une marâtre qui a renié ses cousins et ses enfants dispersés dans tout le Canada, les condamnant à l'isolement et leur volant leur identité. Refusant de s'intéresser aux autres francophones d'Amérique du Nord, niant leur existence même ou souhaitant ouvertement leur disparition prochaine (« dead ducks » selon René Lévesque, « cadavres chauds » selon Yves Beauchemin) et acceptant plus que sa part des largesses fédérales au détriment des Canadiens-français ailleurs au pays, le Québec serait la forteresse qui a fermé ses portes sans se rendre compte qu'elle a abandonné en rase campagne des bataillons qui auraient pu renforcer sa garnison. Et tandis que les derniers carrés succombent sous le feu de l'ennemi en jetant parfois un coup d'œil désabusé dans la direction des soldats qui regardent du haut des remparts, les enfants perdus fixeraient la baïonnette au fusil pour une dernière charge, le dos tourné aux murs aveugles, fonçant en avant jusqu'à leur disparition dans le lointain, au-delà de l'horizon brouillé par les combats de l'avenir.

Comme Métis, on pourrait aussi s'interroger sur les valeurs revendiquées par le Québec. Non que la place du Québec dans les mythistoires métis soit nette, car le Québec apparaît comme absent, et donc coupable par omission. Quand les Métis francophones ou anglophones se faisaient dépouiller, il y avait des Québécois au pouvoir, et il y avait des Québécois qui partaient pour les États-Unis. Les uns ont-ils parlé pour les Métis? Les autres sont-ils venus renforcer le fait français dans les Plaines? Les Québécois ont protesté quand il était trop tard, quand le passé engageait déjà l'avenir et rendait l'effort requis héroïque, quand il devenait plus facile de clamer l'héroïsme requis que de se montrer à la hauteur...

Bref, quand il devenait plus facile de faire entrer à l'école un petit catéchisme d'héroïsme que de donner l'exemple.

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