2013-12-01

 

Sur le chemin du retour

Les champs sont verts et les bestiaux d'un blanc crémeux au soleil de décembre, les vallonnements alternent avec les vieux clochers de pierre, les arbres dont les branches ne sont pas lestées de boules de gui conservent souvent encore un feuillage roussi ou jauni, les haies vues du train sont découpées au cordeau et les fûts des taillis alignés au GPS : je suis en France pour quelques heures de plus et nulle part ailleurs.

Si je fais la somme de mes voyages et séjours, je compte pour les onze mois de l'année en cours quelque chose comme 28-29 semaines à Québec, une dizaine de semaines à Ottawa, six semaines à Lyon, une petite semaine à Nice, une bonne semaine à Paris et une semaine bien fractionnée à Montréal.  Sans oublier les journées passées à Trois-Rivières, à Saguenay ou à Nantes en attendant celles de cette semaine à Toronto...

La Toussaint annonçait bien le mois qui a suivi, marqué par les deuils successifs des proches et des amis, les visites à l'hôpital ponctuées par la peur, l'espoir ou la résignation, une disparition en pleine nuit, un dernier retour à l'hôpital face au corps, les formalités, les funérailles et l'adieu aux cendres qui retournent à leur glèbe ancestrale.

La vie et la mort sont des processus biologiques.  Parfois, la mort s'impose à nous dans toute son évidence charnelle.  Parfois, nous arrivons à nous en cacher la nature en multipliant les vestes d'hôpital, les draps qui anticipent le linceul, le cercueil qui escamote le cadavre et le feu purificateur qui nous ramène à notre poussière d'origine — forgée au commencement de tout ou loin de nous par des étoiles mourantes, aspirée par une planète de passage et agglomérée pour un temps plus ou moins long par la biosphère terrestre afin de faire partie d'une grande circulation énergétique alimentée par l'éclat du Soleil.

Poussière d'étoile, poussière vivante : moi qui vois des éoliennes tourner à l'horizon, éclairées par un soleil d'automne et perchées sur une crête boisée, bruissante de vie, et vous qui me lisez en ce moment, nous jouisssons d'un rare moment de conscience dans notre parcours de poussière.  Nous le dépensons parfois à prolonger ce moment chez les autres, ou pour notre espèce, mais le dépensons-nous assez souvent pour nous-mêmes ?

La mort et ses rituels sont souvent l'occasion de repas dont l'apprêt dissimule également la nature des processus biologiques en cause.  Vin blanc ou vin rouge, haricots verts ou beurre, figues ou dattes, viande de porc ou pintade, pain avec ou sans levain...  nous communions avec toues les autres formes de vie quand nous nous repaissons de leur vie et aussi de leur mort.  Des animalcules de la fermentation aux bêtes de ferme, des racines ou graines des plantes jusqu'à leurs fruits, c'est l'interruption nécessaire de leurs existences qui prolonge la nôtre.  Le christianisme, en personnifiant ce cannibalisme du vivant, nous a éloignés d'une réalité matérielle et nous a coupés de ses profondeurs historiques.

Un mois s'achève, un autre débute.  L'année se terminera bientôt, le raccourcissement des jours nous rapprochant d'un point tournant.  De la Fête des lumières à Lyon, du 6 au 9 décembre, à la fête de Noël le 25 décembre, en passant par la fête de la Sainte-Lucie en Suède comme en Italie le 13 décembre, la lumière sera dépensée partout pour que son étalage prouve bien notre certitude de son retour et engage la mécanique même de l'Univers à nous la rendre pour une autre année.

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