2014-12-10
Mes fictions en russe
La publication en russe de plusieurs auteurs de Solaris dans le nouveau numéro (45-46) de la revue Supernova m'a incité à me plonger dans ma bibliographie russe. J'ai d'ailleurs fait quelques découvertes. Ainsi, ma nouvelle « Des anges sont tombés », déjà publiée en 1998 dans un périodique de Kharkov, a été traduite (de nouveau, je crois) et publiée par Vladimir Ilyin sur son site personnel sous le titre « Oupavchié Angely », ce qui correspondrait à « Chute d'anges ». Sans ma permission, a priori...
Plus récemment, mon ancien correspondant, Sergueï Streltchenko a fait paraître (en octobre 2013, sauf erreur) un ouvrage, По воле народов страны Офир, qui réunit ses nouvelles (j'en avais d'ailleurs traduit quelques-unes en français à partir de versions anglaises), ses traductions et d'autres textes de sa plume. (Sans en être certain, je crois que le titre pourrait se traduire par quelque chose comme Sur les peuples à venir du pays d'Ophir.) L'ouvrage inclut trois de mes nouvelles en russe, soit« Enfants du soleil », « Report 323: A Quebecois Infiltration Attempt » et « Les instincteurs de cruauté ». J'inclus la couverture ci-après.
Dans les deux premiers cas, il s'agit de nouvelles parues auparavant (en 1992 et 1993) dans des périodiques dont Streltchenko m'avait envoyé un exemplaire. Par contre, il me semble avoir ignoré la publication antérieure d'une traduction de ma nouvelle « Les instincteurs de cruauté », auquel cas ce serait un inédit... Comme je n'ai pas eu de nouvelles de Sergueï Streltchenko depuis des années et que je n'en ai pas donné non plus, je ne saurais le blâmer de ne pas m'en avoir informé. Et puis, la Russie, c'est la Russie. Entre l'attitude étatsunienne qui consiste à ne pas traduire les auteurs étrangers et l'attitude russe qui consiste à traduire les auteurs étrangers sans les prévenir la plupart du temps, on ne sait pas trop quoi choisir — mais la seconde paraît quand même préférable, même si elle oblige à mener enquête pour savoir ce qui arrive à nos fictions en terre russe.
Enfin, je ne voudrais pas oublier Laurent McAllister, qui a également eu droit à une traduction en russe. Sa nouvelle « Kapuzine and the Wolf: A Hortatory Tale » publiée aux États-Unis dans l'anthologie Witpunk (2003) a été traduite dans le cadre d'une édition russe (intitulée Витпанк) de toute l'anthologie en 2007. Dans ce cas aussi, nous n'en avions pas été informés et nous n'avons jamais reçu ne serait-ce qu'un exemplaire de l'anthologie — ornée d'une fort jolie couverture, d'ailleurs.
Plus récemment, mon ancien correspondant, Sergueï Streltchenko a fait paraître (en octobre 2013, sauf erreur) un ouvrage, По воле народов страны Офир, qui réunit ses nouvelles (j'en avais d'ailleurs traduit quelques-unes en français à partir de versions anglaises), ses traductions et d'autres textes de sa plume. (Sans en être certain, je crois que le titre pourrait se traduire par quelque chose comme Sur les peuples à venir du pays d'Ophir.) L'ouvrage inclut trois de mes nouvelles en russe, soit« Enfants du soleil », « Report 323: A Quebecois Infiltration Attempt » et « Les instincteurs de cruauté ». J'inclus la couverture ci-après.
Dans les deux premiers cas, il s'agit de nouvelles parues auparavant (en 1992 et 1993) dans des périodiques dont Streltchenko m'avait envoyé un exemplaire. Par contre, il me semble avoir ignoré la publication antérieure d'une traduction de ma nouvelle « Les instincteurs de cruauté », auquel cas ce serait un inédit... Comme je n'ai pas eu de nouvelles de Sergueï Streltchenko depuis des années et que je n'en ai pas donné non plus, je ne saurais le blâmer de ne pas m'en avoir informé. Et puis, la Russie, c'est la Russie. Entre l'attitude étatsunienne qui consiste à ne pas traduire les auteurs étrangers et l'attitude russe qui consiste à traduire les auteurs étrangers sans les prévenir la plupart du temps, on ne sait pas trop quoi choisir — mais la seconde paraît quand même préférable, même si elle oblige à mener enquête pour savoir ce qui arrive à nos fictions en terre russe.
Enfin, je ne voudrais pas oublier Laurent McAllister, qui a également eu droit à une traduction en russe. Sa nouvelle « Kapuzine and the Wolf: A Hortatory Tale » publiée aux États-Unis dans l'anthologie Witpunk (2003) a été traduite dans le cadre d'une édition russe (intitulée Витпанк) de toute l'anthologie en 2007. Dans ce cas aussi, nous n'en avions pas été informés et nous n'avons jamais reçu ne serait-ce qu'un exemplaire de l'anthologie — ornée d'une fort jolie couverture, d'ailleurs.
Libellés : Livres, Russe, Science-fiction
2011-06-27
Anna Karénine et la justice divine
Il y a dans Anna Karénine (1877) un passage qui en dit aussi long sur l'auteur que sur ceux qu'il critique. Un personnage dit d'un autre, non sans cynisme (dans la traduction anglaise) :
Bref, acculé au pied du mur par les expériences fondamentales de la mort et de la naissance, Levin fait le choix du déisme. Comme ce choix lui permet de se marier à l'église et d'accéder à une certaine respectabilité sociale en tant qu'homme marié et propriétaire terrien rentré dans le rang, à qui on pardonnera volontiers quelques lubies, les mots du passage que je citais en premier ci-dessus s'appliquent avec autant de force aux arrivistes de l'aristocratie stigmatisés par Tolstoï qu'à Tolstoï lui-même et à son porte-parole, Konstantin Levin. En restant fidèle au christianisme, la classe représentée par Tolstoï conservait son allégeance à ses croyances millénaires. C'était la solution la plus facile, après tout, puisqu'elle n'exigeait pas l'abandon des traditions et des habitudes au prix d'une rupture aussi brusque que douloureuse.
Quarante ans plus tard, par contre, ce refus de l'aristocratie tsariste de s'ouvrir à la raison et à la modernité allait permettre aux communistes de prétendre monopoliser l'une et l'autre.
En principe, le destin de Levin et de sa nouvelle épousée n'est qu'accessoire. Tolstoï veut illustrer les dégâts provoqués par l'inconscience d'une femme adultère, Anna Karénine, qui bouleverse une famille, meurtrit son mari et son fils, et détourne son amant de la voie des honneurs qui aurait pu être la sienne. En revanche, le roman condamne beaucoup moins nettement le mari infidèle. Dès les premières pages, on voit une épouse se résigner à tolérer les fredaines de son homme, Oblonski. L'obstination de Tolstoï à faire de la femme adultère une criminelle qui sème le désordre dans la société et mérite un châtiment d'ordre divin devient évident à la toute fin du roman. Ce qui s'avance et occupe l'avant de la scène, c'est l'amour maladif, pas entièrement expliqué, d'Anna Karénine qui l'entraîne à se suicider, en dépit de l'affection éprouvée de Vronski. Le destin d'Anna était tracé depuis le début. Du point de vue de l'auteur, les cadres de la société russe de son temps sont inébranlables et les efforts individuels de venir en aide à une femme fautive ne peuvent l'emporter sur les conventions établies de tout temps.
Une fois de plus, le jupon dépasse : alors que la France latine légiférait sur le divorce en 1884, Tolstoï refuse d'admettre que les conventions sociales sont capables d'évoluer et qu'une réforme des institutions du mariage seraient capables d'entraîner une transformation des mœurs, si bien qu'un changement du cadre social aurait fait autant pour éviter des souffrances inutiles qu'une conduite irréprochable de la part d'Anna Karénine.
Cela dit, si la loi a intérêt à tenir compte de la faillibilité humaine, le jugement du caractère d'une personne ne tient pas aux conséquences de ses actes dans un monde optimal mais à celle de ses faits et gestes dans le monde qui est. De ce point de vue, la conduite d'Anna Karénine demeure répréhensible dans la mesure où elle était nécessairement consciente de ses répercussions potentielles. On touche toutefois ici à une question fondamentale, celle du libre arbitre. L'attitude la plus intransigeante suppose le libre arbitre. Mais si les défaillances ne sont pas seulement statistiquement probables, mais pratiquement dictées par nos gènes et par des automatismes acquis, la réprobation n'a plus lieu d'être, sauf du point de vue social. C'est-à-dire que la société peut avoir intérêt à exprimer une telle réprobation (qui pourrait d'ailleurs être inscrite dans nos gènes — ou notre environnement), mais celle-ci n'aurait aucun effet sur les individus en cause, et aucune incidence sur les comportements réprouvés.
Dans Anna Karénine, la démonstration est complétée par les destins parallèles d'Anna Karénine et la jeune Kitty Chtcherbatski. L'une renonce à son mariage parce qu'elle désire Vronski et l'autre désire Vronski, mais finit par épouser l'homme qui l'aime et qu'elle avait d'abord repoussé. L'une, mère dénaturée, est déchirée entre ses deux enfants et ses deux foyers , tandis que l'autre fonde une famille dans la quiétude d'un foyer aimant — et unique. Le malheur ou le bonheur : choisissez, jeunes femmes, et sachez choisir sagement, ordonne Tolstoï.
Néanmoins, Anna Karénine reste un livre qu'il faut avoir lu, mais pas trop tôt, et pas sans un minimum de sens critique. Car s'il s'agit d'une prouesse d'écriture, le résultat est moins authentiquement humain que Madame Bovary de Flaubert, publié vingt ans plus tôt sur un thème assez semblable, car encore inféodé à des convictions et des préjugés sans grand fondement. Le roman de Tolstoï tire sa force d'un ancrage dans le réalisme psychologique et les grands débats sociaux que des romans plus descriptifs par des auteurs européens contemporains, tels Balzac et Dickens, avaient négligé.
Pour l'action, certes, on repassera. Il n'y a pas même l'ombre d'un duel pour relancer l'intérêt. Tout est dans le souci du détail, la vraisemblance et, en définitive, dans le sentiment de l'existence d'une métaphysique qui donne un sens aux menus faits et gestes du quotidien ainsi qu'aux choix apparemment banals de gens comme les autres.
He's now got the post on the committee of a commission or something. I'm afraid I can't remember what it is exactly. Only there's nothing to do there—that isn't a secret, is it, Dolly?—and he gets a salary of eight thousand a year. Try and ask him if his job is of any use and he will prove to you that it is most useful. And he is a truthful man. You see, it's impossible not to believe in the usefulness of eight thousand.Tolstoï fait allusion ici aux œillères qui affligent une certaine catégorie de la noblesse russe en son temps, engagée dans une course aux sinécures qui les privait de tout sens critique face à la nature des services qu'on leur demandait. Un écho, qui sait, de ce passage figure dans un succès de vente du XIXe s., Trilby (1895), où Georges du Maurier fait remarquer à propos d'un de ses personnages converti aux conventions de son nouveau milieu social pour lequel il officie comme pasteur, si je me souviens bien:
They are his bread and butter, these beliefs—and a man mustn't quarrel with his bread and butter.Le soupçon voulant qu'on ait les convictions qui soient dans notre intérêt n'est donc pas neuf, mais il dérangeait suffisamment pour qu'il soit jugé digne d'impressionner ces lecteurs de la fin du XIXe s. qui avaient l'habitude de croire que leurs idées étaient indépendantes de leur source de revenus. Aujourd'hui, ce n'est plus une notion aussi blasphématoire, même si Al Gore a jugé bon de ressortir (comme on peut le voir dans le film An Inconvenient Truth) une version un peu plus forte articulée par Upton Sinclair en 1935 :
It is difficult to get a man to understand something, when his salary depends upon his not understanding it!Ma lecture récente d'Anna Karénine (en traduction anglaise) m'a fait découvrir un prodigieux roman social et psychologique. Le portrait de la Russie tsariste, quarante ans avant sa disparition, est convainquant — même si je ne saurais affirmer qu'il est fidèle à son modèle. En tout cas, il a convaincu en son temps, en partie parce que Tolstoï livre des aperçus sans concession des moeurs des salons (anticipant la description des rencontres chez Mme Verdurin décrites par Proust) et de la vie intérieure des personnages (anticipant certaines techniques propres au modernisme littéraire). Le réalisme psychologique crédibilise le réalisme social et le personnage de Levin a l'avantage d'être tiré des propres expériences de l'auteur, ce qui ajoutait à la vraisemblance de ses sentiments et de ses réflexions. Si on sent en filigrane les tensions de l'époque, toutefois, elles comportent des dimensions qui nous sont devenues (presque) irrémédiablement étrangères. Je dis « presque », car si le conflit entre la science et la religion en tant qu'institutions n'est plus d'actualité en Occident, exception faite de quelques enclaves des États-Unis, le conflit entre la raison et la foi demeure plus ou moins pressant. L'absence de cadre institutionnel simplifie peut-être les choses, mais le mystère du néant reste insupportable pour de nombreuses personnes. On juge facilement de l'avance prise par Tolstoï en relevant qu'au Québec catholique comme dans l'Égypte musulmane, les affres de Levin n'émergent dans des romans qu'après la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, si Tolstoï peut se permettre de camper les déchirements intérieurs d'un intellectuel qui ne sait que croire, il nous montre quand même Levin, personnage emblématique de l'auteur, en train d'opter, en fin de compte, pour la foi nue, sans l'église, plutôt que pour la raison toute nue.
Bref, acculé au pied du mur par les expériences fondamentales de la mort et de la naissance, Levin fait le choix du déisme. Comme ce choix lui permet de se marier à l'église et d'accéder à une certaine respectabilité sociale en tant qu'homme marié et propriétaire terrien rentré dans le rang, à qui on pardonnera volontiers quelques lubies, les mots du passage que je citais en premier ci-dessus s'appliquent avec autant de force aux arrivistes de l'aristocratie stigmatisés par Tolstoï qu'à Tolstoï lui-même et à son porte-parole, Konstantin Levin. En restant fidèle au christianisme, la classe représentée par Tolstoï conservait son allégeance à ses croyances millénaires. C'était la solution la plus facile, après tout, puisqu'elle n'exigeait pas l'abandon des traditions et des habitudes au prix d'une rupture aussi brusque que douloureuse.
Quarante ans plus tard, par contre, ce refus de l'aristocratie tsariste de s'ouvrir à la raison et à la modernité allait permettre aux communistes de prétendre monopoliser l'une et l'autre.
En principe, le destin de Levin et de sa nouvelle épousée n'est qu'accessoire. Tolstoï veut illustrer les dégâts provoqués par l'inconscience d'une femme adultère, Anna Karénine, qui bouleverse une famille, meurtrit son mari et son fils, et détourne son amant de la voie des honneurs qui aurait pu être la sienne. En revanche, le roman condamne beaucoup moins nettement le mari infidèle. Dès les premières pages, on voit une épouse se résigner à tolérer les fredaines de son homme, Oblonski. L'obstination de Tolstoï à faire de la femme adultère une criminelle qui sème le désordre dans la société et mérite un châtiment d'ordre divin devient évident à la toute fin du roman. Ce qui s'avance et occupe l'avant de la scène, c'est l'amour maladif, pas entièrement expliqué, d'Anna Karénine qui l'entraîne à se suicider, en dépit de l'affection éprouvée de Vronski. Le destin d'Anna était tracé depuis le début. Du point de vue de l'auteur, les cadres de la société russe de son temps sont inébranlables et les efforts individuels de venir en aide à une femme fautive ne peuvent l'emporter sur les conventions établies de tout temps.
Une fois de plus, le jupon dépasse : alors que la France latine légiférait sur le divorce en 1884, Tolstoï refuse d'admettre que les conventions sociales sont capables d'évoluer et qu'une réforme des institutions du mariage seraient capables d'entraîner une transformation des mœurs, si bien qu'un changement du cadre social aurait fait autant pour éviter des souffrances inutiles qu'une conduite irréprochable de la part d'Anna Karénine.
Cela dit, si la loi a intérêt à tenir compte de la faillibilité humaine, le jugement du caractère d'une personne ne tient pas aux conséquences de ses actes dans un monde optimal mais à celle de ses faits et gestes dans le monde qui est. De ce point de vue, la conduite d'Anna Karénine demeure répréhensible dans la mesure où elle était nécessairement consciente de ses répercussions potentielles. On touche toutefois ici à une question fondamentale, celle du libre arbitre. L'attitude la plus intransigeante suppose le libre arbitre. Mais si les défaillances ne sont pas seulement statistiquement probables, mais pratiquement dictées par nos gènes et par des automatismes acquis, la réprobation n'a plus lieu d'être, sauf du point de vue social. C'est-à-dire que la société peut avoir intérêt à exprimer une telle réprobation (qui pourrait d'ailleurs être inscrite dans nos gènes — ou notre environnement), mais celle-ci n'aurait aucun effet sur les individus en cause, et aucune incidence sur les comportements réprouvés.
Dans Anna Karénine, la démonstration est complétée par les destins parallèles d'Anna Karénine et la jeune Kitty Chtcherbatski. L'une renonce à son mariage parce qu'elle désire Vronski et l'autre désire Vronski, mais finit par épouser l'homme qui l'aime et qu'elle avait d'abord repoussé. L'une, mère dénaturée, est déchirée entre ses deux enfants et ses deux foyers , tandis que l'autre fonde une famille dans la quiétude d'un foyer aimant — et unique. Le malheur ou le bonheur : choisissez, jeunes femmes, et sachez choisir sagement, ordonne Tolstoï.
Néanmoins, Anna Karénine reste un livre qu'il faut avoir lu, mais pas trop tôt, et pas sans un minimum de sens critique. Car s'il s'agit d'une prouesse d'écriture, le résultat est moins authentiquement humain que Madame Bovary de Flaubert, publié vingt ans plus tôt sur un thème assez semblable, car encore inféodé à des convictions et des préjugés sans grand fondement. Le roman de Tolstoï tire sa force d'un ancrage dans le réalisme psychologique et les grands débats sociaux que des romans plus descriptifs par des auteurs européens contemporains, tels Balzac et Dickens, avaient négligé.
Pour l'action, certes, on repassera. Il n'y a pas même l'ombre d'un duel pour relancer l'intérêt. Tout est dans le souci du détail, la vraisemblance et, en définitive, dans le sentiment de l'existence d'une métaphysique qui donne un sens aux menus faits et gestes du quotidien ainsi qu'aux choix apparemment banals de gens comme les autres.
2009-03-09
La science-fiction en russe (2)
J'ignore si je vais lancer une série de billets sur la science-fiction en russe, mais je profite de l'annonce du blogue Russkaya Fantastika pour ressortir de mes tiroirs un texte synthétique sur la science-fiction en russe. Il ne s'agit pas d'une recherche originale, à part quelques vérifications bibliographiques, mais d'un résumé que je tire de divers messages parus sur Usenet, de messages signés par Ahasuerus, de l'article « Soviet Union » de Vladimir Gakov (Michel A. Kovalchuk) dans The New Encyclopedia of Science Fiction (Viking Penguin, 1988), de l'article « Russia » signé par quatre collaborateurs dans The Encyclopedia of Science Fiction (1993) et de l'article « Russia » de Serge Nekrasov, dans l'Intersection Programme Book (1995). C'est ce qui explique que de nombreux titres soient donnés en anglais, et que l'état de la situation reflète le paysage éditorial d'il y a cinq à dix ans, sinon plus.
Historique
Des éléments retrouvés plus tard dans les littératures dites de l'imaginaire apparaissent déjà dans la littérature russe au dix-neuvième siècle, dans les écrits teintés d'horreur et de fantastique de Nicolas Gogol (1809-1852) et dans Histoire d'une ville (Paris: Gallimard, 1994, traduction par Louis Martinez) (1869-1870) de Michel Saltykov-Chtchédrine (dystopie satirique), entre autres. C'est aussi à cette époque, en 1894, qu'est enfin publiée une utopie du dix-huitième siècle, Voyage au Pays d'Ophir, rédigée en 1773-1774 par le prince Michel Chtcherbatov (1733-1790).
En revanche, le roman The Newest Voyage de Basile Lyovchine (1746-1826), qui situe sur la Lune un État idéal de l'avenir lointain, est paru dès 1784. Au siècle suivant, on trouve d'abord des technologies visionnaires dans les fragments inachevés de L'Année 4338. Lettres de Pétersbourg (1840) signés par l'homme de lettres aristocratique Vladimir Odoevski (1803-1869), qui aurait pu être le Jules Verne russe. La première utopie socialiste apparaît dans le quatrième rêve de Vera Pavlovna dans Que faire? (1863) de Nicolas Tchernychevsky (1828-1889), le célèbre poète et révolutionnaire qui écrivit cet ouvrage en prison.
Surtout, il faut citer Fédor Dostoevski (1821-1881) dont les ouvrages Notes d'un souterrain (1864; édition française en 1972) et Les Démons (1871-1872; édition française en 1976, traduction de Lily Denis) fondent réellement la tradition dystopique russe, selon certains.
Au tournant du siècle, la Russie participe aux progrès scientifiques comme jamais auparavant. Constantin Tsiolkovsky (1857-1935) lui-même signe des fictions, dont Sur la Lune (1887-1893), Visions de la Terre et du Ciel (1895) et Au-delà de la Terre (1918-1920) pour disséminer ses idées.
Le début du vingtième siècle voit paraître des utopies socialistes, telles L'Étoile rouge (1908), qui se déplace sur Mars, et sa suite L'Ingénieur Menni (1913), qui anticipe la cybernétique, ces deux titres signés par Alexandre Bogdanov (1873-1928), des découvertes de mondes perdus, des anticipations futuristes, comme dans « La Terre », « La République de la Croix du Sud » et « Les derniers martyrs » du poète Valère Brioussov (1873-1924), de la science-fiction érotique (Théodore Sologub) et au moins une uchronie (Michel Pervukhine), ainsi que plusieurs textes où intervient le surnaturel. La révolution à venir inspire et effraie à la fois un auteur comme Alexandre Kouprine (1870-1938) dans « Un toast » (1906) et « Le parc du roi » (1911). Il signe aussi en 1912 le roman Soleil liquide. Dans Pre-Revolutionary Russian Science Fiction: An Anthology (Seven Utopias and a Dream) (Ardis, 1982), Leland Fetzer réunit plusieurs de ces textes.
Le coup d'État des Bolcheviks et la guerre civile qui s'ensuit forcent certains auteurs à fuir à l'étranger ou à ne jamais en revenir (comme Pervukhine); d'autres seront carrément exilés par le nouveau gouvernement. En revanche, des écrivains qui n'auraient peut-être jamais songé à écrire de la science-fiction se tournent alors vers l'utopie (Alexandre Chaianov), la dystopie (Eugène Zamiatine) et le genre de la Zukunftskrieg qui imagine les guerres du futur (Alexis Tolstoï, Ilya Ehrenbourg). Des gens qui n'auraient jamais essayé d'écrire quoi que ce soit sont inspirés par l'atmosphère fiévreuse de la guerre civile et la promesse des lendemains qui chantent. Parmi eux, certains auraient été employés par la Guépéou (Vivian Itine, auteur de l'utopie Le Pays de Gongourie (1922); Léon Roubine). Les écrits de cette génération soviétique passent pour avoir été d'un intérêt très relatif.
En français, on lira d'Eugène I. Zamiatine son roman dystopique Nous autres (1920), traduit par B. Cauvet-Duhamel et édité (entre autres) par Gallimard à Paris dans la collection L'Imaginaire en 1994. Pour certains historiens de la science-fiction, il s'agit d'un des premiers ouvrages d'anticipation à plonger aussitôt le lecteur in medias res, sans transition pour faire le lien entre le contexte actuel et le contexte du récit. Mais il a quand même été précédé par quelques autres titres, comme Épigone...
Un ouvrage qui se démarque des autres à cette époque a été traduit en anglais par Samuel D. Cioran sous le titre Mess-mend. Yankees in Petrograd (Ardis, 1991), après avoir été signé par Mariette Shaginian (1888-1982) en 1923. Un roman écrit en collaboration par Léon Uspensky et Léon Roubine (sous le nom de « Lev Rubus »), intitulé Запаг лимона, est sorti en 1928. Les innovations techniques fascinent, comme l'analogue du laser d'Alexis Tolstoï dans L'Hyperboloïde de l'ingénieur Garine (1925) et les armes atomiques du roman Dans mille ans (1927) de Vadim Nikolsky (1886-1941). Durant ces mêmes années, la jeunesse soviétique découvre avec plaisir les pays fantastiques des romans d'Alexandre Grine (1880-1932) (exemple possible : Le monde étincelant, traduit par Paul Lequesne et édité par L'Âge d'homme à Lausanne en 1993) ou les aventures (burroughsiennes?) narrées par Tolstoï dans son épopée martienne Aelita (1923), dont un film muet a été tiré en 1924. Sans parler des romans d'aventures et de mondes perdus signés par Vladimir Obroutchev (1863-1956), comme La Plutonie (1924) et La Terre de Sannikov (1926). Et des revues qui publient pour les jeunes tirent jusqu'à cent mille exemplaires à la fin des années vingt.
Durant les années trente, les possibilités de publication d'ouvrages relevant des littératures de l'imaginaire se réduisirent comme une peau de chagrin. Il n'existait plus de maisons d'édition privées; l'État contrôlait tout désormais et insistait sur un plus grand réalisme. Durant les années vingt, même Michel Boulgakov avait réussi à faire paraître en Union soviétique certains de ses ouvrages de SF (Diaboliad — sans doute la nouvelle connue en français sous le titre « Diablerie » dans le recueil Les Œufs fatidiques et autres récits), mais il ne fit rien paraître durant la décennie suivante. Ailleurs, en France, par exemple, on voit sortir en 1937 Le Voyage imaginaire de Léo Cassil (Paris: Gallimard), traduit par Vera Ravikovitch et Henriette Nizan.
Auteur d'une soixantaine de livres, Alexandre Beliaev (1884-1942) réussit à poursuivre sa carrière littéraire contre vents et marées à cette époque, après avoir fait ses débuts durant les années vingt, avec des livres tels Maître du monde (1928) où il est question de perception extra-sensorielle, L'Amphibien (1928) dont le héros est doté des branchies d'un requin, La Tête du Professeur Dowell (1934) où on aborde la survie après la mort, L'Étoile KET (1936) où il est question de la vie à bord d'un satellite artificiel, et La Lutte dans l'espace, un roman qui décrit entre autres une guerre entre l'URSS et les ÉU. Cependant, à l'exception de son roman Ariel (1941), la plupart de ses livres publiés après 1931 ne sont pas tenus en très haute estime par la critique, même s'il est considéré comme le père fondateur d'une certaine science-fiction vernienne à la russe.
Les romans relevant de la Zukunftskrieg se multiplièrent à la fin des années trente. On notera par exemple Red Planes Fly East (1938) de Pierre Pavlenko. Par contre, aucun ouvrage de fantastique épique (fantasy) n'est paru en Union soviétique sous Staline.
Le cas de Michel Boulgakov (1891-1940) est particulier. Après avoir longtemps connu la disgrâce en Union Soviétique, son œuvre a été peu à peu redécouverte. Son roman philosophique Le Maître et Marguerite, décrivant la visite de Satan à Moscou, n'a été publié qu'en 1966. Par le biais de la science-fiction et du fantastique, Boulgakov décrit l'aliénation de l'homme dans la société. Plusieurs de ses ouvrages sont parus en français: le roman Cœur de chien (Champ libre, 1971; NRF, coll. Folio # 320, 1973), le roman L'Île pourpre (Laffont, coll. Pavillons, 1965), Le Maître et Marguerite (Laffont, coll. Pavillons, 1968) et le recueil de nouvelles Les Œufs fatidiques et autres récits (Lausanne: L'Âge d'homme, 1971; repris dans la collection Marabout en 1973).
Durant les années trente et quarante, en effet, le nombre de sujets potentiels s'était beaucoup amenuisé. La fiction devait s'intéresser à l'Union soviétique, pas aux planètes lointaines, et aux inventions utiles. Jusqu'à la fin de l'ère stalinienne, la science-fiction vécut une sorte de ronronnement feutré. De nouveaux auteurs, tels Victor Saparine (1905-1970), Georges Gourévitch (1917-) et Alexandre P. Kazantsev (1906-), émergèrent durant ces années de plomb. De Kazantsev, on trouve en français Le Chemin de la lune, traduit par Sonia Lescaut (Paris: Denoël, coll. Présence du futur # 78, 1964), et Plus fort que le temps, traduit par Nina Nidermiller (Paris: Albin Michel, coll. Super+Fiction, 1980).
De cette période, on retiendra aussi en français Sur la planète orange de Léonide Onochko dans la collection le Rayon Fantastique # 80 (Paris: Hachette/Gallimard, 1961), Griada d'Anatole Kolpakov, dans une adaptation française de Pierre Mazel parue dans la collection le Rayon
Fantastique # 97 (Paris: Hachette/Gallimard, 1962), ainsi que L'Erreur d'Alexeï Alexeïev d'Anton Poleischuk, roman sorti dans la collection le Rayon Fantastique # 114 (Paris: Hachette/Gallimard, 1963).
La renaissance débuta en 1957 avec la publication de La Nébuleuse d'Andromède d'Ivan A. Efremov (1907-1972), qui a connu des éditions en français en 1970 (Lausanne: Éditions rencontre) et en 1988 dans une traduction de Harald Lusternik (Moscou: Radouga). En français, on trouve aussi de lui L'Heure du taureau (1979) traduit par Jacqueline Lahana de Шас Быка (Lausanne: L'Âge d'homme), Aux confins de l'œcumène (1989) traduit par Harald Lusternik (Moscou: Radouga) et L'ombre du passé (1998) (Viry-Chatillon: Lire c'est partir). Un recueil de textes courts est également disponible : Récits (Moscou: Éditions en langues étrangères), traduit par Harald Lusternik. On cite aussi d'Efremov des ouvrages intitulés Cor Serpentis (1959), Le Fil du rasoir (1963) et un roman historique fantastique, Thaïs d'Athènes (1972).
Le succès de La Nébuleuse d'Andromède en Union soviétique mena à la création de programmes de publication de la science-fiction par quelques maisons d'édition et plusieurs revues de vulgarisation scientifique pour les jeunes. Des critiques et spécialistes de la science-fiction apparurent, tels qu'Eugène Brandis (1916-1985), Vladimir Dmitrevsky (1908-), Cyrille Andreiev (1906-1968) et Julien Kagarlitsky (1926-). Les débuts de la conquête de l'espace et la libéralisation post-stalinienne permirent aux auteurs de se montrer plus audacieux.
Ainsi, c'est dans la foulée de La Nébuleuse d'Andromède que les frères Strougatsky, Arkadi (1925-1991) et Boris (1933-), firent paraître leur premier roman, Le Pays des nuages violets(1959). Depuis, ils ont fait paraître une vingtaine de livres, dont plusieurs traduits en français. Des films ont été tirés de leurs romans L'auberge de l'alpiniste mort (1970; film en 1979) et Pique-nique au bord du chemin (1972; film sous le titre de Stalker en 1981). En français, on
trouve aussi L'Île habitée (Lausanne: L'Âge d'homme, 1980) traduit par Jacqueline Lahana, Un Milliard d'années avant la fin du monde: manuscrit découvert en d'étranges circonstances (Paris: Fleuve Noir, Les Best Sellers (Science-fiction soviétique) # 9, 1983) traduit par Svetlana Delmotte, La Seconde invasion des Martiens (Paris: Fleuve Noir, Les Best Sellers (Science-fiction soviétique) # 11, 1983) traduit par Juliette Martin, Le Petit (Paris: Fleuve Noir, Les Best Sellers (Science-fiction soviétique) # 17, 1984) traduit par Svetlana Delmotte de Мальчик, et Destin boiteux (Paris: Hachette-Progrès, 1991) traduit par Antoine Garcia. Il y a aussi Les revenants des étoiles (Paris: Hachette/Gallimard, coll. le Rayon fantastique # 120, 1963), une traduction partielle par Pierre Mazel de Возвращение (1962). Et plusieurs autres, dont beaucoup chez Denoël.
Du côté des nouvelles, on connaît d'eux en français les textes suivants : « Le cône blanc de l'Alaide », traduit par Francis Cohen pour Les Meilleures Histoires de science-fiction soviétique (Gérard: Marabout, 1972); « Une gigantesque fluctuation », traduit par Bernadette du Crest pour Vingt maisons du Zodiaque (Paris: Denoël, 1979); « Le grand C.I.D. », traduit par Francis Cohen pour Les Meilleures Histoires de science-fiction soviétique et repris dans Découvrir la science-fiction (Seghers, 1975); « La forêt », traduit par Anne Coldefy-Faucard pour Le Livre d'Or de la science-fiction: La science-fiction soviétique (Pocket, 1984). Leur thème principal, celui de l'intervention humaine dans le cours de l'histoire, fait surface dès leur roman Tentative d'évasion en 1962.
À compter de 1960, la science-fiction soviétique connut un âge d'or. Anatole Dneprov (1919-1975) signe des nouvelles sur des thèmes biologiques et cybernétiques, réunies dans ses recueils The World I've Vanished In (1962), The Purple Mummy (1965) et The Immortality Formula (1963). Michel Emtsev (1930-) et Yeremeï Parnov (1935-) collaborent sur des ouvrages considérant l'impact du scientifique sur le social, dont Dirac Sea (1967), et sur un roman examinant le fascisme dans le cadre d'une histoire de voyage temporel, Shreds of Darkness on the Needle of Time (1970), tandis que leur roman bref Bring Back Love! (1966) annonce la bombe à neutrons. Sévère Gansovsky (1918-) rédige Vincent Van Gogh (1971) sur un artiste pris au piège du temps, ainsi que des nouvelles mémorables de science-fiction, « The Test Yard » et « The Day of Wrath », dont des films ont été tirés. Quant à Igor Rosokovatsky (1929-), il fait sa marque avec une série de livres sur des cyborgs qui se glissent sans heurt dans le monde de l'avenir.
Henri Altov (1926-) se spécialise dans le texte à idée, privilégiant le paradoxal, comme dans ses recueils The Scorching Mind (1968) et Created for Thunder (1970), mais il s'inspire aussi à l'occasion de la mythologie, comme dans son recueil Legends of Star Captains (1962). Vladimir Savchenko (1933-) aime aussi les idées fortes, comme dans son roman Self Discovery (1967), mais il signe aussi une utopie plus, traditionnelle, Over the Turn (1984), ainsi que des ouvrages franchement expérimentaux, dont Cul-de-sac (1972) et Une épreuve de vérité (1973).
Parmi les auteurs les plus réputés, Dimitri Bilenkine (1933-) se distingue avec des nouvelles laconiques et intellectuelles, mais riches en idées, réunies dans sept recueils, dont The Surf of Mars (1967), Face in the Crowd (1986) et Powerful's Power (1986). Il a aussi signé une trilogie appréciée du public et un roman sur les séismes temporels, The Life Desert (1984).
D'autres auteurs ont pratiqué une science-fiction plus littéraire. Ainsi, l'auteur de littérature générale Guennadi Gor (1907-1981) s'y est intéressé, composant des recueils et des romans s'attachant aux mystères des espaces intérieurs et extérieurs, dont Kumbi (1963), The Clay Papuan (1966) et La Statue (1972). Olga Larionova (1935-) a fondé son premier roman, Leopard from the Kilimanjaro Mountain (1965), sur le problème de connaître à l'avance la date de sa propre mort. On citera aussi son recueil The Zodiac Signs (1983) et le roman Sonate de la mer (1985).
Vladimir Mikhailov (1929-) a signé de grands romans philosophiques comme The Other Side Door (1985), Keeper to My Brother (1976) et sa suite Let's Come and See (1983), peut-être combiné dans une édition ultérieure intitulée Captain Uldamir (1990).
Cyrille (Kyr, Kirill) Boulytchev, de son vrai nom Igor Vsevolodovitch Mozheiko (1934-), est un des auteurs les plus populaires de cette époque. En français, on peut lire de lui Mission sur la planète morte, traduit par Nina Weinfeld (Paris: Éditions La Farandole, coll. 1000 épisodes, 1979; Paris: la Farandole / Messidor, 1982). Ses premiers ouvrages, comme Gusliar Wonders(1972), Men Like Men (1975) et le roman anti-nucléaire The Final War (1970), ont fondé sa popularité durable, ainsi qu'une série de contes humoristiques et folkloriques sur les habitants de la petite ville de Grand Gusliar, et des romans jeunesse sur Alice, une visiteuse venue du vingt-et-unième siècle. Il a aussi travaillé pour le cinéma.
Victor Kolupaev (1936-), que d'aucuns ont baptisé le Bradbury soviétique, a eu une longue carrière. Ses premiers recueils combinent poésie, fantastique et science-fiction dure, comme Can Such a Thing Happen! (1972) et Ticket to Childhood (1977); ses ouvrages plus récents, comme The Singing Forest (1984) et The Seventh Variety (1985) poursuivent sur la même lancée.
L'aventure de science-fiction a été pratiquée par les Abramov, par Kazantsev, par Georges Martynov (1906-1983), et par Eugène Voiskunsky (1922-) et Isaïe Loukodyanov (1913-1984), les auteurs d'un roman dit encyclopédique, L'équipage du « Mekong » (1961), et de sa suite, Ur, fils de Cham (1964). Ce dernier livre a d'ailleurs été édité en français sous les noms d'Eugène Voikounski et Isaïe Loukodianov, dans une traduction de Juliette Martin éditée en 1984 par le Fleuve Noir dans sa collection Les Best Sellers (Science-fiction soviétique) # 15.
Des romans d'aventure ont aussi été signés sous le nom de plume de Paul Bagryak, adopté par un groupe d'écrivains. L'auteur chevronné Serge Snegov (1910-) a créé du space-opéra philosophique soviétique dans la veine de Stapledon, en particulier dans sa trilogie Men Like Gods (édition omnibus en 1982), inspirée par le roman utopique de H. G. Wells.
Des satiristes se sont également imposés, tels Zinovy Yuryev (1925-) et Ilya Varshavsky (1909-1974). Ce dernier a démontré sa maîtrise de la nouvelle dystopique dans son recueil The Sun Sets in Donomaga (1966). De Zinov Iourev, on lira en français Le Sommeil paradoxal traduit
par Simone Luciani (Genève: Édito-Service, coll. Anticipation, 1982).
Au tournant des années quatre-vingt, de nouvelles voix se sont exprimées. L'auteur Paul Amnuel (1944-), amateur d'idées fortes, a signé un premier recueil, Now, Tomorrow and Forever (1984), et un roman, Explosion (1986), qui ont été salués par la critique. On note aussi à l'époque Alexandre Chtcherbakov (1932-) pour Shift (1982) et Guennadi Prachkevitch (1941-) pour The Stolen Marvel (1978), ainsi que l'ironiste indulgent Serge Drugal (1927-) pour son recueil The Tiger Will Go to the Garage with You (1984) et Serge Pavlov (1935-) pour son roman de science-fiction interplanétaire L'Arc-en-ciel lunaire (1978) et sa suite parue en 1984.
Selon Serge Nekrasov, de 50 à 100 ouvrages de science-fiction auraient été publiés chaque année en Union soviétique durant les décennies avant son effondrement — en incluant les traductions et les rééditions de Jules Verne. Les sections dédiées à la science-fiction dans les périodiques scientifiques et techniques constituaient une des principales sources de science-fiction.
En 1981, la Maison des Écrivains à Maleïevka près de Moscou commença à accueillir un atelier d'écriture connu sous le nom de l'Atelier Maleïevsky, formant de jeunes auteurs de science-fiction. Le prix Aelita apparaissait à la même époque pour récompenser les auteurs de science-fiction soviétique, tandis que l'étude de la science-fiction se développait dans les universités soviétiques, des universitaires tels Vsevolod Revitch, Yeremeï Parnov, Vitali Brugov, Tatiana Tchernychova et Vladimir Gakov signant des livres sur le sujet.
De ces auteurs récents, on lira en français Alexandre Kabakov dont le roman Non-retour a été traduit par Élisabeth Mouravieff et édité à Paris par Christian Bourgois en 1990.
Après la chute de l'Union soviétique, de nombreux ouvrages de science-fiction (pour la plupart, des traductions piratées) sortirent des presses nouvellement libres, mais sans que cela entraîne une augmentation du nombre d'ouvrages russes. Quelques survivants, tels Alexandre Kazantsev (alors âgé de quatre-vingt-dix ans ou presque), Kir Boulytchev et Vladislav Krapivine, continuèrent à publier des livres pour jeunes et moins jeunes.
Après la mort d'Arkadi Strougatsky en 1991, Boris se retrouva seul et signa sous le nom de plume de S. Vititsky un roman au titre qui donnerait en anglais : A Search for Destination or The Twenty-Seventh Theorem of Ethics. Une école d'écrivains s'était développée en cercle fermé sous l'Union soviétique, autour de Boris Strougatsky à Léningrad/Saint-Pétersbourg. Leurs œuvres très spécialisées, pour amateurs, connurent un retentissement limité dans le contexte commercial post-soviétique et l'exemple le plus éclatant en aurait été Andreï Stolyarov, dont les romans connurent des échecs désastreux.
Durant les années post-soviétiques, Alexandre Tyurin et Alexandre Shtchegolev tentèrent de créer un cyberpunk russe, sans grand succès, mais ils se recyclèrent rapidement, signant des romans policiers de SF et des contes humoristiques postmodernes sur l'ancien empire soviétique. Depuis 1986, Vyacheslav Rybakov a signé plusieurs ouvrages post-apocalyptiques. Le film Letters of a Dead Man (1986) qu'il avait co-scénarisé avec Boris Strougatsky a remporté plusieurs prix. Un autre roman combine la réalité virtuelle et l'uchronie.
Avant 1994, Victor Pelevin a connu une progression fulgurante: en l'espace de trois ans, il est passé du statut de néophyte à celui de talent confirmé, grâce à sa novella « Prince of Gosplan » et à son roman Omon Ra, qui a connu une parution en Grande-Bretagne.
Au début des années quatre-vingt-dix, le jeune écrivain moscovite Andreï Chtcherbak-Joukov aurait inventé le terme d'info-romantisme pour désigner la jeune génération d'auteurs dans la vingtaine et sa tentative de créer une nouvelle culture romanesque fondée sur l'émotion, les sentiments primaires et les aspirations de la jeunesse. Le meilleur exemple de cet info-romantisme individualiste était alors le roman The Knights of the Forty Islands d'un auteur du Kazakhstan, Serge Lukyanenko, où des jeunes enlevés par des extraterrestres se combattent en lieu clos et doivent développer une théorie de la justice. Un peu avant 1995, Lukyanenko a aussi signé un diptyque, Lord from the Planet Earth, ainsi qu'une trilogie rédigée en collaboration avec Juliy Burkine de Tomsk, intitulée Today, Mother!. Depuis, Lukyanenko s'est fait connaître mondialement grâce à la série de romans débutée avec Night Watch, dont on a également tiré des films.
Du côté de la fantasy russe, il faut citer des auteurs tels Svyatoslav Loginov (un membre du cercle de Boris Strougatsky), Serge Boulyga de Minsk, Michel Uspensky de Krasnoïarsk et Léonide Kudryatsev de Krasnoïarsk. Nicolas Perumov, un biologiste de Saint-Pétersbourg, a créé une suite en deux volumes (sans permission) du Seigneur des Anneaux de Tolkien, suite nettement influencée par l'expérience russe de la Seconde Guerre mondiale et la guerre de partisans.
La prochaine fois, j'examinerai peut-être les ouvrages de science-fiction russe en traduction dans ma collection...
Historique
Des éléments retrouvés plus tard dans les littératures dites de l'imaginaire apparaissent déjà dans la littérature russe au dix-neuvième siècle, dans les écrits teintés d'horreur et de fantastique de Nicolas Gogol (1809-1852) et dans Histoire d'une ville (Paris: Gallimard, 1994, traduction par Louis Martinez) (1869-1870) de Michel Saltykov-Chtchédrine (dystopie satirique), entre autres. C'est aussi à cette époque, en 1894, qu'est enfin publiée une utopie du dix-huitième siècle, Voyage au Pays d'Ophir, rédigée en 1773-1774 par le prince Michel Chtcherbatov (1733-1790).
En revanche, le roman The Newest Voyage de Basile Lyovchine (1746-1826), qui situe sur la Lune un État idéal de l'avenir lointain, est paru dès 1784. Au siècle suivant, on trouve d'abord des technologies visionnaires dans les fragments inachevés de L'Année 4338. Lettres de Pétersbourg (1840) signés par l'homme de lettres aristocratique Vladimir Odoevski (1803-1869), qui aurait pu être le Jules Verne russe. La première utopie socialiste apparaît dans le quatrième rêve de Vera Pavlovna dans Que faire? (1863) de Nicolas Tchernychevsky (1828-1889), le célèbre poète et révolutionnaire qui écrivit cet ouvrage en prison.
Surtout, il faut citer Fédor Dostoevski (1821-1881) dont les ouvrages Notes d'un souterrain (1864; édition française en 1972) et Les Démons (1871-1872; édition française en 1976, traduction de Lily Denis) fondent réellement la tradition dystopique russe, selon certains.
Au tournant du siècle, la Russie participe aux progrès scientifiques comme jamais auparavant. Constantin Tsiolkovsky (1857-1935) lui-même signe des fictions, dont Sur la Lune (1887-1893), Visions de la Terre et du Ciel (1895) et Au-delà de la Terre (1918-1920) pour disséminer ses idées.
Le début du vingtième siècle voit paraître des utopies socialistes, telles L'Étoile rouge (1908), qui se déplace sur Mars, et sa suite L'Ingénieur Menni (1913), qui anticipe la cybernétique, ces deux titres signés par Alexandre Bogdanov (1873-1928), des découvertes de mondes perdus, des anticipations futuristes, comme dans « La Terre », « La République de la Croix du Sud » et « Les derniers martyrs » du poète Valère Brioussov (1873-1924), de la science-fiction érotique (Théodore Sologub) et au moins une uchronie (Michel Pervukhine), ainsi que plusieurs textes où intervient le surnaturel. La révolution à venir inspire et effraie à la fois un auteur comme Alexandre Kouprine (1870-1938) dans « Un toast » (1906) et « Le parc du roi » (1911). Il signe aussi en 1912 le roman Soleil liquide. Dans Pre-Revolutionary Russian Science Fiction: An Anthology (Seven Utopias and a Dream) (Ardis, 1982), Leland Fetzer réunit plusieurs de ces textes.
Le coup d'État des Bolcheviks et la guerre civile qui s'ensuit forcent certains auteurs à fuir à l'étranger ou à ne jamais en revenir (comme Pervukhine); d'autres seront carrément exilés par le nouveau gouvernement. En revanche, des écrivains qui n'auraient peut-être jamais songé à écrire de la science-fiction se tournent alors vers l'utopie (Alexandre Chaianov), la dystopie (Eugène Zamiatine) et le genre de la Zukunftskrieg qui imagine les guerres du futur (Alexis Tolstoï, Ilya Ehrenbourg). Des gens qui n'auraient jamais essayé d'écrire quoi que ce soit sont inspirés par l'atmosphère fiévreuse de la guerre civile et la promesse des lendemains qui chantent. Parmi eux, certains auraient été employés par la Guépéou (Vivian Itine, auteur de l'utopie Le Pays de Gongourie (1922); Léon Roubine). Les écrits de cette génération soviétique passent pour avoir été d'un intérêt très relatif.
En français, on lira d'Eugène I. Zamiatine son roman dystopique Nous autres (1920), traduit par B. Cauvet-Duhamel et édité (entre autres) par Gallimard à Paris dans la collection L'Imaginaire en 1994. Pour certains historiens de la science-fiction, il s'agit d'un des premiers ouvrages d'anticipation à plonger aussitôt le lecteur in medias res, sans transition pour faire le lien entre le contexte actuel et le contexte du récit. Mais il a quand même été précédé par quelques autres titres, comme Épigone...
Un ouvrage qui se démarque des autres à cette époque a été traduit en anglais par Samuel D. Cioran sous le titre Mess-mend. Yankees in Petrograd (Ardis, 1991), après avoir été signé par Mariette Shaginian (1888-1982) en 1923. Un roman écrit en collaboration par Léon Uspensky et Léon Roubine (sous le nom de « Lev Rubus »), intitulé Запаг лимона, est sorti en 1928. Les innovations techniques fascinent, comme l'analogue du laser d'Alexis Tolstoï dans L'Hyperboloïde de l'ingénieur Garine (1925) et les armes atomiques du roman Dans mille ans (1927) de Vadim Nikolsky (1886-1941). Durant ces mêmes années, la jeunesse soviétique découvre avec plaisir les pays fantastiques des romans d'Alexandre Grine (1880-1932) (exemple possible : Le monde étincelant, traduit par Paul Lequesne et édité par L'Âge d'homme à Lausanne en 1993) ou les aventures (burroughsiennes?) narrées par Tolstoï dans son épopée martienne Aelita (1923), dont un film muet a été tiré en 1924. Sans parler des romans d'aventures et de mondes perdus signés par Vladimir Obroutchev (1863-1956), comme La Plutonie (1924) et La Terre de Sannikov (1926). Et des revues qui publient pour les jeunes tirent jusqu'à cent mille exemplaires à la fin des années vingt.
Durant les années trente, les possibilités de publication d'ouvrages relevant des littératures de l'imaginaire se réduisirent comme une peau de chagrin. Il n'existait plus de maisons d'édition privées; l'État contrôlait tout désormais et insistait sur un plus grand réalisme. Durant les années vingt, même Michel Boulgakov avait réussi à faire paraître en Union soviétique certains de ses ouvrages de SF (Diaboliad — sans doute la nouvelle connue en français sous le titre « Diablerie » dans le recueil Les Œufs fatidiques et autres récits), mais il ne fit rien paraître durant la décennie suivante. Ailleurs, en France, par exemple, on voit sortir en 1937 Le Voyage imaginaire de Léo Cassil (Paris: Gallimard), traduit par Vera Ravikovitch et Henriette Nizan.
Auteur d'une soixantaine de livres, Alexandre Beliaev (1884-1942) réussit à poursuivre sa carrière littéraire contre vents et marées à cette époque, après avoir fait ses débuts durant les années vingt, avec des livres tels Maître du monde (1928) où il est question de perception extra-sensorielle, L'Amphibien (1928) dont le héros est doté des branchies d'un requin, La Tête du Professeur Dowell (1934) où on aborde la survie après la mort, L'Étoile KET (1936) où il est question de la vie à bord d'un satellite artificiel, et La Lutte dans l'espace, un roman qui décrit entre autres une guerre entre l'URSS et les ÉU. Cependant, à l'exception de son roman Ariel (1941), la plupart de ses livres publiés après 1931 ne sont pas tenus en très haute estime par la critique, même s'il est considéré comme le père fondateur d'une certaine science-fiction vernienne à la russe.
Les romans relevant de la Zukunftskrieg se multiplièrent à la fin des années trente. On notera par exemple Red Planes Fly East (1938) de Pierre Pavlenko. Par contre, aucun ouvrage de fantastique épique (fantasy) n'est paru en Union soviétique sous Staline.
Le cas de Michel Boulgakov (1891-1940) est particulier. Après avoir longtemps connu la disgrâce en Union Soviétique, son œuvre a été peu à peu redécouverte. Son roman philosophique Le Maître et Marguerite, décrivant la visite de Satan à Moscou, n'a été publié qu'en 1966. Par le biais de la science-fiction et du fantastique, Boulgakov décrit l'aliénation de l'homme dans la société. Plusieurs de ses ouvrages sont parus en français: le roman Cœur de chien (Champ libre, 1971; NRF, coll. Folio # 320, 1973), le roman L'Île pourpre (Laffont, coll. Pavillons, 1965), Le Maître et Marguerite (Laffont, coll. Pavillons, 1968) et le recueil de nouvelles Les Œufs fatidiques et autres récits (Lausanne: L'Âge d'homme, 1971; repris dans la collection Marabout en 1973).
Durant les années trente et quarante, en effet, le nombre de sujets potentiels s'était beaucoup amenuisé. La fiction devait s'intéresser à l'Union soviétique, pas aux planètes lointaines, et aux inventions utiles. Jusqu'à la fin de l'ère stalinienne, la science-fiction vécut une sorte de ronronnement feutré. De nouveaux auteurs, tels Victor Saparine (1905-1970), Georges Gourévitch (1917-) et Alexandre P. Kazantsev (1906-), émergèrent durant ces années de plomb. De Kazantsev, on trouve en français Le Chemin de la lune, traduit par Sonia Lescaut (Paris: Denoël, coll. Présence du futur # 78, 1964), et Plus fort que le temps, traduit par Nina Nidermiller (Paris: Albin Michel, coll. Super+Fiction, 1980).
De cette période, on retiendra aussi en français Sur la planète orange de Léonide Onochko dans la collection le Rayon Fantastique # 80 (Paris: Hachette/Gallimard, 1961), Griada d'Anatole Kolpakov, dans une adaptation française de Pierre Mazel parue dans la collection le Rayon
Fantastique # 97 (Paris: Hachette/Gallimard, 1962), ainsi que L'Erreur d'Alexeï Alexeïev d'Anton Poleischuk, roman sorti dans la collection le Rayon Fantastique # 114 (Paris: Hachette/Gallimard, 1963).
La renaissance débuta en 1957 avec la publication de La Nébuleuse d'Andromède d'Ivan A. Efremov (1907-1972), qui a connu des éditions en français en 1970 (Lausanne: Éditions rencontre) et en 1988 dans une traduction de Harald Lusternik (Moscou: Radouga). En français, on trouve aussi de lui L'Heure du taureau (1979) traduit par Jacqueline Lahana de Шас Быка (Lausanne: L'Âge d'homme), Aux confins de l'œcumène (1989) traduit par Harald Lusternik (Moscou: Radouga) et L'ombre du passé (1998) (Viry-Chatillon: Lire c'est partir). Un recueil de textes courts est également disponible : Récits (Moscou: Éditions en langues étrangères), traduit par Harald Lusternik. On cite aussi d'Efremov des ouvrages intitulés Cor Serpentis (1959), Le Fil du rasoir (1963) et un roman historique fantastique, Thaïs d'Athènes (1972).
Le succès de La Nébuleuse d'Andromède en Union soviétique mena à la création de programmes de publication de la science-fiction par quelques maisons d'édition et plusieurs revues de vulgarisation scientifique pour les jeunes. Des critiques et spécialistes de la science-fiction apparurent, tels qu'Eugène Brandis (1916-1985), Vladimir Dmitrevsky (1908-), Cyrille Andreiev (1906-1968) et Julien Kagarlitsky (1926-). Les débuts de la conquête de l'espace et la libéralisation post-stalinienne permirent aux auteurs de se montrer plus audacieux.
Ainsi, c'est dans la foulée de La Nébuleuse d'Andromède que les frères Strougatsky, Arkadi (1925-1991) et Boris (1933-), firent paraître leur premier roman, Le Pays des nuages violets(1959). Depuis, ils ont fait paraître une vingtaine de livres, dont plusieurs traduits en français. Des films ont été tirés de leurs romans L'auberge de l'alpiniste mort (1970; film en 1979) et Pique-nique au bord du chemin (1972; film sous le titre de Stalker en 1981). En français, on
trouve aussi L'Île habitée (Lausanne: L'Âge d'homme, 1980) traduit par Jacqueline Lahana, Un Milliard d'années avant la fin du monde: manuscrit découvert en d'étranges circonstances (Paris: Fleuve Noir, Les Best Sellers (Science-fiction soviétique) # 9, 1983) traduit par Svetlana Delmotte, La Seconde invasion des Martiens (Paris: Fleuve Noir, Les Best Sellers (Science-fiction soviétique) # 11, 1983) traduit par Juliette Martin, Le Petit (Paris: Fleuve Noir, Les Best Sellers (Science-fiction soviétique) # 17, 1984) traduit par Svetlana Delmotte de Мальчик, et Destin boiteux (Paris: Hachette-Progrès, 1991) traduit par Antoine Garcia. Il y a aussi Les revenants des étoiles (Paris: Hachette/Gallimard, coll. le Rayon fantastique # 120, 1963), une traduction partielle par Pierre Mazel de Возвращение (1962). Et plusieurs autres, dont beaucoup chez Denoël.
Du côté des nouvelles, on connaît d'eux en français les textes suivants : « Le cône blanc de l'Alaide », traduit par Francis Cohen pour Les Meilleures Histoires de science-fiction soviétique (Gérard: Marabout, 1972); « Une gigantesque fluctuation », traduit par Bernadette du Crest pour Vingt maisons du Zodiaque (Paris: Denoël, 1979); « Le grand C.I.D. », traduit par Francis Cohen pour Les Meilleures Histoires de science-fiction soviétique et repris dans Découvrir la science-fiction (Seghers, 1975); « La forêt », traduit par Anne Coldefy-Faucard pour Le Livre d'Or de la science-fiction: La science-fiction soviétique (Pocket, 1984). Leur thème principal, celui de l'intervention humaine dans le cours de l'histoire, fait surface dès leur roman Tentative d'évasion en 1962.
À compter de 1960, la science-fiction soviétique connut un âge d'or. Anatole Dneprov (1919-1975) signe des nouvelles sur des thèmes biologiques et cybernétiques, réunies dans ses recueils The World I've Vanished In (1962), The Purple Mummy (1965) et The Immortality Formula (1963). Michel Emtsev (1930-) et Yeremeï Parnov (1935-) collaborent sur des ouvrages considérant l'impact du scientifique sur le social, dont Dirac Sea (1967), et sur un roman examinant le fascisme dans le cadre d'une histoire de voyage temporel, Shreds of Darkness on the Needle of Time (1970), tandis que leur roman bref Bring Back Love! (1966) annonce la bombe à neutrons. Sévère Gansovsky (1918-) rédige Vincent Van Gogh (1971) sur un artiste pris au piège du temps, ainsi que des nouvelles mémorables de science-fiction, « The Test Yard » et « The Day of Wrath », dont des films ont été tirés. Quant à Igor Rosokovatsky (1929-), il fait sa marque avec une série de livres sur des cyborgs qui se glissent sans heurt dans le monde de l'avenir.
Henri Altov (1926-) se spécialise dans le texte à idée, privilégiant le paradoxal, comme dans ses recueils The Scorching Mind (1968) et Created for Thunder (1970), mais il s'inspire aussi à l'occasion de la mythologie, comme dans son recueil Legends of Star Captains (1962). Vladimir Savchenko (1933-) aime aussi les idées fortes, comme dans son roman Self Discovery (1967), mais il signe aussi une utopie plus, traditionnelle, Over the Turn (1984), ainsi que des ouvrages franchement expérimentaux, dont Cul-de-sac (1972) et Une épreuve de vérité (1973).
Parmi les auteurs les plus réputés, Dimitri Bilenkine (1933-) se distingue avec des nouvelles laconiques et intellectuelles, mais riches en idées, réunies dans sept recueils, dont The Surf of Mars (1967), Face in the Crowd (1986) et Powerful's Power (1986). Il a aussi signé une trilogie appréciée du public et un roman sur les séismes temporels, The Life Desert (1984).
D'autres auteurs ont pratiqué une science-fiction plus littéraire. Ainsi, l'auteur de littérature générale Guennadi Gor (1907-1981) s'y est intéressé, composant des recueils et des romans s'attachant aux mystères des espaces intérieurs et extérieurs, dont Kumbi (1963), The Clay Papuan (1966) et La Statue (1972). Olga Larionova (1935-) a fondé son premier roman, Leopard from the Kilimanjaro Mountain (1965), sur le problème de connaître à l'avance la date de sa propre mort. On citera aussi son recueil The Zodiac Signs (1983) et le roman Sonate de la mer (1985).
Vladimir Mikhailov (1929-) a signé de grands romans philosophiques comme The Other Side Door (1985), Keeper to My Brother (1976) et sa suite Let's Come and See (1983), peut-être combiné dans une édition ultérieure intitulée Captain Uldamir (1990).
Cyrille (Kyr, Kirill) Boulytchev, de son vrai nom Igor Vsevolodovitch Mozheiko (1934-), est un des auteurs les plus populaires de cette époque. En français, on peut lire de lui Mission sur la planète morte, traduit par Nina Weinfeld (Paris: Éditions La Farandole, coll. 1000 épisodes, 1979; Paris: la Farandole / Messidor, 1982). Ses premiers ouvrages, comme Gusliar Wonders(1972), Men Like Men (1975) et le roman anti-nucléaire The Final War (1970), ont fondé sa popularité durable, ainsi qu'une série de contes humoristiques et folkloriques sur les habitants de la petite ville de Grand Gusliar, et des romans jeunesse sur Alice, une visiteuse venue du vingt-et-unième siècle. Il a aussi travaillé pour le cinéma.
Victor Kolupaev (1936-), que d'aucuns ont baptisé le Bradbury soviétique, a eu une longue carrière. Ses premiers recueils combinent poésie, fantastique et science-fiction dure, comme Can Such a Thing Happen! (1972) et Ticket to Childhood (1977); ses ouvrages plus récents, comme The Singing Forest (1984) et The Seventh Variety (1985) poursuivent sur la même lancée.
L'aventure de science-fiction a été pratiquée par les Abramov, par Kazantsev, par Georges Martynov (1906-1983), et par Eugène Voiskunsky (1922-) et Isaïe Loukodyanov (1913-1984), les auteurs d'un roman dit encyclopédique, L'équipage du « Mekong » (1961), et de sa suite, Ur, fils de Cham (1964). Ce dernier livre a d'ailleurs été édité en français sous les noms d'Eugène Voikounski et Isaïe Loukodianov, dans une traduction de Juliette Martin éditée en 1984 par le Fleuve Noir dans sa collection Les Best Sellers (Science-fiction soviétique) # 15.
Des romans d'aventure ont aussi été signés sous le nom de plume de Paul Bagryak, adopté par un groupe d'écrivains. L'auteur chevronné Serge Snegov (1910-) a créé du space-opéra philosophique soviétique dans la veine de Stapledon, en particulier dans sa trilogie Men Like Gods (édition omnibus en 1982), inspirée par le roman utopique de H. G. Wells.
Des satiristes se sont également imposés, tels Zinovy Yuryev (1925-) et Ilya Varshavsky (1909-1974). Ce dernier a démontré sa maîtrise de la nouvelle dystopique dans son recueil The Sun Sets in Donomaga (1966). De Zinov Iourev, on lira en français Le Sommeil paradoxal traduit
par Simone Luciani (Genève: Édito-Service, coll. Anticipation, 1982).
Au tournant des années quatre-vingt, de nouvelles voix se sont exprimées. L'auteur Paul Amnuel (1944-), amateur d'idées fortes, a signé un premier recueil, Now, Tomorrow and Forever (1984), et un roman, Explosion (1986), qui ont été salués par la critique. On note aussi à l'époque Alexandre Chtcherbakov (1932-) pour Shift (1982) et Guennadi Prachkevitch (1941-) pour The Stolen Marvel (1978), ainsi que l'ironiste indulgent Serge Drugal (1927-) pour son recueil The Tiger Will Go to the Garage with You (1984) et Serge Pavlov (1935-) pour son roman de science-fiction interplanétaire L'Arc-en-ciel lunaire (1978) et sa suite parue en 1984.
Selon Serge Nekrasov, de 50 à 100 ouvrages de science-fiction auraient été publiés chaque année en Union soviétique durant les décennies avant son effondrement — en incluant les traductions et les rééditions de Jules Verne. Les sections dédiées à la science-fiction dans les périodiques scientifiques et techniques constituaient une des principales sources de science-fiction.
En 1981, la Maison des Écrivains à Maleïevka près de Moscou commença à accueillir un atelier d'écriture connu sous le nom de l'Atelier Maleïevsky, formant de jeunes auteurs de science-fiction. Le prix Aelita apparaissait à la même époque pour récompenser les auteurs de science-fiction soviétique, tandis que l'étude de la science-fiction se développait dans les universités soviétiques, des universitaires tels Vsevolod Revitch, Yeremeï Parnov, Vitali Brugov, Tatiana Tchernychova et Vladimir Gakov signant des livres sur le sujet.
De ces auteurs récents, on lira en français Alexandre Kabakov dont le roman Non-retour a été traduit par Élisabeth Mouravieff et édité à Paris par Christian Bourgois en 1990.
Après la chute de l'Union soviétique, de nombreux ouvrages de science-fiction (pour la plupart, des traductions piratées) sortirent des presses nouvellement libres, mais sans que cela entraîne une augmentation du nombre d'ouvrages russes. Quelques survivants, tels Alexandre Kazantsev (alors âgé de quatre-vingt-dix ans ou presque), Kir Boulytchev et Vladislav Krapivine, continuèrent à publier des livres pour jeunes et moins jeunes.
Après la mort d'Arkadi Strougatsky en 1991, Boris se retrouva seul et signa sous le nom de plume de S. Vititsky un roman au titre qui donnerait en anglais : A Search for Destination or The Twenty-Seventh Theorem of Ethics. Une école d'écrivains s'était développée en cercle fermé sous l'Union soviétique, autour de Boris Strougatsky à Léningrad/Saint-Pétersbourg. Leurs œuvres très spécialisées, pour amateurs, connurent un retentissement limité dans le contexte commercial post-soviétique et l'exemple le plus éclatant en aurait été Andreï Stolyarov, dont les romans connurent des échecs désastreux.
Durant les années post-soviétiques, Alexandre Tyurin et Alexandre Shtchegolev tentèrent de créer un cyberpunk russe, sans grand succès, mais ils se recyclèrent rapidement, signant des romans policiers de SF et des contes humoristiques postmodernes sur l'ancien empire soviétique. Depuis 1986, Vyacheslav Rybakov a signé plusieurs ouvrages post-apocalyptiques. Le film Letters of a Dead Man (1986) qu'il avait co-scénarisé avec Boris Strougatsky a remporté plusieurs prix. Un autre roman combine la réalité virtuelle et l'uchronie.
Avant 1994, Victor Pelevin a connu une progression fulgurante: en l'espace de trois ans, il est passé du statut de néophyte à celui de talent confirmé, grâce à sa novella « Prince of Gosplan » et à son roman Omon Ra, qui a connu une parution en Grande-Bretagne.
Au début des années quatre-vingt-dix, le jeune écrivain moscovite Andreï Chtcherbak-Joukov aurait inventé le terme d'info-romantisme pour désigner la jeune génération d'auteurs dans la vingtaine et sa tentative de créer une nouvelle culture romanesque fondée sur l'émotion, les sentiments primaires et les aspirations de la jeunesse. Le meilleur exemple de cet info-romantisme individualiste était alors le roman The Knights of the Forty Islands d'un auteur du Kazakhstan, Serge Lukyanenko, où des jeunes enlevés par des extraterrestres se combattent en lieu clos et doivent développer une théorie de la justice. Un peu avant 1995, Lukyanenko a aussi signé un diptyque, Lord from the Planet Earth, ainsi qu'une trilogie rédigée en collaboration avec Juliy Burkine de Tomsk, intitulée Today, Mother!. Depuis, Lukyanenko s'est fait connaître mondialement grâce à la série de romans débutée avec Night Watch, dont on a également tiré des films.
Du côté de la fantasy russe, il faut citer des auteurs tels Svyatoslav Loginov (un membre du cercle de Boris Strougatsky), Serge Boulyga de Minsk, Michel Uspensky de Krasnoïarsk et Léonide Kudryatsev de Krasnoïarsk. Nicolas Perumov, un biologiste de Saint-Pétersbourg, a créé une suite en deux volumes (sans permission) du Seigneur des Anneaux de Tolkien, suite nettement influencée par l'expérience russe de la Seconde Guerre mondiale et la guerre de partisans.
La prochaine fois, j'examinerai peut-être les ouvrages de science-fiction russe en traduction dans ma collection...
Libellés : Russe, Science-fiction
2009-03-06
La science-fiction en russe (1)
Le blogue Russkaya Fantastika de Viktoriya et Patrice Lajoye a pour sujet la science-fiction et le fantastique en russe, en version originale comme en traduction française. On peut aussi visiter le site de Patrice Lajoye sur la sf soviétique, qui est encore en chantier mais qui offre quand même quelques informations intéressantes sur l'histoire de la traduction en français de la science-fiction soviétique. Malheureusement, il est gâché par des publicités intempestives de MySpace.
Le blogue offrait récemment une nouvelle de science-fiction de Constantin Tsiolkovski en traduction française, « Sur la Lune », datée de 1893 (selon d'autres sources, elle aurait été écrite en 1886-1887, et publié en 1892 ou 1893). Et pour ceux qui voudraient mieux comprendre le personnage de Volkodave dans les aventures de Pétrel signées par Laurent McAllister, le blogue chroniquait dernièrement le film Volkodav tiré du roman du même nom par Maria Semionova.
En parlant de McAllister et de la sf en russe, ai-je signalé qu'on peut lire Laurent McAllister dans cette langue? En effet, l'anthologie Witpunk (2003) a été éditée en russe en 2007 sous le titre Витпанк chez AST, de sorte qu'on y retrouve la nouvelle « Kapuzine and the Wolf: A Hortatory Tale » de McAllister, traduite par « Капуцина и Волк ». Deux ou trois de mes nouvelles ont été également traduites en russe dans des périodiques à diffusion plus ou moins limitée, parus à Kharkov et Volgograd.
Le blogue offrait récemment une nouvelle de science-fiction de Constantin Tsiolkovski en traduction française, « Sur la Lune », datée de 1893 (selon d'autres sources, elle aurait été écrite en 1886-1887, et publié en 1892 ou 1893). Et pour ceux qui voudraient mieux comprendre le personnage de Volkodave dans les aventures de Pétrel signées par Laurent McAllister, le blogue chroniquait dernièrement le film Volkodav tiré du roman du même nom par Maria Semionova.
En parlant de McAllister et de la sf en russe, ai-je signalé qu'on peut lire Laurent McAllister dans cette langue? En effet, l'anthologie Witpunk (2003) a été éditée en russe en 2007 sous le titre Витпанк chez AST, de sorte qu'on y retrouve la nouvelle « Kapuzine and the Wolf: A Hortatory Tale » de McAllister, traduite par « Капуцина и Волк ». Deux ou trois de mes nouvelles ont été également traduites en russe dans des périodiques à diffusion plus ou moins limitée, parus à Kharkov et Volgograd.
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