2013-03-29

 

Les prix Aurora/Boréal de cette année (2)

Après les livres, les nouvelles.  C'est une catégorie un peu plus délicate puisque j'ai trois nouvelles en lice, mais je n'essaierai pas de les inclure dans mon top 10.  Je dois aussi exclure de ce palmarès les nouvelles qui n'ont pas été publiées de manière professionnelle (deux nouvelles parues dans Brins d'Éternité 32 en feraient partie sinon).

Il fut un temps où L'Année de la science-fiction et du fantastique québécois offrait un classement des meilleures nouvelles de l'année, en fonction des notes attribuées par des critiques triés sur le volet.  Depuis la disparition des anthologies, collectifs et recueils, le nombre de nouvelles de SFFFHCF est devenu si réduit que la tâche est plus facile, mais que le cercle des amateurs et créateurs évite difficilement les conflits d'intérêt.  Comme je ne recule devant rien, je livre quand même (dans le désordre) mon top 10 approximatif, même s'il me reste encore une poignée de nouvelles à lire.

On notera tout d'abord que ce fut une bonne année pour le clan des Côté.  La nouvelle « Tout à la fois » de David Côté dans Solaris abordait le thème rebattu de l'invasion extraterrestre de manière originale, à la fois par le ton de la narration et par la description de son déroulement.  Les nouvelles « Le Disséminateur » et « Le fantôme dans le mécha » — également dans Solaris — de Philippe-Aubert Côté ont confirmé l'émergence d'un écrivain en pleine possession de ses moyens.  En tant qu'amateur de bonne science-fiction, je ne pouvais qu'être sensible à ces efforts, mais j'ai aussi apprécié, quoique dans une moindre mesure, « La danse de Jasmine » dans la revue Zinc.

Même si on n'est jamais loin du pastiche avec Alain Bergeron, sa nouvelle « Aurores à venir » dans Solaris jouait habilement avec la thématique asimovienne en évoquant la nostalgie de la science-fiction optimiste d'une époque de plus en plus lointaine.

Si ses textes relèvent un peu aussi du pastiche, Luc Dagenais mise en revanche sur un ton beaucoup plus personnel dans ses nouvelles « Les dieux pure-laine » et « 514 YIH-OOPI », parus respectivement dans Solaris et Exodes.  Son exploitation et son détournement de mythes québécois rappellent un peu la démarche de Claude Lalumière, mais les excès de la narration en font quelque chose de plus trash et de plus jouissif à la fois.

Également dans la veine du pastiche, Carlo Lavoie a fait se rencontrer le noir et le fantastique dans « Les adorateurs de sorcières » (une nouvelle parue dans Solaris) en optant plutôt pour la justesse de ton.  Le résultat, sans être véritablement original, procurait un plaisir de lecture décalé aux amateurs des fictions d'hier.

Du coup, dans une année apparemment vouée aux hommages frisant le pastiche (et vice-versa), la nouvelle « Quand les pierres rêvent » d'Ariane Gélinas dans Solaris n'en paraît que plus singulière.  Un peu énigmatique, mais certainement émouvante.

Deux vieux routiers, Hugues Morin et Francine Pelletier, ont signé en 2012 des nouvelles plus ou moins asimoviennes, « i-Robot » (dans Solaris) et « Trois fenêtres ouvertes sur l'humain » (dans L'Écrit primal).  La maîtrise de l'écriture était au rendez-vous, mais l'intérêt du lecteur se perdait un peu dans les nuances et les demi-teintes de la narration.

Comme cela se fait aussi, j'accorderais volontiers des mentions honorables à quelques textes qui ressortent de l'abondante catégorie des nouvelles de bonne tenue, tout à fait abouties, mais peut-être un peu trop sages.  Toutefois, plus je regarde la liste, plus j'ai tendance à croire que si certaines nouvelles sont restées en mémoire, c'était peut-être pour des raisons avant tout subjectives.  Par conséquent, je vais m'en tenir à la liste ci-dessous, en espérant stimuler la lecture, la réflexion ou la participation aux prix Aurora/Boréal de cette année.

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2013-03-27

 

Les prix Aurora/Boréal de cette année (1)

Les choix seront déchirants !  Cette année encore, les prix Aurora/Boréal seront décernés aux artistes, ouvrages et artisans plébiscités par les amateurs de la science-fiction, du fantastique, de la fantasy et de l'horreur d'ici dans le cadre du 30e congrès Boréal.

Mais il ne faut pas nécessairement se dépêcher de faire les mises en nomination.  Il reste encore plusieurs jours jusqu'au 5 avril et il demeure possible de lire encore quelques livres avant d'effectuer ses choix. Quels sont les livres marquants de l'année 2012 ?  Je n'ai pas tout lu, en particulier dans le secteur jeunesse, mais il y a quelques ouvrages qui ressortent du lot.  Et ce n'est pas parce qu'Alire n'a presque rien publié dans le domaine en 2012 qu'il faut s'empêcher de lire ce qui s'est bel et bien écrit l'an dernier.

Pour stimuler la discussion, voici quelque chose comme mon top 10, mais pas nécessairement dans l'ordre exact que j'adopterais.

Chez Coups de tête, je retiens surtout Universel Coiffure de Caroline Allard.  Faire de l'humour avec de la science-fiction, sans tomber dans la pantalonnade juvénile à la Dans une galaxie près de chez vous, c'est rare.  Sans rivaliser pour autant avec Douglas Adams, Allard signe un texte où se rencontrent efficacement culture québécoise, allusions philosophiques, réflexion, science-fiction et humour.  J'ai souri plusieurs fois et je crois bien que j'ai même ri.

Chez VLB Éditeur, Stéphane Dompierre a signé Corax, une histoire de fantôme qui s'inscrit dans l'univers partagé de « L'Orphéon ».  Rien de très original dans la conception, mais l'écriture vaut le détour, car Dompierre parvient à distiller le suspense qui s'impose dans ce genre de récit fantastique, tout en l'agrémentant d'un dénouement à double détente.  Le tout est un peu télégraphié, mais l'ouvrage reste un bon moment de lecture, que je recommande aux amateurs.

Chez les Six Brumes, dans la catégorie de la novella ou du très court roman, on a Le Chasseur de Geneviève Blouin.  Cette dernière exploite des thèmes qui lui sont chers — la voie du sabre concerne ici un ancien spécialiste des arts martiaux qui doit affronter un avatar de la Vénus d'Ille.  Le résultat est efficace et même un peu émouvant.

Anne Robillard et Bryan Perro ont donné naissance à un flot intarissable de fantasy québécoise.  Dans les romans pour adultes, le premier tome du Choc des couronnes d'Yves Dupéré chez Hurtubise m'a semblé nettement supérieur au premier tome des Chroniques d'Ériande de Robusquet chez Michel Quintin.  Si l'univers de Robusquet est plus développé, voire plus baroque, Dupéré maîtrise mieux la matière du romanesque.  Surtout, Dupéré s'est permis de camper des personnages principaux suffisamment sympathiques pour que le lecteur s'identifie à ceux-ci.  Ce qui lui donne un avantage indû sur la galerie de personnages trop souvent imbuvables de Robusquet.

C'est par la qualité de sa langue et de sa recherche historique que le roman Les laboureurs du ciel d'Isabelle Forest s'impose, car l'expérience de lecture est parfois ennuyeuse, voire pénible.  Forest mise beaucoup sur la mise en scène soignée de chaque incident dans l'Europe du XVIIe siècle, mais elle a oublié d'élaborer une intrigue véritablement suivie.  La chute sauve toutefois le roman, tout en mettant fin à l'histoire au moment où celle-ci donnait signe de devenir réellement intéressante.

Il faudrait glisser ici au moins un des romans jeunesse de Michèle Laframboise.  J'ai déjà donné mon opinion du Labyrinthe de Luurdu, peut-être moins convaincant que certains des tomes précédents, de sorte que j'aurais tendance à favoriser Mica, fille de Transyl qui combine l'exotisme, le Bildungsroman, une construction de monde soignée et une héroïne dont la personnalité a plusieurs facettes.  Le tout dans un cadre parfaitement science-fictif malgré la présence de vampires.

J'ai déjà parlé de Transtaïga d'Ariane Gélinas, un court roman publié par le Marchand de feuilles.  Il peut sembler étrange de le rapprocher du recueil Enraciné de Mathieu Fortin chez les Six Brumes, car Gélinas se démarque par l'aisance de l'écriture et l'originalité de son récit aux rebondissements cruels.  Pourtant, l'ensemble des nouvelles proposées par Fortin dans Enraciné compose une mosaïque qui évoque un terroir québécois diamétralement opposé au moyen Nord de Transtaïga, mais non moins authentique.  Le désir de s'ancrer dans la réalité québécoise tranche sur le fantastique de la génération précédente (l'univers du cycle des Davard de Sernine habite un curieux entre-deux à mi-chemin entre l'Europe et le Québec).  Le résultat, dans le cas de Fortin, est un recueil qui est bel et bien plus grand que la somme de ses parties.  En revanche, le maniérisme de Gélinas dans la mise en scène de rebondissements de plus en plus gothiques tend à distancer le lecteur de ce qu'elle relate, de même que le choix d'une narratrice peu fiable, alors que la conviction pleine et entière de Fortin (qui rappelle un élément essentiel de la narration dans le réalisme magique sud-américain) joue sur le même registre faussement naïf que les conteurs traditionnels du Québec (à l'instar de la grand-mère de Gabriel García Márquez).

Mon goût pour la science-fiction m'incline à citer un dernier titre que j'ai apprécié, même s'il déborde sans doute le cadre strict de la science-fiction.  Les limbes des immortels de Dominic Bellavance fait partie de la série des Clowns vengeurs lancée par Michel J. Lévesque chez les éditions Porte-Bonheur.  Est-il absolument fidèle à l'univers partagé de la série?  Je n'en suis pas absolument sûr, mais il l'exploite avec maestria pour imaginer l'évolution de deux personnages qui semblent préparer une suite où on ne s'ennuiera pas.  C'est un peu injuste pour les autres auteurs de la série, dont certains volumes sont effectivement excellents, mais s'il ne fallait qu'en choisir un, ce serait celui de Bellavance.

La suite au prochain numéro.

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2013-03-26

 

Les voyages du sous-marin jaune

Ce n'est pas si souvent qu'une nouvelle se fasse publier deux fois par la même revue, mais c'est ce qui est arrivé à « Terre de liberté », une histoire de science-fiction de ma plume parue dans le 125e numéro de Yellow Submarine en 1998, puis dans le 136e numéro qui vient de sortir.  En son temps, le nom de la revue rendait hommage au célèbre film du même nom des Beatles en 1968, lui-même tiré de la chanson éponyme (sortie en 1966) d'un album réuni en 1969 dans la foulée du film.  L'histoire du film se situait aux confins de la science-fiction et du merveilleux.  Si l'expédition sous-marine des personnages pouvait rappeler les voyages du capitaine Nemo, les lieux visités et les personnages rencontrés  en chemin relevait plutôt d'une fantaisie bonne enfant.  C'était sans doute un modèle approprié pour le fanzine fondé en 1983 par André-François Ruaud, que j'ai rencontré pour la première fois au congrès Boréal de Chicoutimi en 1988.  L'aventure du fanzine a duré de nombreuses années et la photo ci-dessous illustre plusieurs changements de maquettes et de formats.  Le numéro 136 est une publication spéciale pour les trente ans de Yellow Submarine qui offre, sous une jaquette orange, une sorte de palmarès des textes les plus représentatifs du fanzine.

C'est donc toute une époque dont on fait le bilan : une époque caractérisée par l'importance donnée à l'imagination et à l'ouverture à l'altérité.  Si des rumeurs suggèrent encore aujourd'hui que la compagnie Apple qui fabrique des iPod pourrait devoir son nom à la vénération de Jobs pour la compagnie Apple fondée par les Beatles, malgré les dénégations de Wozniak, c'est bien parce qu'il semblerait assez naturel que la production des Beatles, ouverte à de nombreuses expérimentations et formes de l'imaginaires, ait inspiré en partie une des compagnies au cœur de la révolution informatique des trente dernières années, justement...

Ce qu'on oublie parfois, c'est que le film Yellow Submarine était, dans une toute petite mesure, une production québécoise.  Si le responsable du film, George Dunning, était un Torontois de naissance comme moi, expatrié aux États-Unis puis au Royaume-Uni, il a fait appel à un Britannique installé au Canada, Gerald Potterton, pour faire réaliser une partie de l'animation dans les studios de la compagnie que Potterton fondait justement en 1968 à Montréal.  (Potterton serait à l'origine plus tard de l'adaptation de l'esthétique de la revue française Métal hurlant sous la forme d'un long métrage animé, Heavy Metal.)  Oui, les sous-marins jaunes voyagent, sautent les frontières et relient le réel au merveilleux.  C'est ce qui fait leur charme.

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2013-03-25

 

L'histoire franco-ontarienne en capsules

L'histoire franco-ontarienne est maintenant disponible pour la génération YouTube grâce à la réalisation par le Réseau du patrimoine franco-ontarien (RFPA), en collaboration avec l'ACFO d'Ottawa ou la revue Le Chaînon, selon les cas, d'une trentaine de capsules vidéo.   D'une durée d'une minute environ, en général, ces capsules rappellent, à l'instar des minutes du Patrimoine, des moments forts de l'histoire de l'Ontario français, des hauts lieux de la culture franco-ontarienne (au sens large, puisque cela inclut la fromagerie Saint-Albert, par exemple) et des institutions importantes pour la survie de l'Ontario francophone — sans oublier l'Ordre de Jacques-Cartier.

Il ne faut pas s'attendre à une mise en scène aussi dramatique que dans ces fameuses minutes du Patrimoine.  Il s'agit plutôt d'une présentation des faits essentiels qui, dans la mesure où elle demeure aussi consensuelle que possible, évite les sujets controversés.  Comme pédagogue, je trouve toutefois que c'est une faiblesse.  Ces capsules sont trop courtes pour véhiculer beaucoup d'information et elles ne sont pas toujours assez dramatiques pour piquer l'intérêt.  Par conséquent, je vois mal un enseignant les utiliser en salle de classe, même comme amorce.  En revanche, les enseignants pourront les consulter pour comparer leur propre compréhension d'un sujet à une synthèse offerte par des experts du domaine.

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2013-03-24

 

La conclusion d'une série remarquable

Michèle Laframboise.
La Quête de Chaaas.  5 - Le labyrinthe de Luurdu
Montréal:  Médiaspaul, coll. Jeunesse-Plus # 17, 2012.  

La science-fiction est un art exigeant, en particulier quand on s'adresse aux jeunes.  L'auteur doit jongler avec l'accessibilité de la narration, l'intérêt du récit, le respect de la science et la recherche de l'originalité.

Cinquième et dernier tome de « La Quête de Chaaas », Le labyrinthe de Luurdu conclut une série qui se démarque sur presque tous ces plans.  Le deuxième volume intitulé Les vents de Tammerlan a d'ailleurs remporté le prix Aurora du meilleur roman de science-fiction canadienne en français en plus d'être finaliste pour un prix du Gouverneur-général.  Quant au troisième volume, L'axe de Koudriss, il représente une des tentatives les plus abouties de la littérature jeunesse canadienne de signer un récit de science-fiction « dure », comme on appelle la science-fiction qui intègre la science à l'intrigue de manière si intime que l'histoire n'existerait pas sans ses éléments scientifiques.

Laframboise cherche à rendre accessibles ses ouvrages en pratiquant une écriture nerveuse et ramassée, qui se concentre sur les ressorts de l'intrigue et les rebondissements de l'action.  Ce faisant, elle sacrifie le luxe de la digression et les plaisirs de la mise en place d'une atmosphère.  Pas un incident n'est innocent et presque tout s'inscrit dans les intrigues en cours.

Le récit est axé sur une série d'attentats, de crimes et de mystères.  Le jeune Chaaas appartient à une espèce extraterrestre, les Chhhatyls, qui ont édifié un empire interstellaire fondé sur leur maîtrise des biotechnologies.  Les Chhhatyls conservent eux-mêmes certains traits d'une lointaine ascendance végétale.  Pour avoir voulu se venger de rivaux qui avaient saboté sa Quête, Chaaas a causé la mort de proches dont il regrette amèrement la disparition.  Afin d'expier, il est devenu l'assistant d'un questeur chargé de faire respecter les lois impériales, ce qui l'a amené à résoudre des mystères et changer des vies.  Il retrouve d'ailleurs sur la planète Luurdu des amis qu'il a connus sur la planète Tammerlan.  Des avanies les accablent, mais le danger se précise lorsque Chaaas se porte volontaire pour accompagner son jeune ami, Tussel, dans sa propre Quête, une épreuve initiatique primordiale pour les Chhhatyls.  Outre les périls de la jungle, ils devront échapper à des poursuivants qui ont résolu de les tuer.

Laframboise force l'incrédulité du lecteur en combinant deux séries distinctes d'agissements malveillants, dans un univers fictif déjà en soi fort complexe.  Tant les personnages que les lecteurs peinent à s'y retrouver.  De fait, l'enjeu principal n'est révélé qu'à mi-parcours, car Tussel protège le secret d'une découverte scientifique qui améliorerait le sort des femmes Chhhatyls.  Ceci n'est pas entièrement logique puisque la meilleure parade pour contrecarrer ceux qui veulent l'étouffer serait sûrement de rendre publique cette percée. 

L'importance potentielle de cette découverte pour la société des Chhhatyls confirme l'ambition de Laframboise, qui ne se borne pas à aligner les aventures et les énigmes dans cette série.  Le cadre de « La Quête de Chaaas » n'est pas seulement vraisemblable malgré son exotisme, il renvoie aussi à notre propre société dont l'obsession pour la performance accouche d'inégalités largement tolérées.  La distanciation de la science-fiction favorise ici une vision plus claire de cette réalité.

Si Laframboise cède trop souvent à la tentation d'accumuler les intrigues parallèles et les péripéties dans un cadre restreint, elle a appris au fil des ans à les camper avec une maîtrise consommée des moyens romanesques.  La véritable clé de son originalité dans le contexte canadien, toutefois, c'est son attention aux conséquences potentielles du progrès scientifique et technique.

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2013-03-23

 

La leçon de la tendresse

Par vos yeux amoureux, l'être aimé s'embellit :
de vos espoir secrets pour une vie à deux
de ces souffles unis qui attisent le feu
L'amour n'aveugle pas, il vous rend plus jolis

Les gestes de la vie qui enfin vous relie
sont vrais et sont requis, par les jours nuageux
et les grands aujourd'hui, pour qu'un soir orageux
embrassés, la vérité bue jusqu'à la lie,

vous sachiez par vos lèvres et votre peau
que si l'amour explose les cœurs aussitôt
la tendresse loge en votre chair à jamais

Les cadeaux ne raniment pas la passion
ou le non avenu : ce que chacun aimait,
il en a fait le roc de vos fondations

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2013-03-21

 

Les cliques québécoises

Le départ du directeur général de Montréal, Guy Hébert, a permis à La Presse de rappeler la succession de directeurs généraux depuis 2001 et la création du Grand Montréal né des fusions.  Si Guy Hébert était, au moment de sa nomination en janvier 2012, foncièrement un apparatchik municipal dont la carrière avait culminé avec son passage à la tête de la Société d'habitation et de développement de Montréal, plusieurs de ses prédécesseurs étaient de purs produits de Québec Inc., voire du modèle québécois issu de la Révolution tranquille.

Le premier, Guy Coulombe, a monté rapidement en grade pour occuper le poste de secrétaire général du Conseil exécutif, au tout sommet de la fonction publique québécoise, sous les gouvernements Bourassa et Lévesque au milieu des années soixante-dix.  Il dirige ensuite la Société générale de financement (création de la Révolution tranquille auparavant rêvée par l'Ordre de Jacques-Cartier), puis Hydro-Québec, la Sûreté du Québec et la ville de Montréal.

Deux autres « Hydro-Québécois » prennent la relève successivement, André Delisle exerçant la fonction à titre intérimaire jusqu'à l'arrivée de Robert Abdallah, un ancien collègue à Hydro-Québec avec qui il refuse de collaborer.  Après Abdallah, mis en cause par la commission Charbonneau, c'est au tour de Claude Léger, ancien directeur-général de Longueuil, la Communauté urbaine de Montréal et Montréal-Est.

Rachel Laperrière, une fonctionnaire municipale qui a œuvré pour les Métiers d'art du Québec et le Cirque du Soleil, assure la transition jusqu'à l'arrivée de Louis Roquet, ex-PDG d'Investissement Québec et de la SAQ.  Elle l'assure de nouveau jusqu'à l'arrivée en poste de Guy Hébert, qui aurait édulcoré certaines des réformes mises en place de concert par Laperrière et Roquet pour resserrer la gestion des contrats.

D'une part, on ne peut qu'être impressionné par le cursus de plusieurs de ces directeurs-généraux.  D'autre part, cela ne rend que plus inquiétant leur aveuglement ou leur tolérance d'un système de collusion et de corruption qui remontait au moins au siècle dernier.  La plupart n'ont rien vu, rien fait.  Ils ont paré au plus pressé ou ils ont laissé faire.

Cela pourrait-il s'expliquer par le vivier restreint dont ils proviennent?  Pour l'essentiel, ils émanent des gouvernements municipaux de la région montréalaise, du gouvernement provincial ou des créatures du gouvernement provincial, dont Hydro-Québec, la SGF et Investissement Québec.  Le parcours le plus atypique est celui de Rachel Laperrière, qui fait partie des moins suspectées (et qui serait devenue sous-ministre du gouvernement provincial actuel, illustrant de manière flagrante la circulation en boucle fermée des privilégiés de ce milieu), mais personne dans cette liste ne provient du secteur privé ou du gouvernement fédéral, par exemple.  Ou de l'étranger, a priori.

Du coup, on peut s'interroger sur les réflexes qui prévalent dans ces milieux de travail — gouvernement provincial, Hydro-Québec, etc. — et qui entraîneraient un refus d'ouvrir les yeux, d'exiger ou d'agir.  Parce qu'il serait plus confortable de laisser ses collaborateurs faire leurs petites affaires, dans leur coin, et de continuer à gravir les échelons.  Fermer les yeux, refuser d'entendre, accepter les droits acquis et les situations qui perdurent, ne pas s'immiscer dans les agissements des cliques (patronales ou syndicales) qui font régner leur loi, pourtant, ce n'est pas de la sagesse, mais de la lâcheté.

Surtout que si tout éclate au grand jour, le moment venu, c'est tout le monde qui est éclaboussé.  Enfin...  tout le monde qu'on a fait entrer dans le jeu, ce qui, pour l'instant, implique à peu près tout le monde au Québec hors du milieu fédéral.

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2013-03-16

 

Atlas et le long bras canadien de l'auteur

De retour de la pièce Le Bras canadien et autres vanités de Jean-Philippe Lehoux mise en scène par Fabien Cloutier, j'y réfléchis encore.  Premier Acte est consacré au théâtre émergent, et dit de la relève (mais qui est tombé?), et la pièce présente de fait quelque chose de moins abouti et de plus expérimental que d'autres pièces québécoises dans le registre de la science-fiction, comme Alpha du Centaure en 2007.

Le propos n'est pourtant pas dénué de résonnance potentielle.  Lehoux imagine qu'en 2032, l'astéroïde du Petit Prince de Saint-Exupéry est devenu une destination touristique que l'on rejoint de New York en avion (spatial, je suppose).  La vie du Petit Prince et de ses compagnons a été bouleversée, mais celui-ci réserve un accueil particulier au groupe de touristes qui comptera son millionnième visiteur.  C'est ainsi que cinq touristes québécois désappointés découvrent que le Petit Prince est devenu un homosexuel aigri et alcoolique, un adepte de la masturbation qui vend aux touristes du souvlaki à base de mouton...

L'astéroïde B 612 de Saint-Exupéry s'inscrivait dans l'histoire littéraire des îles exotiques qu'il était possible de peupler, en raison même de leur éloignement et isolement, de personnages inédits.  Comme dans La Tempête de Shakespeare, le Petit Prince est le maître d'une île enchantée et il entreprend de raconter à ses visiteurs une histoire dont il les oblige à être les acteurs, chacun incarnant plusieurs rôles.  Ainsi débute une nouvelle intrigue, dominée par la quête d'Atlas qu'une rencontre jouissive avec le nouveau bras canadien de la station spatiale internationale délivre de son fardeau pluriséculaire : la Terre.  Le Titan descend alors sur Terre et se glisse dans le corps d'un vieil Arabe en djellaba.  La Terre larguée par Atlas est en proie au chaos, les pays et les lieux dérivant dans le désordre, et Atlas se lance alors à la recherche du bras canadien échoué quelque part à la surface de la planète, le demi-dieu ne sait où.

Lehoux présente sa pièce comme une comédie épique sur le thème de l'humilité.  Là où Saint-Exupéry avait réglé le cas des vaniteux en trois pages, Lehoux déplore à la fois qu'on se prend trop au sérieux et qu'on ne prend rien au sérieux.  Il lui faut toute la pièce pour essayer de se dépêtrer de cette contradiction et il n'y arrive pas tout à fait.  Il y avait là une ouverture pour parler de la science-fiction dans ce contexte science-fictif, puisque cette dernière exige une forme d'humilité qui admet la possibilité de l'erreur, ou pour reparler de Saint-Exupéry, dont la rose manquait singulièrement de modestie.

Toutefois, en privilégiant la dimension comique de son récit, Lehoux n'échappe pas à l'écueil de la bouffonnerie.  Les personnages du Petit Prince s'habillent en clients d'un sex-shop de sorte que l'aspect physique de leurs transformations et de leurs performances (musicales ou sexuelles) s'impose au détriment du contenu des dialogues.  Le Petit Prince est mal placé pour se plaindre qu'il est incompris quand il en fait autant pour détourner l'attention de son auditoire.  D'ailleurs, si Atlas plaide pour la liberté de pensée, afin que l'humanité ne se laisse plus asservir par ces idoles qui exacerbent sa gloriole, les autres personnages n'offrent pas un discours aussi suivi.  Certaines répliques sont servies par des acteurs qui vocifèrent de telle manière qu'on ne saisit pas toutes leurs paroles.  On peut bien se moquer de la diction ampoulée des acteurs du théâtre classique, mais elle avait l'avantage de favoriser la compréhension des spectateurs.

Bref, Lehoux renoue à certains égards avec la bouffonnerie rabelaisienne en s'écartant nettement de la fable de Saint-Exupéry, dont il veut pourtant conserver la dimension morale, mais il lui manque l'encyclopédisme et l'élévation philosophique qui sous-tendaient l'épopée de Gargantua et Pantagruel.  Néanmoins, l'intention était là, et Lehoux creusera peut-être le même filon dans son œuvre ultérieure.

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