2012-05-30

 

Science-fiction, prospective et gouvernements

Les liens entre la science-fiction, la prospective, la veille stratégique, la planification et la bonne conduite des affaires publiques sont à la fois évidents et toujours difficultueux. 


Aux États-Unis, le groupe SIGMA réunit des auteurs de science-fiction rompus aux exercices de réflexion futurologiques afin d'offrir leurs services au gouvernement des États-Unis et à des think tanks privés.  Il s'inspire des contributions antérieures d'écrivains de science-fiction à des exercices de prospective et des projets technologiques, dont ceux — Greg Bear, Gregory Benford, Larry Niven, Jerry Pournelle — qui avaient défendu le « Project High Frontier » qui allait donner naissance à l'initiative de défense stratégique des États-Unis du président Ronald Reagan, aussi connue sous le nom de projet « Star Wars ».

Plus récemment, des auteurs comme Karl Schroeder ont fait partie d'exercices semblables organisés par les forces militaires ou ministères de la Défense de plusieurs pays, désireux d'explorer des scénarios futuristes moins consensuels.  Et pourtant, les auteurs de science-fiction refusent en général d'être associés à la futurologie.  Ils affirment écrire sur le temps présent quand ils se projettent dans l'avenir, ou de signer de simples divertissements.  Le fait est que c'est parfaitement vrai dans de nombreux cas : le space-opéra a rarement pour ambition de décrire des futurs vraisemblables.  Toutefois, cette dénégation est souvent trop absolue.  De nombreux auteurs s'ingénient aussi à imaginer des futurs possibles — des futuribles, comme dirait une certaine revue consacrée à la prospective...

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2012-05-21

 

L'insoutenable aporie d'une certaine science-fiction en français

Lu entre un village des Alpes maritimes et une ferme du Midi : le roman Mimosa (L'Atalante, 2012) de l'auteur suisse Vincent Gessler.

Les deux cent premières pages se laissent lire avec plaisir. L'auteur enchaîne les scènes d'action sans répit, dans une ambiance cyberpunk de bon aloi transportée dans une Amérique du Sud futuriste plus ou moins crédible. Tessa est une privée qui tombe sur la piste d'une légende du milieu interlope de la ville de Santa Anna. Ceci ne va pas sans casse, au risque de remettre en cause ses bonnes relations avec la police. Au gré des péripéties, cependant, une autre vérité s'esquisse. Tessa n'est pas celle qu'elle croyait être et le redoutable personnage de Pardón, le tueur sans pitié qu'elle croit traquer, ne serait qu'un leurre. La personne qui tire les ficelles, dans ce monde de faux-semblants où les identités s'échafaudent dans des réalités virtuelles sous la gouverne d'une IA (comme dans Count Zero de Gibson) et les personnalités d'emprunt se superposent aux versions d'origine, ne serait autre que Tessa elle-même avant une perte de mémoire, ou encore son modèle d'origine, ou encore une double du modèle d'origine...  Gessler parvient à faire passer avec efficacité et même brio les découvertes successives de Tessa, en alternant scènes d'action et révélations pimentées de touches d'un humour assez noir.  Le divertissement est assuré, même s'il n'est pas toujours de la plus grande originalité.

Puis, la narration décroche et bascule dans une dimension fantasque qui convertit des groupes musicaux en brigades de choc pour la reconquête de la ville de Santa Anna, un maire en cyborg reconstruit avec des pièces de mobilier et des missiles guidés par des IA en philosophes existentialistes, avant de s'accorder une mise en abyme — sans oublier les armes soniques tirées de la version cinématographique de Dune pondue par David Lynch.  Du coup, l'univers échafaudé avec un certain souci de cohérence jusqu'alors vacille.  Les touches un peu fantaisistes — comme la manie des habitants d'adopter les noms d'acteurs ou d'autres célébrités — s'intégraient sans trop de heurts au cadre initial, mais l'accumulation intervient au moment même où un roman bien construit devrait commencer à converger.  Gessler tente de réussir les deux en même temps : surenchère imaginative et préparation du dénouement.  Le résultat ne plaira pas à tout le monde.

La conclusion est pourtant d'une grande logique. Vadelica et Tessa s'affrontent sur le terrain de leurs souvenirs communs afin de façonner une nouvelle identité qui sera dominée par l'une ou l'autre personnalité. La conclusion est parfaitement satisfaisante, dans le contexte de l'univers de départ, mais ceci n'empêche pas Gessler de gratifier ses lecteurs de plusieurs appendices métafictionnels plus ou moins convaincants.

Le décrochage est clairement voulu.  Et il me semble assez caractéristique d'une certaine science-fiction francophone trop consciente de décalquer une création d'origine étrangère.  La mise en abyme sert-elle alors d'alibi à une mauvaise conscience?  Un de ces jours, il faudra vider la question.

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2012-05-19

 

Les villes de demain, hier

Une excellente chronique sur le site Urbain, trop urbain porte sur l'ouvrage Rétro-futur! demain s'est déjà produit de Raphaël Colson aux Moutons électriques.  Il s'agit d'explorer entre autres les paysages urbains imaginaires qui ont anticipé les villes modernes — ou qui n'ont jamais été réalisés malgré tous leurs attraits, et toute la force des arguments déployés pour justifier leur existence éventuelle.  Mais les moyens de transport du futur sont également traités.  L'histoire de la science-fiction alors se mêle à celle des rêves sociaux et techniques en ne faisant parfois que les prolonger.

En parlant des futurs de la fiction, ce billet vaut le détour, car il offre les résultats d'un travail de moine sur le contexte chronologique des futurs de la science-fiction.  Depuis la fin du XIXe siècle jusqu'aux premières années du XXe siècle, on voit avec quelle fréquence différentes périodes futures (proche avenir, moyen terme, futur éloigné) sont traitées par la science-fiction de chaque décennie.  S'il y a des constantes, il y a aussi des exceptions à la tendance :  durant les années 1900 et 1980, la science-fiction s'intéresse au proche avenir plus qu'à n'importe quelle autre époque.  Pourquoi ?  Si la vogue du cyberpunk et l'imminence de l'an 2000 pourraient l'expliquer dans le second cas, le premier cas pourrait correspondre à la prise de conscience du début d'un nouveau siècle chargé de promesses.

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2012-05-18

 

En cherchant la déchirure du ciel

Les premières nouvelles de Dave Côté dans Brins d'éternité et Solaris ont retenu l'attention des lecteurs et des critiques. Elles mariaient une écriture aussi efficace que vivante à des histoires singulières qui témoignaient d'une imagination originale. Les attentes étaient donc élevées dans le cas de son premier roman, Noir azur (Sherbrooke, Les Six Brumes, 2011), un ouvrage relativement court — il fait moins de 200 pages et les paragraphes se réduisent parfois à des bouts de phrase — qui n'est pas dépourvu pourtant de réelles trouvailles. Côté semble avoir choisi de jouer la difficulté. Il a fait le pari de prendre pour protagoniste un personnage à la mémoire extrêmement floue, qui s'incarne de manière épisodique dans la peau d'un autre et qui découvre en même temps que les lecteurs un monde décalé.

Le narrateur naît donc à la conscience de soi dans un vieil édifice où un groupe s'est réuni dans l'espoir de trouver un monde meilleur. Car le monde s'est transformé. Le ciel n'est qu'une immense bâche, la nature est en plein dépérissement et le sol même se dérobe sous les pieds des survivants.  Dans les villes, les habitants se passionnent pour des parties de hockey devenues des combats de gladiateurs ou mènent une existence plus ou moins robotisée.  Mais les jeunes rencontrés par le protagoniste croient à l'existence d'un monde avec sa part de ciel bleu...

J'ai aimé l'identité du personnage principal qui incarne en définitive une promesse, et même un engagement amoureux à la vie et à la mort. J'ai moins aimé les personnages qui semblent d'une grande naïveté, en particulier quand ils se laissent abuser par les mensonges maladroits du narrateur.   Plus un univers est étrange, plus un auteur a intérêt à mettre le lecteur en confiance et à le convaincre qu'une explication cohérente des actions posées par les personnages ou du devenir de l'univers sera fournie.  Dans le cas de ce livre, l'explication n'arrive jamais.  Il s'agit tout au plus de s'éveiller du rêve — ou du cauchemar — en ayant conquis le droit d'espérer.

Si Noir azur est un ouvrage plus ou moins imparfait de par un récit entrecoupé par les absences du narrateur et par des actions extrêmes incomplètement justifiées, ce roman convie également ses lecteurs à espérer de Côté des ouvrages d'un intérêt supérieur, qui combineront l'originalité de son imagination et une plus grande cohérence dans la présentation de l'histoire.

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2012-05-16

 

Le Jour du futur

J'ai raté le Jour du futur.

En effet, c'est le premier mars dernier qu'il fallait célébrer l'avenir.  Selon le raisonnement des partisans de ce nouveau congé, la plupart de nos congés actuels honorent des individus et des événements passés (y compris les légendes d'origine religieuse), sinon des changements de saison. L'Histoire et la nature méritent d'être honorés parce qu'elles sont des choses merveilleuses, mais le futur aussi.

Dans le cas de l'avenir, cependant, il ne sera merveilleux que si on œuvre dans ce sens.  C'est pourquoi ce « Future Day » est censé également mobiliser toutes les personnes de bonne volonté afin qu'elles entreprennent de convaincre les dirigeants qu'un tel jour férié rendrait hommage à l'énergie et à l'optimisme de tous ceux et celles qui s'efforcent d'édifier un avenir meilleur.

Et puis, on admettra qu'un jour de congé de plus à la fin de l'hiver, ce ne serait pas de trop, du moins au Canada.  L'hiver est long et il n'y a pas beaucoup d'occasions obligées de prendre un jour de repos entre les vacances de Noël et celles de Pâques.  Un Jour du futur, ce serait en soi le début d'un avenir meilleur...

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2012-05-12

 

Les auteurs de Solaris

Je crois que c'est Joël Champetier qui me demandait la semaine dernière à Boréal si j'étais encore l'auteur qui avait publié le plus de textes de fiction dans Solaris.  Il me semblait bien que c'était le cas, il y a quelques années, mais je n'ai pas beaucoup publié depuis 2009.  Par conséquent, il était temps de se replonger dans l'index de la revue.  Je n'ai pas tenu compte des BD, mais j'ai basé mon décompte sur la catégorie des nouvelles, en ajoutant au crédit des principaux auteurs les contes brefs qu'ils avaient pu signer à l'époque où Solaris en publiait.  J'ai aussi inscrit au crédit des auteurs les participations à des textes collectifs ou des nouvelles écrites en collaborations.  Et j'ai compté pour Yves Meynard et moi-même la nouvelle « Le cas du feuilleton De Québec à la Lune », qui est classé ailleurs par les bibliographes solariens.  En ne retenant que les auteurs qui ont publié au moins trois fictions dans Solaris, j'obtiens une liste de 65 auteurs depuis 1974.  Les deux tiers de ceux-ci, comme on peut le voir dans la figure ci-dessous, ont publié moins de 6 fictions.  La diminution subséquente est brutale : 11 auteurs qui ont publié entre 6 et 8 fictions, 6 auteurs qui ont publié entre 9 et 11 fictions et 6 autres qui ont publié 12 fictions ou plus.


Les noms de ces six auteurs ne surprendront personne, mais examinons plutôt la liste des douze auteurs qui ont publié 9 fictions et plus, en ordre croissant.

April, Jean-Pierre  — 9
Beaulieu, René — 9
Lamontagne, Michel — 9
Pelletier, Francine — 10
Somcynsky, Jean-François — 10
Champetier, Joël — 11
Bergeron, Alain — 12
Bolduc, Claude — 14
Meynard, Yves — 20
Sernine, Daniel — 20
Vonarburg, Élisabeth — 20
Trudel, Jean-Louis — 26

Alors que les premières fictions de Daniel Sernine et Élisabeth Vonarburg dans Requiem/Solaris remontent respectivement aux numéros 5 et 13, les premières fictions d'Alain Bergeron, Claude Bolduc, Yves Meynard et moi-même remontent respectivement aux numéros 65, 98, 80 et 71.  L'écart est quelque peu surprenant : les auteurs qui ont fait leurs premières armes entre les numéros 13 et 65 se sont avérés moins prolifiques que leurs successeurs ou devanciers.  Mais comme les chiffres sont très bas, il ne faudrait pas tirer de conclusions quand les statistiques sont aussi maigres.

Sinon, le tableau ci-dessus fournit la réponse à la question posée.  Cela dit, si on comptait les BD, Daniel Sernine et quelques autres verraient leurs chiffres augmenter un peu (encore qu'il faudrait savoir si un feuilleton BD comme « Hansval de Troie » devrait compter comme une fiction ou quatre).

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