2005-11-20
La langue de l'écriture
Le numéro 129 de Liaison est consacré à la littérature pancanadienne. Ou plus précisément aux auteurs que publient les maisons d'édition francophones hors-Québec. Ce qui m'exclut, pour l'essentiel. Moi, je considère que je ne suis pas moins franco-ontarien que lorsque j'habitais à Toronto. Et il faudrait chercher longtemps pour trouver trace d'une quelconque réalité québécoise dans ce que j'écris maintenant.
Mais c'est un autre débat. Ce qui m'interpelle ce soir, c'est la contribution de Paul Dubé, «La littérature d'écrivains francophones écrite en anglais». Il est rare qu'on reconnaisse cette réalité de la vie littéraire canadienne. Si je n'ai pas signé de livre en anglais, j'ai quand même fait paraître plusieurs nouvelles en anglais — ainsi qu'un poème. Et c'est un fait qui n'est pas particulier au Canada francophone hors-Québec : Yves Meynard a d'abord écrit et publié Le Livre des chevaliers en anglais.
Qui plus est, Dubé cite un roman, Madeleine and the Angel de Jacqueline Dumas, que j'ai toujours tenu pour une des seules expressions littéraires de ma réalité d'enfant qui a grandi entre deux langues et d'adulte également à cheval entre l'anglais et le français. (Un autre ouvrage que j'avais trouvé particulièrement proche de moi relève de la science-fiction. Surveillance de Julian May (première partie d'Intervention) s'intéresse à l'enfance de jeunes Franco-Américains en Nouvelle-Angleterre et j'y ai aussi retrouvé ce reflet d'une vie menée dans les deux langues qu'il est si rare de trouver dans toutes les autres littératures canadiennes. Enfin, celles que je peux lire...)
Dans la mesure où je m'en souviens, le français apparaît à l'intérieur du cercle familial dans le roman de Dumas. Il surgit surtout dans les dialogues, je crois, et peut-être dans quelques réminiscences du passé. Il est pratiquement absent hors de ce cercle et, pour de nombreux francophones hors-Québec, ceci est parfaitement réaliste. La vie sociale, et la vie de la société en général, a lieu en anglais. La pensée sur de nombreux sujets, pratiques ou non, est rapidement atteinte et emprunte ses schèmes et ses idées à l'anglais.
Il est donc logique d'employer l'anglais pour assurer la narration d'un roman, pour reproduire de grands pans de la pensée des personnages plongés dans cette réalité anglophone. Le français, s'il n'est pas présent dans la vie professionnelle à l'extérieur du foyer, est rapidement confiné à quelques faits et gestes de la vie quotidienne.
On peut le déplorer, mais telle est la pente de la vie en milieu minoritaire. Pour l'écrivain, n'écrire qu'en français, c'est une démarche d'annexion de la réalité sociale et extérieure à la vie intérieure, mais le résultat, comme dans le roman de Frigerio, a souvent quelque chose de tristement artificiel. On ne peut nier la vérité d'une voix, mais ce n'est qu'une voix. Mais n'écrire qu'en anglais, ce serait également une trahison, avec ceci de grave qu'en prime, on s'avouerait vaincu. Car ce serait admettre l'ingérence du monde extérieur dans le vécu intérieur.
La solution passe sans doute par une forme de bilinguisme dans le texte même, mais ce sont alors les deux langues qui se combattent, qui se nuisent peut-être, qui se dynamitent... Et la question se pose à l'auteur : aura-t-il des lecteurs suffisamment acrobatiques pour le suivre? Et combien?
Mais c'est un autre débat. Ce qui m'interpelle ce soir, c'est la contribution de Paul Dubé, «La littérature d'écrivains francophones écrite en anglais». Il est rare qu'on reconnaisse cette réalité de la vie littéraire canadienne. Si je n'ai pas signé de livre en anglais, j'ai quand même fait paraître plusieurs nouvelles en anglais — ainsi qu'un poème. Et c'est un fait qui n'est pas particulier au Canada francophone hors-Québec : Yves Meynard a d'abord écrit et publié Le Livre des chevaliers en anglais.
Qui plus est, Dubé cite un roman, Madeleine and the Angel de Jacqueline Dumas, que j'ai toujours tenu pour une des seules expressions littéraires de ma réalité d'enfant qui a grandi entre deux langues et d'adulte également à cheval entre l'anglais et le français. (Un autre ouvrage que j'avais trouvé particulièrement proche de moi relève de la science-fiction. Surveillance de Julian May (première partie d'Intervention) s'intéresse à l'enfance de jeunes Franco-Américains en Nouvelle-Angleterre et j'y ai aussi retrouvé ce reflet d'une vie menée dans les deux langues qu'il est si rare de trouver dans toutes les autres littératures canadiennes. Enfin, celles que je peux lire...)
Dans la mesure où je m'en souviens, le français apparaît à l'intérieur du cercle familial dans le roman de Dumas. Il surgit surtout dans les dialogues, je crois, et peut-être dans quelques réminiscences du passé. Il est pratiquement absent hors de ce cercle et, pour de nombreux francophones hors-Québec, ceci est parfaitement réaliste. La vie sociale, et la vie de la société en général, a lieu en anglais. La pensée sur de nombreux sujets, pratiques ou non, est rapidement atteinte et emprunte ses schèmes et ses idées à l'anglais.
Il est donc logique d'employer l'anglais pour assurer la narration d'un roman, pour reproduire de grands pans de la pensée des personnages plongés dans cette réalité anglophone. Le français, s'il n'est pas présent dans la vie professionnelle à l'extérieur du foyer, est rapidement confiné à quelques faits et gestes de la vie quotidienne.
On peut le déplorer, mais telle est la pente de la vie en milieu minoritaire. Pour l'écrivain, n'écrire qu'en français, c'est une démarche d'annexion de la réalité sociale et extérieure à la vie intérieure, mais le résultat, comme dans le roman de Frigerio, a souvent quelque chose de tristement artificiel. On ne peut nier la vérité d'une voix, mais ce n'est qu'une voix. Mais n'écrire qu'en anglais, ce serait également une trahison, avec ceci de grave qu'en prime, on s'avouerait vaincu. Car ce serait admettre l'ingérence du monde extérieur dans le vécu intérieur.
La solution passe sans doute par une forme de bilinguisme dans le texte même, mais ce sont alors les deux langues qui se combattent, qui se nuisent peut-être, qui se dynamitent... Et la question se pose à l'auteur : aura-t-il des lecteurs suffisamment acrobatiques pour le suivre? Et combien?
Libellés : Canada, Culture, Livres
Comments:
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J'ai longtemps pensé écrire un recueil de textes bilingues (certains textes en anglais, d'autres en français) avec des collègues de travail, mais le temps et l'énergie ont manqué. J'avoue que l'idée de lire un roman bilingue m'intéresse (encore plus s'il s'agirait de science-fiction ou d'anticipation.)
J'ai écrit une nouvelle bilingue, «Report 323: A Quebecois Infiltration Attempt», mais c'était il y a longtemps et je crains que les perspectives commerciales d'un recueil ou d'un roman bilingue ne soient pas encourageantes.
Il serait en fait intéressant d'écrire de telles nouvelles bilingues à intervalles réguliers, rien que pour tester mon rapport (fluctuant) aux deux langues.
Mais l'écriture reste un mode d'expression si contrôlé que le bilinguisme ne surgirait sans doute pas très naturellement dans un texte écrit, alors que les deux langues ont tendance à surgir spontanément dans la conversation...
En science-fiction, il faudrait bien sûr justifier ce bilinguisme. Dans certains de ses romans (Child of Fortune?), Spinrad a offert une salade russe linguistique, ses personnages incorporant des mots de plusieurs langues (surtout?) européennes. Le film Code 46 s'en inspirait peut-être.
Il serait en fait intéressant d'écrire de telles nouvelles bilingues à intervalles réguliers, rien que pour tester mon rapport (fluctuant) aux deux langues.
Mais l'écriture reste un mode d'expression si contrôlé que le bilinguisme ne surgirait sans doute pas très naturellement dans un texte écrit, alors que les deux langues ont tendance à surgir spontanément dans la conversation...
En science-fiction, il faudrait bien sûr justifier ce bilinguisme. Dans certains de ses romans (Child of Fortune?), Spinrad a offert une salade russe linguistique, ses personnages incorporant des mots de plusieurs langues (surtout?) européennes. Le film Code 46 s'en inspirait peut-être.
Ce serait intéressant d'expérimenter jusqu'où on pourrait pousser la patience du lecteur moyen canadien-français -- ;-) -- avec un roman canadien mettant en scène des personnages bilingues, dont les répliques seraient reproduites en version originale. J'y vois un intérêt naturaliste: combien de fois n'avons nous pas assisté à ces conversations mixtes, souvent avec des anglophones unilingues, ou malhabiles en français? Je ne me souviens pas d'avoir entendu parler, ni lu, un roman qui aurait poussé la chose assez loin, que ce soit dans une langue ou dans l'autre (existe-t-il des romans canadiens-anglais où les personnages français parleraient français).
Je suppose que ce serait une question de dosage, et aussi, faudrait quand même pas oublier ce petit détail, de savoir si l'histoire est intéressante. En ma qualité d'écrivain et lecteur, je ne vois pas quel est le défi à exploiter un procédé d'écriture qui assomera tous les lecteurs sauf les chercheurs dont le sujet de thèse est l'écriture bilingue.
Tiens... je vais peut-être profiter de ma nouvelle connexion Internet pour fouiller Google.
Joël Champetier
Je suppose que ce serait une question de dosage, et aussi, faudrait quand même pas oublier ce petit détail, de savoir si l'histoire est intéressante. En ma qualité d'écrivain et lecteur, je ne vois pas quel est le défi à exploiter un procédé d'écriture qui assomera tous les lecteurs sauf les chercheurs dont le sujet de thèse est l'écriture bilingue.
Tiens... je vais peut-être profiter de ma nouvelle connexion Internet pour fouiller Google.
Joël Champetier
Je reviens de chez Google: les romans bilingues existent!
http://www.talentshauts.fr/?p=catalogue-3
Helas, dans ce cas-ci, c'est plutôt dans un contexte pédagogique que vraiment littéraires. Ce sont des romans pour jeunes, avec alternance de chapitre en français et en anglais, etc. Je les ai pas lus, remarquez: peut-être que les auteurs construisent leur intrigue sur la base de cette contrainte.
Joël Champetier
http://www.talentshauts.fr/?p=catalogue-3
Helas, dans ce cas-ci, c'est plutôt dans un contexte pédagogique que vraiment littéraires. Ce sont des romans pour jeunes, avec alternance de chapitre en français et en anglais, etc. Je les ai pas lus, remarquez: peut-être que les auteurs construisent leur intrigue sur la base de cette contrainte.
Joël Champetier
Lors du dernier congrès Boréal, j'avais parlé de ces choses avec Francis Berthelot et il m'avait cité un auteur (français?) dont les ouvrages étageaient peut-être plusieurs langues (dont l'espagnol?). J'avoue que je n'ai pas noté la référence...
Dans Madeleine & the Angel, Dumas reproduit au moins une conversation bilingue (p. 62), mais elle n'exige pas grand-chose des lecteurs. Néanmoins, quand je feuillette ce livre, j'aperçois un certain nombre d'usages du français, qui n'est pas traduit. Le lecteur qui ne connaîtrait pas très bien le français, voire le français populaire de l'Ouest, aurait du mal à tout saisir. Il ne manquerait rien d'essentiel, mais sa lecture aurait de gros trous.
Intéressants, ces livres de Talents Hauts...
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Dans Madeleine & the Angel, Dumas reproduit au moins une conversation bilingue (p. 62), mais elle n'exige pas grand-chose des lecteurs. Néanmoins, quand je feuillette ce livre, j'aperçois un certain nombre d'usages du français, qui n'est pas traduit. Le lecteur qui ne connaîtrait pas très bien le français, voire le français populaire de l'Ouest, aurait du mal à tout saisir. Il ne manquerait rien d'essentiel, mais sa lecture aurait de gros trous.
Intéressants, ces livres de Talents Hauts...
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